Vous voilà férus d’art contemporain après votre passage à la Courrouze ? Parfait ! Vous êtes donc mûrs pour le Frac.
On rencontre à nouveau dans l’écrin somptueux du FRAC Bretagne cette articulation en triptyque. La colonne vertébrale de l’exposition nous propose d’explorer ce qu’est le travail d’un artiste. Partant de là, de multiples ramifications nous permettent de porter notre regard sur le monde du travail et l’économie à travers 3 étapes : le plaisir dans l’acte de création, les difficultés dans la création pour enfin parvenir à la création artistique comme outil de réflexion. Et pourtant, si le travail de l’artiste est bien au cœur de ce parcours, il vient interroger notre propre rapport au travail. Serions-nous tous des artistes ou les artistes sont-ils des travailleurs comme les autres?
À dire vrai, les 2 premières parties de l’exposition sont d’un abord plus difficile. Elles se concentrent sur la démonstration qu’un artiste est bien un travailleur comme un autre mais sans encore tout à fait faire écho au monde du travail dans sa globalité.
On y retrouve une œuvre monumentale de Michael Beutler, The Garden, qui abolit la distinction entre production et exposition. Ces immenses cocottes en papier sont présentées dans tous leurs états de mise en œuvre, du papier en rouleau au pliage final en passant par la presse et les pot de colle ou de peinture.
Dans le même espace, on trouve une longue vidéo de Koki Tanaka : A pottery produced by five potters at once (silent attempt) qui nous montre la création collective d’une poterie, en tant que somme des idées du groupe. À faire dimanche 5 octobre : participer à la performance de Koki Tanaka Precarious tasks #12 Walking with dogs (http://www.lesateliersderennes.fr/edition-2014/performance-activite-collective-de) et devenir acteur du process de création.
Bref. L’artiste a des outils comme l’artisan, un ordinateur comme l’employé de bureau, rencontre des difficultés… Mais on n’en doutait pas.
Niché au sommet du FRAC, le final de l’exposition reprend un angle plus universel en proposant cette fois la création artistique comme témoin du monde économique. Alors que la grande majorité d’entre nous se retrouve noyée dans un ensemble de règles, de codes du quotidien professionnel sur lesquels on finit par ne plus avoir aucun recul, l’artiste devient témoin, interpelle, dénonce. Les œuvres proposées au dernier étage sont puissantes, à l’instar de cette collection de vêtements faits de chiffons et désertés de leurs occupants sous un panneau annonçant : « liquidation totale » (Mister Trapo de Gaspar Libedinsky).
Ou encore l’excellente vidéo de Marianne Flotron, Work : 2000 salariés d’un grand groupe d’assurances déjeunent sans regarder les comédiens qui leur proposent de s’interroger sur leurs relations au travail, qui détaillent la violence de leurs rapports cachée sous la bienveillance calculée du manager poussant à toujours plus de productivité, alimentant la rivalité jusqu’à mettre en péril la vie personnelle. Ces spectateurs, qui n’ont rien demandé, se rendent à peine compte de leur présence. Le travail rend-il aveugle et sourd? Et pourquoi travaillons-nous si « le plus grand luxe, c’est de ne rien acheter » ?
Gareth Moore, à travers son installation An ultrasonic flute, interroge l’identité et le rapport au travail : un stand de marché est occupé par un dératiseur de cire entouré de rats morts et de produits de dératisation. Mais il peint. Et derrière le stand surmonté d’une flûte discrète, on découvre des aquarelles enfantines. Le lien avec le conte du Joueur de flûte de Hamelin est évident. Mais qui est ici le joueur de flûte qui entraine rats et enfants vers la rivière? Le dératiseur/travailleur est-il un rat à entrainer au son d’un pipeau vers une destination inconnue ?
Si l’art était bien un jeu à La Courrouze, le travail l’est beaucoup moins au FRAC. Par contre, l’art est définitivement pensée et s’impose comme un outil incontournable de réflexion pour nous tous, ici sur le monde du travail et de l’économie. Merci.