La première de la pièce Le Retour de Harold Pinter a eu lieu au Tnb le 18 mars. Sur une nouvelle traduction de Philippe Dijan, Luc Bondy avait lancé la saison du théâtre de l’Odéon avec cette nouvelle mise en scène. Bruno Ganz en tête d’affiche, et une pièce qui continue de faire polémique.
Déjà en 1965, le dramaturge anglais Harold Pinter, prix Nobel de littérature en 2005, choquait. Il choquait la bienséance avec un Retour ambigu. Nous sommes en 2013, le texte de nouveau traduit et pris en main par Luc Bondy, mais le malaise persiste. Car toute la pièce est sous tension. Tension sociale, familiale, amoureuse, un huit-clos dont les fissures des relations sont à peu près aussi évidentes que celle du carrelage de la cuisine.
La cuisine. C’est là que Max, interprété par Bruno Ganz, débute la pièce, un hachoir à la main, préparant un morceau de viande. Ancien boucher, il vit avec ses deux fils, Lenny et Joey, ainsi qu’avec son frère Sam; chauffeur de taxi sans cesse humilié par le patriarche, ses allers et venues mettent en évidence la relation intérieur / extérieur. Un extérieur qui semble ne jamais pénétrer dans cette sphère familiale, si ce n’est à travers un carreau sale. Puis par le retour, celui du troisième fils, Teddy, qui vient présenter sa femme Ruth. Ruth, c’est Emmanuelle Seigner, qui va étirer ses longues jambes sur le canapé familial et semer le trouble dans la maison. Un trouble qui va se répandre à travers l’esprit du public.
« Il s’est fait plus de nanas que tu as mangé de gâteaux à la crème. »
L’humour. C’est la brèche par laquelle l’atmosphère malsaine va s’infiltrer tout au long de la pièce. D’un début violent où l’on se jette des chaises à des interludes musicaux comme Sunny afternoon du groupe The Kinks, le spectateur ne sait sur quel pied danser. Il rit souvent de bon cœur, notamment grâce au personnage lunaire de Lenny, un enfant perturbé par les objets qui font tic-tac la nuit; un personnage interprété avec talent par un Micha Lescot impressionnant. Mais la collision avec le père est brutale. Bruno Ganz interprète dans une juste mesure un homme qui vit dans le passé, capable d’imaginer tendrement sa femme jouant avec ses petits enfants, pour la traiter de garce deux minutes plus tard. Le retour, c’est surtout le retour de bâton, cette claque qui fait basculer sans cesse la pièce du statut de comédie à celle d’une psychologie angoissante. De l’affect à l’infect, il n’y a qu’un pas.
Ce qui finalement dérange le plus, c’est ce flou intégral. Ces personnages dont on ne comprend rien ou pas grand chose, de leurs réactions à leur environnement, ne sont à aucun moment caution à jugement moral. Ni par le texte, ni par la mise en scène qui nous laisse enfermés avec eux pendant deux heures, dans cet intérieur froid et poussiéreux. Libre à chacun d’imaginer une horrible pièce misogyne ou le parcours de quelques paumés; le point de vue pourra changer si le regard se place depuis le frigo, la rue ou le haut de l’escalier. Reste tout de même un texte, souvent riche, une pléiade d’acteurs le servant au mieux et une version, qui, si elle n’est totalement intelligible dans son propos, offre un moment de théâtre rondement mené.