Comprendre pour stopper la culture du viol à la française

Valérie Rey-Robert est une militante féministe active depuis une vingtaine d’années. Avant d’avoir rendu son nom civil public à l’occasion de la sortie de ce 1er ouvrage, Une culture du viol à la française, elle était connue sous le nom de son blog Crêpe Georgette, qu’elle tient depuis 2008. Ce livre est la prolongation physique de ce travail de pédagogie féministe en ligne, et décortique la culture du viol en France et ses conséquences sur les causes et le traitement des violences sexuelles.

 

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« La culture du viol est la manière dont une société se représente le viol, les victimes de viol et les violeurs à une époque donnée. Elle se définit par un ensemble de croyances, de mythes, d’idées reçues autour de ces trois items. On parle de “culture” car ces idées reçues imprègnent la société, se transmettent de génération en génération et évoluent au fil du temps. »

Le terme de « culture du viol » apparaît aux États-Unis (« rape culture ») dans les années 1970 pour souligner les multiples causes culturelles du viol, qui n’est donc pas un acte isolé commis par un agresseur stéréotypé sur une victime qui le serait tout autant. Il sort des sphères universitaires et militants durant les années 2010 pour se retrouver dans les médias : la manifestation Slut Walk en avril 2011 à Toronto, deux  affaires de viol aux États-Unis en 2012, le viol et la mort de Jyoti Singh à New Delhi fin 2016, la chanson « Blurred Lines » de Robin Thicke en 2013. Comprendre que la lutte contre les violences sexuelles est une urgence et qu’elle ne peut passer que par la remise en question des stéréotypes historiques autour du viol (qui le commet, qui le subit, comment, pourquoi, où, avec quelles conséquences physiques, psychologiques et sociales, comment l’éradiquer) est ce qui sous-tend cet essai, très documenté, dense mais accessible au plus grand nombre. Ce dernier pointe aussi le particularisme français, dernièrement exprimé par « la liberté d’importuner », fruit de siècles de discours et représentations où le consentement, en particulier des femmes, vaut moins que le regard et le désir, surtout masculins.

Jean-Honoré Fragonard, « Le Verrou », 1777, œuvre cité dans l’ouvrage pour illustrer la confusion culturellement admise entre une « scène galante » et un viol

Jean-Honoré Fragonard, « Le Verrou », 1777, œuvre cité dans l’ouvrage pour illustrer la confusion culturellement admise entre une « scène galante » et un viol.

Valérie Rey-Robert dresse un historique de la misogynie et du viol de la Bible à nos jours, avant de s’attaquer aux nombreux mythes autour des violences sexuelles, l’évolution du cadre légal et les spécificités françaises. Ces dernières sont d’autant plus d’actualité avec l’affaire Denis Baupin, qui invoquait la fameuse « séduction à la française » et le « libertinage » (le podcast Programme B de Binge en a fait un très bon résumé) et le cas édifiant du « procès du 36 » où l’on a pu se rendre compte que les préjugés autour de la « bonne victime » persistaient vivement (analysé par Titiou Lecoq).

« Les victimes qui peuvent parler doivent continuer à occuper l’espace politique, médiatique, social, public. C’est difficile, je le sais, parce qu’elles y sont insultées, moquées. Leurs propos sont caricaturés, ridiculisés. Mais nous le devons à tous les Francis et Marie dont la force, la constance, la volonté m’ont coupé le souffle et continuent à susciter mon admiration. »

L’autrice a été une des cibles de la Ligue du LOL, groupe organisé à très grande majorité d’hommes influents qui attaquaient principalement sur Twitter des femmes journalistes et féministes et se cooptaient au sein de grands médias (d’autres témoignages et références chez Programme B). Elle pointe à plusieurs reprises dans son essai le manque de justesse de la presse pour couvrir décemment les affaires de violences sexuelles, le travail de sape de ces hommes n’a certainement pas dû aider. Elle rappelle qu’il est important de libérer la parole sans que les victimes et les personnes qui relaient leurs paroles n’en craignent les conséquences, même quand il s’agit d’agresseurs très célèbres (elle cite le cas R. Kelly page 197, qui a depuis évolué même si à quel prix).

Les violences sexuelles ne sont et ne devraient pas être une fatalité, ni pour les femmes ni pour les hommes, mais c’est un long travail à faire ensemble, sans plus attendre, et Une culture du viol à la française en est un outil plus qu’important.

 Valérie Rey-Robert, Une culture du viol à la française, éditions Libertalia, 300 pages, 18 euros, parution le 21 février 2019. On peut lire quelques extraits du livre et le commander sur le site de la maison d’édition.
Valérie Rey-Robert est à lire sur Twitter et son blog Crêpe Georgette.

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