Récemment, l’auteur rock Pierre Mikaïloff a sorti Terminus Las Vegas, un recueil de dix nouvelles où s’entrecroisent paumés, rock-stars défraichies, escrocs, call-girl en fin de course, opportunistes, arrivistes, succubes en tout genre. Impressions.
À lire le Ramones, je m’étais promis.
À lui découvrir son Motörhead, je m’étais dit que décidément…
Alors quand Terminus Las Vegas m’est arrivé dans les bras (et non pas tombé des mains), c’était l’occasion rêvée.
Dans les 10 nouvelles de ce savoureux recueil coexistent passion de la musique et vertébrés de base en proie à la survie. Il n’y avait pas à tergiverser, peut-être était-ce mythique d’écrire défoncé, mais votre fil narratif finissait par vous envoyer droit dans le mur. À l’image de son cerveau, Hunter S.Thompson avait laissé des trous béants dans son Las Vegas Parano. Que Mikaïloff ait eu l’idée de les remplir ou d’en faire quelque chose à lui, de ces espaces à l’abandon, il n’y avait qu’un pas. Son propre désert à occuper, en quelque sorte, et à raison. Parce que hormis des tribus indiennes ravagées par la boulimie et des kilomètres de puits de pétrole, le désert était finalement, originellement, à tout le monde (voir Edward Abbey).
Des vies pas rentables pour un sou mais qui chercheraient à tintinnabuler quand même. On est à Las Vegas, quoi, merde (ou dans un paradigme équivalent). Dans cette Babel Tower où des Trump de très basse extraction s’agglutinent espérant gratter quelque chose qui leur tomberait du ciel, d’un supermarché ou d’une cargaison de colombienne.
L’Amérique. Ses vertiges mais son énergie intacte, restituée à la perfection.
Ce qui rend ces récits si plaisants, c’est l’affection que l’auteur porte à ses personnages et sa jubilation à en décrire les rives et dérives. Sa mythologie n’est pas réservée au people rock aussi talentueux soit-il, bien au contraire, le plus azimuté des chômeurs de longue durée dévoile un génie de la démerde au quotidien réjouissant à voir.
La verve malicieuse, Mikaïloff fait se mouvoir ses protagonistes avec une morale qu’il retourne tel le flic le ferait d’un caïd transformé en balance. Dans le royaume où ça craint, on ne s’embarrasse pas du bien où du mal, on fait avec.
Munis des clés de la bagnole, ses personnages tracent merveilleusement la route. Et quand ils se loupent dans un virage, croyez-moi, le dérapage est majestueux.
Programmateurs, invitez le bonhomme. Et envoyez bouler vos déplaisants qui font le forcing pour imposer des ennuyeux parlant chiffres. Nouvelliste plein d’humour au style et aux histoires qui embarquent, ce grand gamin n’aura jamais besoin de se dire écrivain pour l’être, il l’est bien plus que certains qui font en moyen ce qui a déjà été fait en très poussif.
Le pied total, donc.
Extraits
* Un clandestin évoque son avenir dans une camionnette de passeurs :
« Pas le chicano de service dans vos films d’action ridicules, mais des comédies sentimentales avec Scarlett Johansson où Kristen Stewart, avait-il précisé… » « La ballade de Ramon Diaz »
* Un patron de peep-show en faillite :
« Il reconnaissait la voix entendue au téléphone. Toutefois, l’apparence de son interlocuteur le laissait perplexe :
- Depuis quand Moshe Rabinovitch a-t-il des neveux blacks ?
Les visiteurs parurent un instant déconcertés, mais la réponse de survêtement rouge fusa :
- Et alors ? T’as jamais entendu parler de Ménélick Ier ? » « Remettez-moi Barry Manilow »* « Mais le vieil homme continue d’égrener ses doutes :
- Et puis je fais plus que des albums de merde… Même Muddy Waters, quand il a sorti son album hippie, avec coupe afro et pédale wah-wah, il était pas tombé si bas. Vous avez réussi à l’écouter jusqu’au bout, vous, le dernier Stones ? » « Times waits for no one »
Article signé Stéphane Grangier