Dangereuses lectrices #3: Noémie Grunenwald

Suite à un problème technique sur notre site, nous n’avons pu diffuser samedi 25 septembre, notre dernière chronique autour d’une invitée du festival Dangereuses lectrices. Nous la postons aujourd’hui. Avec Noémie Grunenwald, co-traductrice et éditrice de Stone Butch Blues de Leslie Feinberg (mais également de Dorothy Allison, Bell hooks, Julia Serano). Un chef-d’œuvre queer qui marque les esprits à l’encre noire. Pour longtemps. Un coup de cœur/coup au cœur partagé à l’Imprimerie Nocturne.

 

affichepourwebsanslf400-1516365784501-1ded354bbd384ef38a6cb21182827760« Souvenez-vous de moi comme d’une communiste révolutionnaire » furent les derniers mots de Leslie Feinberg recueillis par Minnie Bruce Pratt sa compagne pendant plus de 22 ans. Le·la militant·e transgenre, activiste  antiraciste et féministe livre avec Stone Butch Blues (sorti en 1994 aux États-Unis) un remarquable et poignant roman non-binaire en partie autobiographique. Qui raconte un pan du mouvement LGBT naissant. Jess Goldberg né·e dans le nord des États-Unis dans les années 1950 au sein d’une famille juive et ouvrière. Très jeune, iel subit la haine du genre et se trouve en permanence confronté·e à la question « C’est une fille ou un garçon ? » à laquelle iel ne souhaite pas répondre. Jess quitte sa famille à 16 ans pour rejoindre le monde des bars et d’une communauté  de butchs, fems et drag queens. Pendant 20 ans, de Buffalo à New York, iel va apprendre à survivre à un acharnement de la police et un environnement masculinistes qui s’en prennent sauvagement à celleux qui ne sont pas hétéronormé·es.

Moi non plus je ne veux pas d’une nouvelle étiquette. J’aimerais juste qu’on ait des mots assez jolis pour sortir sans aucun autre but que de les crier haut et fort.

Stone Butch Blues, déflagration d’homophobie, de transphobie, d’antisémitisme et de classisme qui déchire les tripes, électrifie le ventre de colère et inonde les yeux de larmes silencieuses.  Une complainte  de chairs violées et de mâchoires cassées. Avec l’image d’un océan en filigrane pour s’échapper du drame en cours et la douceur de la narration poétique de Leslie Feinberg pour contrer une douleur lourde comme un chêne coincée au fond de la gorge. Que personne ne peut effleurer, comprendre, envisager. Juste recevoir les mots de Jess avec bienveillance et l’envie permanente de la prendre dans des bras immenses pour  murmurer « ça va aller maintenant ! »

Une partie de ce cauchemar était liée au fait que tout semblait aller de soi. Je ne pouvais pas l’arrêter, je ne pouvais pas m’échapper, alors j’ai fait comme si ça n’était pas en train de se passer. J’ai regardé le ciel, si pâle et si calme. J’ai imaginé que c’était l’océan et que les nuages étaient des vagues à têtes blanches.


Stone Butch Blues, cartographie de la solitude, de l’enfance à la quarantaine. En dépit de l’affection, de la solidarité, de l’entre-aide d’une communauté soudée. SeulE dans son parcours de transition, Jess évolue constamment dans son identité de genre. Son corps massacré devient froid et douloureux comme la pierre. Une stone butch donne du plaisir mais ne peut être touchée après les agressions. SeulE parmi les autres toujours. Mais les poings levés. À force d’emplois précaires en usine, Jess devient militantE syndicale. Au fil des lignes, Leslie Feinberg développe un puissant manifeste anticapitaliste autour de la nécessité de l’engagement militant sur fond d’enjeux sociaux : combat pour les droits civiques, libération des femmes, remise en question des normes et des contraintes liées au genre, grèves ouvrières pendant la crise économique jusqu’aux émeutes de Stonewall, fondatrices de la lutte LGBTQI.

J’ai écrit ça, non pas comme une expression artistique individuelle « élitiste », mais comme un tract imprimé par un·e syndicaliste prolétaire – comme un appel à l’action.

Stone Butch Blues, une galerie de personnages inoubliables. Une quête d’amour inépuisable. Un récit intime d’un·e butch pour les butchs. Leslie Feinberg ouvre une fenêtre sur son histoire et par ricochet sur les révoltes de sa communauté. Une œuvre référence à évoquer avec discrétion. Pour laisser la parole à celleux qui possèdent peu ou prou d’espace littéraire. Pour que les mémoires s’imprègnent de la beauté sombre des mots de l’auteurice sans les polluer avec des analyses culturelles, sociologiques ou psychologiques normatives cis-genres. Juste remercier Leslie Feinberg pour ce legs bouleversant et précieux de tendresse, de courage, de fierté et de résistance.

Je ne dis pas qu’on verra une sorte de paradis de notre vivant. Mais le simple fait de se battre pour le changement, ça nous rend plus fort. Tu te demandes déjà si le monde peut changer. Essaie d’imaginer un monde dans lequel ça vaudrait le coup de vivre et demande-toi ensuite si ça ne vaut pas la peine de se battre pour ça…

* Leslie Feinberg a choisi de retirer ce roman du marché capitaliste. En accord avec sa volonté, ce livre est vendu à prix coûtant et ne sert aucun profit. L’intégralité du texte est disponible gratuitement sur internet.

Stone Bucth Blues, auto-fiction de Leslie Feinberg – Éditions Hystériques et Associé·es – Paru le 25 septembre 2019 – 546 pages – 16 €.

Dangereuses lectrices Karine Baudot-7Noémie Grunenwald au festival Dangereuses lectrices lors d’une table ronde intitulée Sororité militante en compagnie de Wendy Delorme. L’autrice y a présenté en avant-première son essai Sur les bouts de la langue, traduire en féministe/s (éditions la Contre Allée). De l’importance des mots et des récits comme force de combat anti-patriarcat et de révolution féministe.

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