La bande dessinée, richesse et précarité

Se creuser un passage dans les allées surpeuplées de Rue des Livres sans pour autant écraser un enfant égaré, fatigue. Le café littéraire offrait un répit aux jambes endolories mais aussi un espace de discussion puisque de nombreux micro-débats (d’une durée moyenne de 30 minutes) y furent organisés. Parole fut donnée aux auteurs et entre autre, aux auteurs de B.D. tel Rabaté, Briac, Lefeuvre, permettant à l’assistance de découvrir leurs dernières créations.


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• Rabaté y discuta de son nouvel album Le Linge Sale pour lequel il signe le scénario et les dialogues. Travaillant en collaboration avec le dessinateur Sébastien Gnaedig, ce nouvel opus nous emmène dans la campagne angevine, près de Cholet, où vit Pierre Martino. Se découvrant cocu, il est pris d’un désir de vengeance sanglante et fusil à la main, se met en tête d’abattre femme et amant dans le motel où ces deux oiseaux-là vont régulièrement roucouler leur amour. Hors, Martino n’est vraiment pas verni ! Se trompant de porte, il abat le mauvais couple et se retrouve derrière les barreaux pendant vingt ans. À sa sortie, l’envie de meurtre lui tenaille toujours le cœur.

Son ex-compagne, à présent remariée avec son amant et vivant avec sa famille dans une sorte de décharge à la sortie du village, semble mener une vie misérable faite de petites combines. Mais point de clémence pour Martino ! Ils devront payer et de leur sang ! Eux et leur famille !

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• La Nuit Mac Orlan, quant à elle, nous emmène vivre une aventure nimbée de mystère dans la ville de Brest. À la ligne et aux couleurs, le dessinateur guingampais Briac. Au scénario, Arnaud Le Gouëfflec. Publiée en 2014 aux éditions Sixto, cette bande dessinée met en scène un jeune étudiant parisien, Marin, rédigeant une thèse sur le romancier, parolier, peintre et poète Pierre Mac Orlan (connu notamment pour son livre Le Quai des Brumes). Après avoir eu vent de l’existence d’un récit encore inédit dudit romancier, Marin décide de se rendre sur Brest afin de rencontrer le détenteur de l’objet précieux, un bouquiniste du nom de Léon. En contrepartie, le jeune thésard devra lui remettre une copie de son travail de recherche. Alors que Léon se met en recherche de l’objet convoité en fouillant ses étagères, Marin est assommé et délesté de sa thèse. Commence une errance nocturne à laquelle viendra se mêler un artiste marginal du nom de Teuz. Ensemble, ils découvriront le corps inanimé du bouquiniste tenant à la main une bien mystérieuse carte…

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 Dans un tout autre genre, l’auteur rennais Laurent Lefeuvre met en scène les aventures de Pol alias Fox-Boy, un jeune lycéen âgé de 16 ans, arrogant et aimant humilier ses petits camarades de classe. Afin d’éviter une correction – bien méritée – ce dernier s’enfuit à travers la fête foraine prenant place dans les rues de Rennes pour trouver refuge dans l’antre d’un mage. Toujours fidèle à son incorrection, le mage décide de lui infliger la malédiction du renard-garou ! Ravi dans un premier temps de son nouveau pouvoir – celui de se transformer en renard donc – le jeune va vite déchanter… Ce comics à la sauce bretonne appartient au label Comics Fabric, label mettant en avant la création de comics « à la française ».

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Le revers de la couverture

On entend bien souvent dire que le monde de la bande dessinée se porte bien. L’année 2007 en fut d’ailleurs le point d’orgue, puisque ont été vendus près de 34 millions d’exemplaires. Hors, bien que le nombre d’albums ait été triplé au cours de ces dix dernières années (représentant une moyenne de 5000 titres sortis par an. Pour comparaison, en 1994, n’était publié que 700 titres…), le nombre de lecteurs, lui, n’a que doublé. L’offre devient donc supérieure à la demande.
Par ailleurs, dans les années 80, nous pouvions attendre d’un album qu’il se vende à hauteur de 7 à 10 000 exemplaires. À présent, un album ne se vend en moyenne qu’à 2 500 exemplaires.

Ce déferlement de nouveaux titres relève d’une exceptionnelle vitalité créatrice. Hors, le porte-monnaie d’un auteur de bande dessinée, lui, se rapprocherait plutôt du mouroir.
Un auteur est payé en « avance sur droits » (ce qui signifie que l’éditeur lui verse une avance sur les droits d’auteur que générera l’album. L’auteur – dessinateur, scénariste, etc. – ne touchera ses droits que lorsque l’éditeur se sera remboursé cette avance, ce qui équivaut à la vente de 15 000 albums), ce qui représente  8 à 10% du prix hors-taxe d’un album. Si celui-ci travaille en collaboration avec un dessinateur ou un scénariste ou un coloriste, il lui faudra diviser ce pourcentage par le nombre de participants.
Par le passé, le fonctionnement était tout autre. L’auteur recevait des avances qui lui étaient versées régulièrement en fonction de l’avancement de son travail. À présent, au vu du nombre important de nouveautés éditées chaque mois (environs 500 nouveaux albums sortent chaque mois), de plus en plus d’éditeurs ont recours aux forfaits. Forfaits se faisant toujours de plus en plus minces (moins de 5000 euros pour les jeunes blogueurs – auteurs) et ne tenant aucunement compte de la durée de réalisation d’un album, celle-ci étant bien souvent supérieur à un an et demi avec des amplitudes horaires pouvant atteindre 12 à 15h de travail par jour, 7 jours sur 7. Qui plus est, un auteur de bande dessinée n’est jamais salarié d’une maison d’édition. Quid donc du congé-maladie ou du congé de maternité?
La conséquence de tout cela ? Environs 2/3 des auteurs touchent moins que le smic, voire le RSA.
Précarité ? Oui.

Cette crise croissante dans le secteur de la bande dessinée a atteint son point de non-retour lorsqu’au mois de mai 2014, une lettre du RAAP (Régime des artistes auteurs professionnels) portant sur la complémentaire-retraite, leur annonçait qu’au 1er janvier de l’année 2016, un prélèvement obligatoire de 8% serait effectué sur leurs revenus, soit l’équivalent d’un mois de travail. Précarité ? Oui, tristement oui.

Voilà pourquoi, à l’occasion de la 42e édition du Festival d’Angoulême, furent créés les États-généraux de la bande dessinée (EGBD) à l’initiative, entre autres, de Benoit Peeters, scénariste, universitaire et conseiller éditorial. L’objectif ? Faire un état des lieux le plus exhaustif possible de la situation et tenter de trouver des solutions.

L’univers de la bande dessinée foisonne d’inventivité tout en s’implantant toujours plus dans le secteur culturel. Hors, de telles conditions de travail ne peuvent assurer la stabilité d’un bon nombre de ces acharnés du crayon. La passion, ça ne paie pas un loyer.

D’ailleurs, en parlant de fou-furieux de la mine carbone, allez donc jeter un coup d’œil à la très bonne exposition des artistes de Pépé Martini (dont nous vous avions déjà causé il y a peu), le samedi 21 mars à la médiathèque de Noyal-Châtillon. De nombreux ateliers et une table ronde vous y attendront.

Rendez-vous également à l’Antipode MJC le mercredi 25 mars à 18h pour un Caf’bédé

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