Piochant au hasard dans des piles de livres, nous avons retenu une sélection avec un fil rouge, des livres animés par le désir. Oui mais lequel ? Petit florilège de lectures marquantes entre fictions, bande dessinée et poésie. Pour le désir de lire aussi.
■ Le désir qui brise les codes : Queen kong d’Hélène Vignal
C’est un texte court que ce Queen Kong (en clin d’œil à King kong Théorie de Virginie Despentes). L’histoire d’une jeune femme qui écoute ses désirs sexuels, quelque soit le prix du regard des autres. L’histoire d’une jeune femme qui apprend aussi. Qui découvre. Qui termine dans un autre espace de liberté. Un texte brut, à la langue crue, qui envoie balader les codes, la liberté en bandoulière et le désir au ventre. Jusqu’à pouvoir trouver son blase, son propre blase, pour envoyer balader les étiquettes.
« Si tu veux du sexe sans amour, si tu veux démêler les deux, le temps de comprendre quelque chose il faut être prêt à payer la note. On te le pardonnera pas. En tous cas si t’es une meuf. » P. 22
L’ardeur / Thierry Magnier – 15 septembre 2021 – 96 pages -12,90€
■ Le désir de changer sa condition : Glisser nue sur la rampe du temps de Souad Labbize
Quand elle ne publie pas de la poésie bilingue aux éditions des Lisières, l’autrice Souad Labbize délivre quelques nouvelles. Un petit livre sous titré « Récit en fragment » : ils sont sept, sept morceaux aux titres de couleurs qui nous emmènent en Tunisie, où l’avortement est permis. Qui nous font accompagner l’abandon d’une petite fille sous des bombes en Algérie, ou de Tama, qui, presque simplement, s’en va ailleurs. Des fuites, souvent, au souffle coupé, parfois, mais qui rassemblent tout l’air de la liberté emprunté par ces différentes femmes. Sept histoires individuelles reliées par un fil invisible, tracé par la plume inspirée de Souad Labbize (qui n’a pas manqué de mettre quelques lignes de poésie pour chaque introduction). Sept perles pour Glisser nue sur la rampe du temps.
« Seul le silence entre ces deux femmes entourées de plaintes, de cris et de portes qu’on claque, tresse un pont les liant à leur insu. Ces deux êtres pourraient se reconnaître, chacune semble recluse dans une aile de la même forteresse ». P. 54
Éditions Blast – 27 août 2021 – 80 pages – 11€
Illustration de couverture : Annie Kurkdjian, Sans titre, 2019
■ Le désir de jouir : Le plaisir de Marina Hesse
On ne vantera pas assez le travail graphique de Marina Hesse, qui a désormais signé plusieurs ouvrages chez l’éditeur Presque Lune. Ici pas une bande dessinée mais un ouvrage illustré où l’autrice raconte son cheminement vers le plaisir sexuel, le sien. Entre figures féministes inspirantes, schémas anatomiques et petits récits personnels, on suit pas à pas un éveil à la sensualité, une progression décrite explicitement mais avec sensibilité. Ici et là et motifs floraux qui ornent des clitoris, des portraits colorés, et une lecture qui gomme hontes et culpabilités. Pour le plaisir, donc.
« Nous avions beau être au courant de l’existence du clitoris, cette planète inconnue, l’inexpérience de mon amoureux pour le toucher et la mienne pour l’explorer me laissaient sur ma faim, m’empêchant d’obtenir un orgasme digne de ce nom (…) Et si mon problème venait d’un défaut de fabrication ? »
Presque Lune – 5 septembre 2019 – 160 pages – 22€
■ Le désir de s’écouter : Symptômes de Catherine Ocelot
Véritable coup de cœur bande dessinée que ce Symptômes, ouvrage coloré et graphique, deuxième publication de la québécoise Catherine Ocelot. Tout part d’interrogations sur l’hypocondrie grâce à la sortie d’un nouvel épisode de Grey’s anatomy. Puis, rapidement, de petites touches d’humour, glissées ici et là. Des ruptures graphiques, le récit des liens entretenus avec d’autres personnes, des fils qui s’entremêlent et deviennent parfois pointillés dans le dessin : Catherine Ocelot varie les planches, et progresse entre dialogues plus ou moins salvateurs, paysages silencieux, et de petites vagues de mélancolie. À lire impérativement face à n’importe quels Symptômes !
Éditions Pow Pow – Janvier 2022 – 288 pages – 26€
■ Le désir de jouir (encore) : À pleine mains d’Amandine Dhée
C’est quoi le désir ? Quelle place prend-il dans nos sociétés d’aujourd’hui ? Trois ans après La femme brouillon, l’autrice Amandine Dhée signait avec à mains nues un petit texte d’interrogations, un petit texte pour parler sexualité, féminisme, égrenant les expériences, notions de couple et de célibat. Et des questions encore, jusqu’à celles de la vieillesse à venir. Sans tabou ni sans grande leçon, Amandine Dhée prend à pleines mains, celles qui sont nues, celles du corps, de quoi arracher son désir aux normes préconçues.
« Et quand on jouit, encore faut-il jouir de la bonne façon. Car nos fantasmes nous encombrent. Ça veut dire quoi de jouir en s’imaginant pute ou salope ? Cela signe-t-il notre défaite ou notre victoire ? (…) À force de rêver du cul politiquement correct, on s’empêcherait presque de jouir. Quand cesserons-nous d’avoir peur de nous mêmes ? » P. 51
La Contre allée – 2 avril 2020 – 137 pages (existe aussi en poche)
■ Le désir en rade : Toute seule de Clotilde Escalle
Toute seule de Clotilde Escalle n’est pas à franchement parler un livre marrant. L’histoire d’un couple, lui peintre alité, elle, plus jeune, coincée dans un village à tenter de vendre les tableaux de l’homme qu’elle a aimé. Et qui est devenu détestable. Mais sûrement qu’elle aussi. C’est l’histoire d’une dérive, d’une confrontation dans un naufrage, presque un huit clos dans les murs de l’ancienne boucherie que les protagonistes occupent. Un récit qui frise l’étrange où s’entremêlent ennui crasse, nostalgie, éclats de poésie, décor déshérité qui permettrait presque de lire derrière le papier peint qui se décolle. Et l’écriture, encore, pour tenter un pas de côté, un pas de plus, un pas en avant.
« Dans les arbres, là-bas, au fond, dans le ciel, sur la haie du voisin taillée au cordeau, dans les sourires et les poignées de mains, elle marche. Elle marche partout où elle peut. Marche dans le souvenir, dans l’abandon, l’acceptation. Allume le minuscule poste de télé : ça neige encore à la campagne. Allume le décodeur : : et revoilà la crise, l’euro, la guerre, le voile, les bombes. Eteint la télé. Seuls luisent les mots rampants de l’enfermement et de la séparation. » P. 115
Quidam éditeur – octobre 2021 – 212 pages – 20€
Illustration : Claire Dubois-Montreynaud
■ Le désir de prolonger une existence : Pourquoi pas la vie de Coline Pierré
Hiver 1963. La poétesse Sylvia Plath, alors mère au foyer à Londres, se suicide. 30 ans, c’est trop jeune pour mourir, alors l’autrice Coline Pierré réinvente l’histoire : dans Pourquoi pas la vie, Sylvia Plath ne meurt pas et continue sa vie d’autrice. Au fil des quatre saisons, luttant contre la dépression, toujours ses deux bambins à charge, Sylvia Plath se bat contre le patriarcat et s’occupe désormais de la mise en scène musicale de son unique roman, La Cloche de verre (renommée ici de manière positive à la place de La cloche de détresse). Londres en toile de fond (Beatles à l’appui!), extraits de textes, Coline Pierré nous donne envie dans ce premier roman de suivre cette folle aventure : la prolongation d’une existence à travers les lignes.
« Elle n’en a que l’intuition, Sylvia, mais autour d’elle aussi, c’est tout un monde qui commence à se transformer. Un monde qui fondait sa prétendue stabilité sur le contrôle du corps des femmes. Personne ne sait si ce sera encore long, que, chaque fois qu’on soulèvera une pierre du patriarcat, on découvrira un iceberg. P. 165
L’iconoclaste – 17 mars 2022 – 320 pages – 19€
■ Le désir des mots : Au bord du bord, Laura Lutard
Premier recueil et fragments poétiques, ceux qui font écho à la rage, l’amour, l’intime et le collectif. Laura Lutard écrit, par bribes, éléments éparpillés mais réunis sur des lignes filantes. De la poésie, juste pour le désir des mots.
« Griffer jusqu’aux flammes
Les typographies administratives
Du brasier ardent de vos lois
S’engorger d’un combustible voyageur
Assembler les mutilations
En robe de dentelles
Sans sexe
A exhiber sur le bitume terre battue et marécages
Que les fureurs se mettent en boule
Et que la partie commence. »
P. 48
Editions Bruno Doucey – 7 avril 2022 – 80 pages – 13€