Une couverture rose bonbon signée de l’illustratrice Lucile Gautier (revue la Déferlante), Sugar Daddy pourrait être le récit d’un conte de fée sirupeux. L’autrice Marion Chemin préfère défaire les contes. Elle préfère le vitriol à l’eau de rose. Elle préfère les majeurs levés à la bague au doigt. Avec Sugar Daddy, elle signe une gourmandise noire, irrévérencieuse et jubilatoire.
Fred Stanis est un réalisateur adulé. Palme d’or à Cannes, villa luxueuse, dévotion des journalistes « le Warhol français » écrivent-ils. Du pur concentré de réussite internationale bling-bling. Mais la vie rêvée des riches ne fait pas rêver Pomme, sa fille. Pomme pèse son poids en kilos de vers dans le fruit. Pomme déteste son père. Monstre de cinéma. Monstre tout court. Monstre qui a engendré une anomalie dans son paysage voué au sublime. Trente ans que Pomme rêve de lui dire qu’il ne pense qu’à sa gueule. Arrive la soirée du soixante-treizième anniversaire du réalisateur vénéré. Arrive la vengeance vénère de Pomme. Bang bang.
Jamais ses personnages n’avaient d’enfant. C’était inutile m’avait-il répondu un jour que je lui demandais, encore adolescente, pourquoi aucun de ses héros n’avait engendré. « Les enfant sont un frein à l’épanouissement personnel Pomme. Ne crois pas ce qu’on raconte à leur sujet, tu sais. Je te souhaite d’ailleurs de ne jamais en avoir. » Merci Fred. (page 58)
L’écriture de Marion Chemin est venue nous apporter un bonbon. Parce que les tocards sont périssables et que le bonbon de Marion Chemin c’est tellement bon. C’est tellement salvateur. C’est tellement nappé d’ironie caustique. C’est tellement une gourmandise au cœur noir qui explose en bouche. Qui dynamite les apparences. Qui défouraille les clichés. Qui pogote sur la domination patriarcale. Haro sur les pères les maris les amants. Haro sur les faibles. Haro sur les conventions. Avec malice, l’autrice dézingue les carcans de la morale. Elle bouscule les codes d’une société grotesque qui engendre des personnages grotesques. Démesurément grotesques. Une société caricaturale où le ridicule tue.
Moi à côté d’elle, j’étais un bébé roseau au bord d’une berge à laquelle j’avais du mal à m’accrocher. Elle, c’était une sorte de radeau de la méduse, planté au milieu d’un océan d’algues et de nitrates, quelque chose de massif et salvateur, à la fois brut et bienvenu. Mélancolique. Voilà, elle me rendait mélancolique. Elle me filait le bourdon. Mais c’était agréable. (page 85)
Depuis dix ans Marion Chemin écrit des histoires féministes. Édith, Jeanne, Julie dans un recueil précédent paru aux éditions l’Aure écarlate. Pomme, Lucie, Claire dans Sugar Daddy. Sa matière littéraire se situe dans ce quelque chose de coincé dans la gorge des filles. Stylo à la main et Dr. Martens aux pieds, Marion Chemin expulse leurs secrets leurs frustrations leurs colères. À la faveur d’une narration chorale et de chapitres courts, elle déploie des personnages aux prises avec leur rage leur soumission leurs déceptions. Mais Pomme n’est pas une victime. Elle brise les murs de sa prison dorée. Et le monde explose avec elle. Irrévérencieuse et trash, elle va au clash. Revolution Rock Daddy !
Une émotion délectable me grisait le corps, j’avais envie de déchirer, de cisailler, de couper, de buter mon père et de faire bouffer sa rate et ses viscères au reste de la cour qui s’apprêtait à pénétrer dans la maison de ma mère. La Claire. La limpide, la pure. Celle qui avait su très tôt qu’une évasion valait mieux qu’une vie de merde en proie à un tyran et qui m’avait laissée seule pour que je m’en rende compte par moi-même. (page 69)