Snow therapy, de Ruben Östlund : quand les sports d’hiver sont prétextes à des règlements de comptes cruels et désopilants.
Fuir, négocier ou faire face et combattre sont trois attitudes reptiliennes devant une menace. La première*, si elle est la plus courue, est néanmoins la plus décriée, la moins valorisée.
En cas de catastrophe ou de danger imminent, on attend de son homme dans nos sociétés hétéronormées qu’il sache se comporter justement comme un homme. Voire en héros. Ou du moins que son attitude soit conforme en tout point à l’admiration qu’on lui voue. C’est un principe de base de nos civilisations évoluées qui ont su conserver – en théorie du moins – un arrière-fond de galanterie épaissi d’une belle couche de sens des responsabilités prises à bras-le-corps dès que la situation l’exige.
N’est-ce pas le cas, entre autres mille exemples, dans le roman de Philippe Jaenada, Plage de Manaccora, 16h30, qui raconte un gigantesque incendie dantesque dans un camping italien ? Jaenada y détaille avec bonhomie les réflexions et le comportement de Voltaire, de sa femme Oum et de leur fils Géo, face à cette calamité qui vient perturber le bon déroulement de leur villégiature sur les bords de l’Adriatique.
Quand cet esprit chevaleresque fait défaut, une faille s’entrouvre, un mythe s’effondre. C’est ce qui arrive à Tomas (Johannes Bah Kunhke), en vacances aux Arcs avec femme et enfants. Ils sont descendus dans un hôtel-club de luxe au pied des pistes. Pause alpine bien méritée pour ce père de famille suédois qui bosse comme un acharné le reste de l’année et qui, on peut l’imaginer, a dû lutter pied à pied pour offrir à ceux qu’il aime cette parenthèse de loisir à l’étranger.
Jusqu’ici, tout va bien. Mais peut-on réellement faire confiance à un homme qui porte des lunettes de pilote d’hélicoptère alors même qu’il ne pilote pas d’hélicoptère ? Telle est l’une des questions sous-jacentes à ce drôlissime et néanmoins nordique Snow Therapy.
Cet homme, qui a fui devant une avalanche pourtant inoffensive, a baissé dans l’estime que sa femme lui portait. Ce séjour à la montagne, qui devait être l’occasion de tous les délices, devient donc un supplice. Cet incident anecdotique fixe le point de départ de polémiques sans fin. Tomas et sa femme Ebba (très ouverte et diplomate mais un poil psycho-rigide – Lisa Lovent Kongsli) voient leur séjour à la montagne se transformer en cellule de crise psychologique. Le vernis craque. Cette avalanche sans conséquence corporelle se mue en prétexte pour pointer du doigt les contradictions et les misères relationnelles propres à notre époque. Cette famille de Suédois se ridiculise comiquement : le cocon d’amour et de réussite sociale qu’elle incarne s’avère être le nid de toutes les névroses, comme si, à force de vouloir coller au modèle dominant de ce que devrait être le bonheur, cette famille scandinave passait finalement à côté du principal, à savoir « la continuité merveilleuse des mouvements infimes » pour reprendre la douce formule du poète grec Yánnis Rítsos*.
Mats et Fanni, un couple de compatriotes (Kristofer Hivju, splendide avec sa barbe rousse et sa dégaine de Viking, et Fanni Metelius) et un homme à tout faire employé de ce même hôtel, pris à parti, sont les témoins de la crise existentielle traversée par ce couple fragilisé, qui fait des vagues et déteint. Leurs faces, tantôt consternées tantôt compatissantes, sont l’épice la plus savoureuse de cette comédie dramatique dopée au grand air savoyard.
* Et heureusement qu’elle est la plus répandue, la fuite, l’esquive ou l’indifférence ! Car, sans faire l’apologie de la veulerie – car à l’Imprimerie, plus qu’ailleurs, nous connaissons bien entendu les hautes vertus du courage et de ses dérivés – que penser d’un monde où, plutôt que l’évitement, l’affrontement serait systématiquement privilégié ?
** Cité par Denis Grozdanovitch, in Petit traité de désinvolture, que nous chroniquerons sûrement prochainement dans les colonnes de la rubrique Livres de l’Imprimerie.