Mardi 4 juillet au cinéma Arvor était projeté en avant-première* Les algues vertes, d’après la bande dessinée du même nom. Une nouvelle façon d’appréhender un sujet aussi puant que clivant. Une réalisation qui le fait avec force et sensibilité.
En inauguration du cycle Vamos à la playa qui occupera l’Arvor de Rennes ouvert tout l’été, la plage avait une drôle de couleur et une drôle d’odeur. Celles des algues vertes, qui lorsqu’elles entrent en putréfaction dégagent un gaz toxique, le sulfure d’hydrogène (H2S). 2023 et le problème est encore et toujours là au point que les cabanons de la plage du Valais à Saint-Brieuc sont interdits d’accès pour l’été. Point de départ du film, l’enquête d’Inès Léraud**, qui malgré de nombreuses embûches ou encore menaces, mène un véritable travail d’investigation à travers des chroniques radio ; en résulte en 2019 une bande dessinée illustrée par Pierre Van Hove qui connaîtra un vaste succès, à la hauteur du scandale dénoncé. Voilà donc sur écran une grande partie de cette aventure journalistique et humaine réalisée par Pierre Jolivet ; une version plus sensible que la bande dessinée, qui peut freiner par son aridité de chiffres et d’analyses. Ici le film va droit au but des portes qui se ferment face à l’omerta du monde agro-industriel, de la souffrance sociale des agriculteurs, et enfin, des victimes et la douleur de leur famille, notamment celle de Thierry Morfoisse, transporteur d’algues vertes, mort au travail en 2009 à Binic (dont il aura fallu 12 ans pour reconnaître le caractère professionnel de son décès) et de Jean-René Auffray en 2016.
Avec ce film, il s’agit de faire parler. De prolonger la remise en question d’un modèle agricole sous perfusion, à bout de souffle, qui épuise la terre depuis le remembrement des terres agricoles*** et endette les paysans (2 suicides par jour en France). D’ouvrir le dialogue, en continuant ici de mettre en images, animées, cette enquête. Un travail d’un an et demi pour lequel l’héroïne et journaliste Inès Léraud se retrouve alors co-scénariste, chacun des protagonistes ayant également eu un regard sur l’évolution du scénario. La journaliste est incarnée avec justesse par Céline Sallette, soutenue par sa compagne qui passe de prof de philo à vendeuse de produits bio et locaux ; on croise également l’acteur Guillaume Delpierre, jouant dans une série thématiquement proche, Jeux d’influence visible sur Arte. La projection du film à l’Arvor a été suivie d’un échange avec le public, autour de précisions sur l’agro-industrie, la FNSEA, ou encore de questions portées par Les soulèvements de la terre, toujours « administrativement dissous ». Les projections rencontrent un vif succès, même si le film continue de déranger puisque le ciné-concert prévu à Plancoët (22) en janvier 2024 a été déprogrammé. Pourrons-nous un jour retrouver le chemin des plages de nos enfances ? La journaliste poursuit quant à elle le sien, notamment en collaborant avec le média d’enquête breton Splann !
** Elle reçoit en 2021 le prix éthique de l’association Anticor, association anticorruption, qui vient de voir son agrément annulé…
** Sujet sur lequel travaille Inès Léraud pour une prochaine publication avec Pierre Van Hove.