La collection Sociorama de Casterman propose des enquêtes sociologiques illustrées par des dessinateurs de BD. Avec Lisa Mandel, on explore les dessous de la pornographie, entre partouzes et revendications salariales.
Howard, jeune vigile aux Galeries farfouillettes rencontre son idole sur le salon Eroland, la star du X et réalisatrice Pamela. Avec culot il parvient à la convaincre de l’intégrer sur une de ses productions. Séduit par son premier tournage, il cherche à poursuivre l’expérience sachant que le fait d’être noir est un frein car de nombreuses actrices refusent de tourner avec lui. Mais il possède le sésame ultime : une copine débutante et partante pour jouer avec lui dans son premier porno…
Basée sur l’enquête et les témoignages de Mathieu Trachman, Le travail pornographique (éd. La découverte, 2013) la BD restitue l’ambiance de tournage avec des petites équipes et son côté festif et débonnaire, tout en abordant les ‘dessous’ du porno, à savoir les questions financières, les attentes du public, le rapport avec la caméra, le statut des acteurs/actrices… On y voit l’élaboration du ‘scénario’ des films, construit autour de scènes très systématiques et suivant un canevas attendu, avec quelques variations liées à des effets de mode et à la demande du consommateur.
L’ouvrage aborde également des sujets plus délicats, le sexisme comme on peut s’y attendre avec la difficulté pour les femmes de se faire une place en tant que réalisatrices, mais aussi le racisme, ou encore la question de la durée d’une carrière : par exemple les femmes sont mieux payées mais ont dans leur majorité des carrières courtes (un ou deux ans) tandis que les hommes une fois intégrés ‘tiennent’ plus longtemps… Sans compter les problèmes post-retraite ou l’on voit que les anciennes actrices sont victimes de harcèlement de rue, parfois des années après la fin de leur carrière.
La force de la BD est de restituer l’ambiance d’un milieu de travail jusque dans ces contradictions avec une certaine drôlerie. Et en plus tout est vrai.
La fabrique pornographique est le premier ouvrage de la collection Sociorama de Casterman qui propose des enquêtes sociologiques illustrées par des dessinateurs de BD. Cette collection est issue de la rencontre entre Yasmine Bouagga, chargée de recherche au CNRS et organisatrice d’un colloque sur les liens entre sociologie et neuvième art. Elle y rencontre la dessinatrice Lisa Mandel, connue notamment pour l’ouvrage HP qui raconte l’évolution de l’hôpital psychiatrique du point de vue des soignants.
Ensemble elles décident de fonder Sociorama, collection qui permet de vulgariser le travail de fond de certains sociologues sous une forme plus ludique. En effet, la BD contemporaine fonctionne souvent par témoignages ‘directs’, reportages et histoires vécues, analyses de milieux précis ce qui la rend déjà proche d’une démarche sociologique.
Yasmine Bouagga a créé l’association, Socio en cases, attentive à la restitution d’une enquête sous sa forme graphique. La BD ne doit pas ressembler à une collection d’anecdotes, mais conserver la rigueur de l’approche scientifique, le jargon en moins. Par exemple la bd Chantier interdit au public de Claire Braud et Nicolas Jounin décrit l’organisation d’un chantier au travers de l’expérience de Hassane le ferrailleur et Soleymane, coffreur sans papiers ce qui permet de montrer les agences d’intérim, le travail au noir dans le bâtiment, les délais impossibles à tenir…
La fabrique pornographique de Lisa Mandel d’après une enquête de Matthieu Trachman, éd. Casterman, paru le 3 février 2016, 12 €.
Dans la même collection
Chantier interdit au public de Claire Braud et Nicolas Jouin, paru en février, éd. Casterman, 12 €
Séducteurs de rue de Léon Maret et Mélanie Gouarier, à paraître en avril, éd. Casterman, 12 €