Le dernier film de Peter Greenaway n’est pas forcément très facile d’accès. Encore faut-il être averti. Pas spécialement connaisseur mais plutôt conscient de quel genre de film nous allons voir.
Vous ne pourrez plus voir ce film au cinéma, sauf reprogrammation future dans un cinéma d’art et essai. La dernière séance au TNB avait lieu mardi 18 février. Mais vous pourrez encore le voir à la télévision, l’acheter en dvd, ou encore le regarder très prochainement en streaming. Et il le mérite. Peter Greenaway livre son deuxième volet consacré aux peintres hollandais. Dans le premier, La ronde de nuit, il glose autour de la genèse de l’œuvre maîtresse de Rembrandt. Pour ce deuxième volet, il livre une biographie subtile, théâtralisée, onirique, maniériste, de l’artiste peintre Goltzius et rend hommage aux grands maîtres hollandais et allemands, de Cranach l’Ancien (et aussi le jeune) à Dürer. On assiste donc à des mises en scène splendides, de véritables tableaux où les couleurs et les jeux de clairs obscurs appuient l’hommage (et dépasse même le simple hommage) et servent le discours. Quel discours ? Et l’histoire ?
Goltzius est un célèbre peintre et graveur hollandais du XVIe siècle. Peter Greenaway reprend ce personnage et s’en sert de prétexte pour parler du sexe, de la mort et de l’artiste, de ses contraintes. Ce célèbre peintre a beaucoup voyagé, en Italie principalement (où il s’est inspiré des grands maîtres maniéristes italiens) et le réalisateur le fait passer, dans son film, par la cour d’Alsace. Goltzius (joué avec brio par Ramsey Nasr) souhaite plus que tout ouvrir une imprimerie pour y éditer des livres illustrés. En particulier l’Ancien Testament et Les Métamorphoses d’Ovide. Pour cela, il sollicite l’aide du Margrave (Marquis) d’Alsace, magnifiquement interprété par F. Murray Abraham. Il lui promet un livre sublime avec de merveilleuses illustrations des histoires érotiques de l’Ancien Testament, les contes de Loth et ses filles, David et Bethsabée, Samson et Dalila, Saint-Jean-Baptiste et Salomé… Pour justifier une telle entreprise, il propose au Margrave de mettre en scène ces histoires pour sa cour. Il représente alors 6 tableaux, correspondant aux 6 tabous sexuels de la Bible. Chacune de ces scènes se constitue comme un hommage aux maîtres hollandais. Pour le premier des tabous, nous nous retrouvons alors plongés tout à la fois dans l’univers théâtral de Greenaway, dans l’Adam et Eve de Cranach l’Ancien et dans le conte biblique. Le mélange est subtil, parfaitement orchestré. Et toutes ces scènes s’articulent, se mêlent et se confondent progressivement aux intrigues politiques et érotiques de la cour. Le résultat est excellent.
Le corps est sublimé, érotisé.
Alors, oui, il y a des scènes osées. Quelques personnes sont sorties de la salle, par exemple, alors que l’on voyait à l’écran l’érection d’un homme. D’autres alors qu’un homme punissait par la sodomie le crime de sodomite. Ce dernier épisode me semblait de trop aussi. Mais pour ce qui est de la nudité et du sexe dans ce film, elle est abordée par le prisme du maniérisme italien justement. Les corps sont beaux. On croirait voir, ici, les muscles moins saillants, le dos d’Hercule Farnèse (gravure du même Goltzius). Le corps est sublimé, érotisé, mais jamais, même lors des scènes d’amour, vulgaire. Certains seront choqués alors qu’à la télé, au cinéma, les scènes vulgaires pullulent ; ici, on assiste à un véritable éloge du corps. Par ces mises en scène sur les tabous sexuels, le réalisateur cherche à en terminer avec ces mêmes tabous. Il cherche plutôt à s’émanciper de ces tabous pour permettre une réflexion plus aboutie sur ce qu’est le sexe pour l’Homme. Pas de vulgarité donc, selon moi.
Enfin, on pourra objecter qu’il s’agit d’un film pour amateurs d’art ancien, pour spécialistes, etc. Non ! C’est un film particulier, avec une mise en scène originale, un discours peu courant. Mais, la narration permet au spectateur de suivre, même sans connaître, l’histoire et de redécouvrir, voire de découvrir ces fameux contes bibliques. Aucune connaissance n’est requise pour comprendre ce film. Il en faut pour décrypter des passages, s’amuser à trouver des références. Mais on peut l’apprécier aussi sans cela. Et peut-être même qu’alors, cela poussera la curiosité des profanes en la matière. Ce film est un bijou, tant sur le plan plastique et esthétique qu’intellectuel.