Suite à l’émergence du mouvement #metoo lancé sur Twitter, la journaliste Astrid de Villaines a décidé d’aller à la rencontre de 72 femmes victimes d’agressions sexistes et sexuelles à travers la France. Son ouvrage Harcelées – Enquête dans la France des violences faites aux femmes leur donne la parole et montre qu’il est urgent d’agir pour que ça cesse.
« C’est la porte d’entrée des violences sexuelles. Le sexisme est souvent perçu comme de “l’humour” chez ceux qui le pratiquent ou le tolèrent. Il rabaisse les femmes, instaure un rapport d’inégalité entre hommes et femmes, et les façons de le combattre sont extrêmement difficiles, tant elles font passer celles qui s’en plaignent pour des “rabat-joie”, des “professionnelles de la victimisation” ou tout simplement des “mal-baisées”. »
Harcelées est un essai structuré autour de la montée en gravité des violences sexistes : le départ est les préjugés de genre présents auprès des enfants et adolescents (de la répartition des tâches et de la parole au droit de battre sa conjointe), puis sont étudiés le harcèlement de rue qu’expérimente chaque femme, le sexisme et notamment ses « blagues » qui commencent le travail de sape dans les esprits et se répercute dans la vie privée et professionnelle, l’imaginaire autour du viol, les diverses violences conjugales, le cyber-harcèlement, le processus des poursuites judiciaires. Des solutions sont proposées, d’autant plus qu’elles existent déjà et donnent de bons résultats (l’exemple de l’Espagne est édifiant : trois fois moins de femmes tuées par leur conjoint ou ex-conjoint en 2018 qu’en France). L’autrice s’appuie sur de nombreuses témoignages de femmes victimes et professionnelles de ces questions, sa bienveillance et sa détermination sont sensibles.
« Je trouvais ça normal, je me disais : Qu’est-ce que tu as bien pu faire pour en arriver là ? Il parvenait à me culpabiliser, il était parfois très doux. Le lendemain, il s’excusait et me disait : Je t’aime, tu vois ce que tu arrives à me faire faire ? »
Harcelées est une lecture importante, accessible à tout le monde, pour prendre la mesure actuelle des violences misogynes en France, à ranger près de l’essai fondamental de Valérie Rey-Robert Une culture du viol à la française. Elle rappelle qu’elles sont présentes dans tous les milieux sociaux et professionnels, s’expriment sous différentes formes plus ou moins dommageables pour les victimes et sont toutes les pièces d’un même puzzle, celui du patriarcat.
Astrid de Villaines a également été victime d’agression sexuelle sur son lieu de travail (par Frédéric Haziza en 2014 lorsqu’elle travaillait à LCP). Elle a choisi de ne pas la mettre au centre de son propos, même si elle en parle ouvertement depuis qu’elle a déposé plainte en novembre 2017, mais cet événement qu’elle a médiatisé a été le déclencheur de ce travail. L’enquête « Entendu à la rédac » menée par Nous Toutes et Prenons La Une parue le 7 mars 2019 prouve à quel point ce qu’elle a subi est loin d’être un acte isolé.
Une partie de l’enquête a été menée à Rennes, auprès de l’association Stop harcèlement de rue. Elle souligne notamment le travail actuellement mené auprès de Keolis, la société gestionnaire des transports en commun de la ville, pour sensibiliser le personnel à gérer les agressions envers les femmes et ne pas en commettre (« je lui contrôlerais bien son ticket de métro à elle »), afin de leur donner confiance car elles sont nombreuses à se priver de ces transports « après 22 heures » par crainte.
L’association Nous Toutes a déclaré le 3 mars l’assassinat de trente femmes par leur conjoint ou ex-conjoint depuis le 1er janvier 2019, soit un féminicide tous les deux jours. Un chiffre très lourd surtout quand on se rappelle que les violences faites aux femmes sont « la grande cause du quinquennat »… Il est plus que jamais temps d’arrêter de les minimiser et mettre en place de véritables mesures, dont beaucoup sont proposées à travers l’essai, à la hauteur de la réalité.
Astrid de Villaines, Harcelées – Enquête dans la France des violences faites aux femmes, éditions Plon, 280 pages, 17 euros, parution le 7 mars 2019.