À l’invitation de la librairie le Failler, les sociologues et chercheurs au CNRS Monique Pinçon-Charlot et Michel Pinçon présentaient leur dernier ouvrage Les prédateurs au pouvoir : main basse sur notre avenir à l’espace Ouest-France vendredi 30 juin. Nous avons pu leur poser quelques questions en amont de la rencontre. Interview à deux voix avec un couple engagé, solidaire, drôle et grave à la fois. Et surtout en colère pour dénoncer les diktats oligarchiques d’un monde de riches qui écrasent et marginalisent les classes les plus faibles.
■ Après une vingtaine de livres dont le dernier Les prédateurs au pouvoir : main basse sur notre avenir que vous présentez ce soir, comment se déroule le travail d’écriture à quatre mains ?
Monique PC : Nous sommes mariés depuis cinquante ans après des études communes. Nous travaillons ensemble depuis trente ans. Aujourd’hui Michel plus âgé s’est mis un peu en retrait mais avant nous partagions tout, c’est-à-dire que chacun prenait une partie, un chapitre, puis, nous effectuions les relectures ensemble.
Michel P : Nous accomplissions un travail de terrain individuel et une séparation des tâches sans hiérarchie. Je procédais au premier jet… maintenant, je signe ! (rires)
■ Depuis la sortie des Prédateurs au pouvoir, François Fillon s’est retiré de la vie politique laissant un parti exsangue et Marine Le Pen ne semble plus être le leader naturel du FN après entre autres, son débat raté. La violence de classes que vous dénoncez peut-elle se retourner contre ses dirigeants ?
Monique PC : Pas vraiment. Ce n’est pas une histoire d’individus mais d’une classe sociale qui mène une guerre contre le reste de la société avec des armes spécifiques. Les Sarkozy, Balkany, Bernard Tapie… tellement d’exemples qui montrent que le Phœnix renait toujours de ses cendres. Attendons de voir si François Filon et Marine Le Pen seront condamnés. Souvent le temps passe, les Français oublient et les procès aboutissent à un non-lieu.
■ L’épilogue des Prédateurs au pouvoir pourrait s’incarner dans l’élection de « Macron » dont vous écriviez il y a quelques mois qu’il « offrirait les ors de la république à ses camarades de classe » ?
Michel P : Oui éventuellement. Il y aurait un très bon travail à effectuer sur l’épopée Macron et la manière dont elle a chamboulé les formes d’organisation politique de la tradition républicaine.
Monique PC : C’est ça, tout a été chamboulé pour que rien ne change ! Plus de droite, ni de gauche, plus de secteur public, ni privé, notre système politique tient sur un seul homme qui incarne la synthèse des intérêts de l’oligarchie. Je le vis vraiment comme l’imposture finale de notre livre ; c’est-à-dire que les principaux poids lourds ont quitté le PS comme les gens de droite « constructive » (dans le sens Macron-compatible) pour rejoindre En Marche, ce qui constitue un passage au stade supérieur de la violence des classes…
Michel P : Les causes de cette adhésion massive qui repose sur du vent mériteraient également une analyse approfondie. D’une certaine manière, des ressemblances existent avec l’élection de Trump qui comme Macron n’a pas construit sa victoire par la raison ou les arguments mais par une posture.
Monique PC : Sans oublier que Macron est le meilleur copain de tous les propriétaires des grands médias, responsables de la mise en œuvre d’un story-telling qui a lobotomisé les Français. Ce n’est pas un parti unique, c’est la pensée unique, un système totalitariste comme nous l’écrivons dans notre livre…
Michel P : Néolibéral !
Monique PC : Non je maintiens totalitariste !
Michel P : Et moi je maintiens néolibéral (rire commun) et donc Macron comme Trump forment des organisations politiques populaires qui éradiquent les partis et mouvements autres.
« Des ressemblances existent avec l’élection de Trump qui comme Macron n’a pas construit sa victoire par la raison ou les arguments mais par une posture. »
■ Il semble également exister entre ces deux hommes un jeu d’attraction-répulsion entre invitations séduction et bras-de-fer médiatique.
Monique PC : Oui et nous devons rester sur le qui-vive. Depuis l’élection de Trump, au plan international, le risque de la pensée du « tous contre tous » se généralise, source d’injustice et de déni au détriment de la nécessité d’une société solidaire, fondement de la gauche, qui voudrait qu’on ne travaille pas que pour soi mais aussi pour les autres.
Michel P : Nous nous rapprochons de quelque chose qui dépasse la raison usuelle. Aujourd’hui, les affrontements et les guerres entre entreprises, sociétés et même entre partis s’accentuent avec une désagrégation de la pensée unie parce que tout le monde entre en concurrence dans ce panier de crabes.
■ Monique Pinçont-Charlot, vous êtes présentése sous l’étiquette « divers gauches » aux dernières législatives. Selon vous quel visage doit prendre cette gauche à reconstruire pour combattre l’oligarchie et le népotisme des prédateurs ?
Monique Pinçont-Charlot : Nous recevons en ce moment une dizaine de mails par jour d’hommes et de femmes de gauche qui constituent de nouvelles unions, des fronts sociaux, des fronts communs… chacun organise son front. Or, la gauche s’est présentée totalement divisée aux dernières élections. De fait, elle ne peut se reconstruire du jour ou lendemain. Le néolibéralisme s’est introduit dans une démarche de compétition qui la mine d’une façon profondément libérale avec des enjeux de pouvoir – « et de concurrence », rajoute Michel – oui… et de concurrence libre. De plus, la planète est en danger, nous nous retrouvons face à une violence des classes épouvantable. L’heure est très grave, il faut s’attaquer aux problèmes à leur base, tels qu’ils se sont constitués. C’est notre priorité. Nous prônons la cohérence entre les individus et les idées qu’ils défendent avec des engagements comme celui de François Ruffin ou Olivier Besancenot qui ne cherchent pas à obtenir le pouvoir pour le pouvoir avec des égos surdimensionnés et une liberté négative et individualiste mais dans une démarche de progrès social collectif et partagé.
« De plus, la planète est en danger, nous nous retrouvons face à une violence des classes épouvantable. L’heure est très grave, il faut s’attaquer aux problèmes à leur base, tels qu’ils se sont constitués. »
■ Que pensez-vous de la pensée souverainiste de Jean-Luc Mélenchon ?,
Michel P : L’univers politique se retrouve perverti par l’hégémonie économique. Le néolibéralisme s’incarne donc aussi chez Mélenchon puisqu’il agit pour lui, qu’il essaie d’être le meilleur, d’être le Bernard Arnault de la gauche. La concurrence, le « tous contre tous et que le meilleur gagne », cette logique a perverti tous les partis. Elle a fonctionné pour Macron grâce à l’osmose entre sa démarche et le monde de la finance et des affaires.
■ Avec l’absence d’une réelle opposition à l’assemblée, la rue devient-elle la seule solution pour marquer son mécontentement ?
Monique PC : La rue en est une mais les solutions ne doivent pas s’opposer les unes aux autres, mais se cumuler. Nous devons agir à la manière des grands bourgeois mobilisés en permanence dans les cercles, dans les conseils d’administration, dans toutes formes d’échanges et de sociabilité mondaine qui constituent leur style de mobilisation. Nous ne devons plus nous diviser avec des faux débats en permanence. « L’Internationale » et « La Marseillaise », ne s’opposent pas mais se cumulent tout comme le parti communiste qui a porté si haut la conscience ouvrière ne s’oppose pas aux idées nouvelles. L’ensemble peut très bien se respecter et se fédérer à l’instar de la grande bourgeoisie qui gagne alors que les représentants du peuple de gauche se perdent dans des bagarres des petits chefs en permanence. C’est terminé, nous n’en voulons plus !
Michel P : C’est bien la « bagarre des petits chefs » parce que la grand bourgeoisie engendre des contradictions et des divergences mais également un sens profond de la solidarité du groupe. Ils savent qu’ils appartiennent à la classe bourgeoise et le revendiquent. Même si des tiraillements existent en raison de la concurrence économique sur les marchés, ils ont conscience par ailleurs, qu’au-delà de leurs intérêts, l’unité de leur classe doit prédominer pour assurer leur position dominante dans la société.
En 2017, plus que jamais les prédateurs rôdent et s’emparent de nos biens et de notre espace. Après Sociologie de la bourgeoisie, Le président des riches ou encore La violence des riches, avec Les prédateurs au pouvoir : main-basse sur notre avenir, Monique Pinçon-Charlot et Michel Pinçon s’attaquent avec virulence et pugnacité à un monde néolibéral pour mieux mettre en exergue l’indigence, l’opportunisme, la démagogie, l’oligarchie de ses dirigeants.
De Donald Trump aux USA aux affaires d’emploi fictif de l’épouse de François Fillon, des mise en examens de Marine Le Pen ou de l’ascension du « jeune banquier d’affaires souriant de chez Rothschild », Emmanuel Macron en France, le couple porte un regard critique, fécond et nécessaire sur l’histoire politique récente qui fume encore sur les braises de l’élection des présidents américains et français.
Des pyromanes gouvernent les peuples, membres d’une classe politique corrompue, terme compliqué à employer dans la sphère publique alors que ces dominants se comportent comme des bandits, des voleurs, des prédateurs donc qui s’accaparent les ressources et les beaux espaces de la planète pour assurer le confort de leurs semblables. Le livre s’ouvre sur l’accélération du réchauffement climatique par la manipulation des plus riches afin de démontrer que des rapports de classes traversent l’écologie comme tous les domaines de l’activité humaine et sociale. Une études de classes au sens marxiste et bourdieusien, précise Monique Pinçont-Charlot afin « de mieux comprendre leur pensée et ne pas la confondre avec d’autres offres de la gauche ».
En 64 pages d’un ouvrage qualifié par leurs auteurs de « colère sociologique« , ils évoquent ces rapaces assoiffés de pouvoir et d’argent avec force chiffres et exemples. Ainsi, en 2016, les huit multimilliardaires les plus riches de la planète possèdent un patrimoine équivalent aux biens et revenus détenus par la moitié la plus pauvre de l’humanité. In extenso, le couple appelle donc à la vigilance citoyenne et à la pensée critique. Avec Monique Pinçon-Charlot et Michel Pinçon, la sociologie demeure un sport de combat… à mettre entre toutes les mains !