La pièce de Kae Tempest, Wasted, est à voir au festival Mythos dans l’adaptation puissante de Delphine Battour (Zamak Cie). Le cri de rage d’une génération en perte de sens.
Ted, Charlotte, Dan. Et Tony. Trois ami·es, plus un. Les trois premier·ères se retrouvent comme chaque année au pied d’un arbre en hommage au quatrième, décédé à 15 ans. Il s’est passé dix ans, et pour chacun·e, la vie n’est pas telle qu’elle aurait dû être. Amours déçues, désillusions et nostalgie ont pris le pas sur les rêves de jeunesse. Le texte de Kae Tempest, qui écrit des poèmes, des romans et fait du rap, nous invite, le temps d’une boucle temporelle de 24 h, dans l’intimité de ces jeunes adultes fracassé·es (« wasted », en version originale). Les années passées, avec puis sans Tony, remontent à la surface par bribes. Des choses déjà dites, des gestes déjà esquissés, se répètent. Les acteurs et actrices traversent les émotions provoquées par l’euphorie de la fête, accentuées par les drogues, puis par la descente. Par ses interventions entre chaque scène, le chœur nous questionne sans cesse, exprimant le cri de rage d’une génération blasée de tout.
« Au bout de ces 24 h, on se demande si rien n’a changé ou si tout a été bouleversé dans leurs univers. » Mathilda Gustau
Dans son adaptation, Delphine Battour et sa collaboratrice Mathilda Gustau ont décidé de changer le genre de Dan, masculin dans la version originale. Un parti pris, validé par Kae Tempest, qui fait écho à son choix d’être défini·e comme étant de genre neutre. Pour la metteuse en scène, c’est aussi et surtout une façon de faire exister la communauté LGBTQI+ dans l’espace public. Chacun·e doit pouvoir s’identifier à la situation amoureuse de Dan, quels que soient son genre et son orientation sexuelle.
La pièce s’est étoffée au gré des résidences, notamment grâce à la coopération Itinéraires d’artiste(s), programme d’accompagnement entre les villes de Rennes, Nantes et Brest. En 2020 à la Paillette puis à l’Aire libre, ses créatrices ont travaillé sur les enjeux de l’adaptation du texte, par rapport au changement de genre de Dan mais aussi du point de vue de la traduction. Elles ont choisi de conserver en version originale les interventions du chœur, pour ne pas perdre le rythme de l’écriture de Kae Tempest, dont on connaît l’intensité des performances de spoken word. Ces passages en anglais surtitré sont accompagnés de la musique originale de Raphaël Mars, composée in situ lors d’une autre semaine de résidence à la chapelle Derézo à Brest. Pendant la rave-party, climax de la pièce, c’est l’introspection qui prime. À la place d’une bande-son techno, l’artiste a écrit une mélodie mélancolique comme toile de fond aux considérations des trois jeunes adultes sur la vacuité de leurs vies.
« On espère que notre adaptation plaira [à Kae Tempest], qu’elle sera fidèle à l’émotion qui lui a fait écrire ce texte. » Mathilda Gustau
Sur la scène, l’écran vidéo ajoute une dimension supplémentaire. D’abord grâce à des séquences d’introduction et de conclusion, tournées en amont par la vidéaste Clémence Lesné avec les acteur·rices. Ensuite comme prolongement des échanges entre les trois personnages. Textos, appels, selfies, stories Instagram apparaissent ainsi en temps réel. Les spectateur·rices auront d’ailleurs la possibilité de réagir en direct sur le compte Instagram d’un des personnages, ouvert pour l’occasion. Une manière de plus de se sentir encore plus proche de ces trois fracassé·es, représentant·es d’une génération en proie au doute.
Fracassé·es sera présentée à la Maison du théâtre à Brest le 31 mars (complet, sur liste d’attente) et les 7 et 8 avril à la Paillette à Rennes, dans le cadre du festival Mythos.