600 coups par minute de Frédéric Paulin: un polar à la détente facile.
Quel est le point commun entre le lieutenant Samuel Gontier, le capitaine Grégoire d’Entrerroches, les lieutenants Marc Lombard et Serge Klavinski, les commandants Pierre Pécheu et Aloïs Kurz, le major Chance, le brigadier Bujaldon, le capitaine Samira El Jai, le commandant Myriam Goldstein, le lieutenant Laïkos Stéfanos, le capitaine Thierry Georges, le lieutenant Loran Matté, le commandant René-Marc Poulet, le capitaine Jeff Duvalier, les lieutenants Charline Pingeot, Livia Denis, Christopher Commode et Sauveur Précieux et le brigadier Xavier Mouchard ? Outre qu’ils soulignent la fascination de l’auteur pour le corps policier, ils sont sur les dents et sur les traces de Farid Laïfaoui, petite frappe de la Zup Sud de Rennes, qui se fera appeler « le Corse » en grandissant. Dans son ascension fulgurante dans la hiérarchie du grand banditisme, Farid dit « le Corse » n’est pas sans rappeler le héros joué par Tahar Rahim dans Le Prophète, de Jacques Audiard avec Niels Arestrup.
– Paraît que tu te fais appeler le Corse, maintenant ?
– Paraît que tu te fais appeler le Corse, maintenant ? rigola-t-il. Le Corse mon cul, ouais. T’es qu’un petit Arabe de merde, Laïfaoui, ne l’oublie jamais.
Les deux flics quittèrent l’appartement en riant.
Le Corse, lui, resta prostré sur son canapé toute la journée et toute la nuit suivante. Le moindre mouvement attisait des pensées désordonnées, un sentiment constant de peur allait et venait en lui.
Pendant vingt-quatre heures, il fut terrassé par l’angoisse. (page 64)
L’auteur, habitué à gérer courageusement les groupes (voire les troupes) puisqu’il fut professeur, est aussi rompu aux connaissances liées aux merdiers provoqués par les guerres et leurs opacités, aux trafics transfrontaliers, aux échanges économiques plus ou moins véreux et autres politiques géo-stratégiques plus ou moins foireuses, puisqu’il était professeur d’Histoire. Sa bibliographie (nous citerons La grande peur du petit Blanc, paru également chez Goater, où il était question du triste destin du grand-père de Farid Laïfaoui, devenu ouvrier chez Citroën à l’usine de La Janais après avoir été partie prenante dans l’indépendance de son pays, de la question coloniale à l’époque de l’Algérie française et des répercussions à répétition de ce conflit dont nous subissons encore les peu glorieux contrecoups, car les guerres ne sont jamais indolores ni propres) en témoigne.
Dans ce polar, de dimension européenne, n’ayons pas peur de le dire, F. Paulin nous embarque donc cette fois-ci, non pas dans les méandres du conflit algérien, mais dans les coulisses de la guerre d’ex-Yougoslavie, qui généra trafic d’armes, errance de mercenaires en situation post-traumatique, profusion de mafias et d’opérations en tout genre – mais surtout du genre prohibées – et peut-être aussi une banalisation supplémentaire de la violence extrême. 600 coups par minute, vous l’aurez compris, nous impose son tempo endiablé. Il y a de l’action : fusillades, poursuites, guet-apens, règlements de comptes, souricières, fuites, combats inégaux, passages à tabac, exécutions sommaires, franchissements audacieux de barrages policiers, braquages… Mais aussi, car l’auteur est généreux, de l’émotion, des rebondissements, des trahisons, des repentirs, des amours européennes, des coups du sort, des coups de folie, des surprises et des frontières traversées en go-fast. Ce qui explique, bien entendu, pourquoi il y a une telle profusion de personnages (cf. par exemple l’énumération introductive, et qui plus est non exhaustive, des forces de police en présence). Et là, les lecteurs de ce dernier opus de Frédéric Paulin, qu’on espère nombreux, seront comblés de se retrouver en aussi bonne et opulente compagnie : ils croiseront des criminels de guerre, des dealers, des démons, d’anciens légionnaires, des flics corrompus, des psychopathes, des balances, des matons pervers, des mafieux vénaux comme il se doit et des gangsters aux fortunes diverses et aux trajectoires plus ou moins violemment écourtées. Bref, inutile de s’étendre plus longuement, 600 coups par minute est aussi copieux que documenté, aussi coloré que romantique, aussi inspiré qu’instructif. Vous pouvez m’en croire.