C’était l’une des dernières soirées du festival Mythos édition 2022. Une soirée de retrouvailles sur la scène du TNB avec Sébastien Barrier. Une soirée comme une balade en camion sur les vitres duquel se reflétaient la vie, ses chutes et ses résurrections. De Locmiquélic à Douarnenez. C’était une soirée où l’art de la parole a commué le présent en célébration. En cérémonie poétique hybride teintée d’humour, de sincérité et de tendresse. Pour aller mieux.
C’était une cérémonie en compagnie de Sébastien Barrier (dont vous pouvez retrouver l’interview par ici). Marin prêcheur, acteur, auteur, conteur, performeur, vidéaste, bidouilleur de sons et transmetteur de cœurs qui battent. Souvent à l’envers. De cœurs qui continuent à battre après la mort. Pendant trois heures, le funambule des mots manie le langage des disparus. Manie la langue des présents. Magnifie ses héros. Ses cinq saints. Yves Tanos le curé ivoirien de Morlaix. Le poète Georges Perros. Claude Barrier son père. Andrew Fearn et Jason Williamson, le duo de Sleafords Mods. Il parle de lui surtout. À l’aune de ceux qui vont mieux, Sébastien Barrier parle de son Je. « Dire je est incomparablement plus modeste que dire nous » écrivait Georges Perros assis près de son silence dans un rade du port de Douarnenez.
C’était une cérémonie dans les pas de ceux qui tombent, de ceux qui se blessent, de ceux qui se prennent les pieds dans les mailles du filet des jours de mauvaise pêche, de ceux qui sautent dans le vide des jours de finitude. Ceux fragiles, perdus, naufragés, noyés. Pour aller mieux, il faut ne pas avoir été bien. Le dépression rôde. Sébastien Barrier actionne des poulies sur scène. Des poutres sur scène. Les poutres bougent, cognent, se fracassent sur scène. Les poutres dans la tête. Les poutres dans l’œil du quotidien. Quand le baleinier tambourine dans le ventre. Exposer son visage à découvert, ses addictions à corps perdu, ses sorties de route. Exposer les blessures. Sur la peau accidentée d’un visage paternel méconnaissable. Sous la peau des maladies invisibles qui entaillent le réel. Apories. Les mots du Je racontent les peaux brûlées à l’intérieur. La peau de clown dans une autre vie et la peau de baladin des routes bretonnes et d’ailleurs. La peau de bienveillance surtout. S’ouvrir à l’autre. Devenir l’ami du sondeur de chez Mediamétrie. Du schizophrène un peu comme nous. S’arrêter à proximité des passants. Passer. Écouter. Soigner. Affûter les mots pour recoller les vies en morceaux. La vertu laudatrice des mots.
C’était une cérémonie de retrouvailles avec ceux qui survivent. Parce que « les survivants sont toujours plus beaux ». Unis par les liens du sang. De la paternité et de la transmission. Sébastien Barrier transmet à son enfant ses collages, ses récits, ses instantanés. Ceux qui vont mieux, c’est l’héritage des pères et des fils. De Sébastien Barrier à son fils Abel. De Claude à son fils Sébastien. D’Abel à son fils Claude. De Georges Perros à son fils Fred. De son père spirituel à Vincent le curé. Les cordes, les poutres, les corps, les incantations, les aveux, les anecdotes, les chansons tissent les liens du père au fils. L’enfant donne sens au collage. Faire lien. Pour aller mieux.
Ceux qui vont mieux écoutent Sleaford Mods. Éructer. La colère. La rage. La révolte. We Feel so wrong. Fuck off. Corps qui danse et voix qui ventre de Sébastien Barrier. Faire lien. Établir le contact par textos. Dear Andrew. Dear Jason. La force tellurique de la musique c’est le post-punk anglais de Sleaford Mods. La force centrifuge de l’existence c’est l’amour. Faire lien. Élisa et une main caresse dans le dos. Oser l’amour. Oser l’engagement. Oser la confiance. L’enfant assis à l’arrière du bateau. La confiance comme bouée de sauvetage hors-champ. Confiance, sérénité, apaisement. Faire lien.
Le funambule a trouvé son équilibre.
N’aie pas peur papa, dit Sébastien Barrier. N’aie pas peur la paternité. N’aie pas peur l’angoisse. N’aie pas peur la mort.
« C’est comme si Jojo était un peu là » dit le fils du poète.
C’est comme si les absents ne nous quittaient pas.
N’aie pas peur papa est là.
Le funambule célèbre la vie.
Ceux qui vont mieux célèbrent Sébastien Barrier.