Feu ! Chatterton, un groupe habité par les mots revient ce mois-ci avec un nouvel opus teinté de rétro-futurisme. Palais d’argile, ou quand le temps est peut-être moins friable qu’il n’y parait.
Feu ! Chatterton est un groupe français habituellement caractérisé par (surtout) de la pop et du rock. Cette fois-ci, l’électronique prend plus de place ; pour la composition sonore de Palais d’argile, le groupe a travaillé avec des synthé analogiques des années 80, ce qui donne une coloration rétro-futuriste à cet album. La collaboration avec le musicien et producteur d’électro français Arnaud Rebotini (il a fait la bande son du film 120 battements par minute) annonce treize titres dans une ambiance légèrement cyber-punk.
Cet album de 66 minutes fournira 2 titres pour la mise en scène d’une future comédie musicale, La grande magie de Noémie Lvovsky ; ce qui peut déjà donner une piste sur le fil conducteur narratif de l’album. Il y a évidemment plusieurs lectures à y décrypter : Le rapport au temps est abordé via l’accélération d’aujourd’hui, la distance physique, voire la perte de sensibilité. Un peu morose, mais il s’agit d’un regard lucide sur ce qui se passe dans nos vies, et en particulier en temps de covid-19. Heureusement, la poésie est au rendez-vous. Les paroles de tout l’album évoquent l’actualité du monde. Mais quel monde ? Peut-être celui du 6ᵉ continent : non palpable et virtuel, celui d’Internet.
Dans « Monde nouveau », les mots disent clairement qu’on ne sait plus faire grand-chose de nos mains, qu’on attrape seulement le bluetooth. Dans « Cristaux liquides », on entend qu’il y a une caresse d’un visage sur une surface tactile. C’est vrai que maintenant, on archive nos souvenirs dans nos téléphones. Le smartphone hante le début de cet album. Feu ! Chatterton interroge ce qu’il reste des matières que l’on ne peut pas réellement toucher. Le champ lexical d’Internet permet de détourner la fenêtre du monde dans laquelle on est en grande partie plongés dans la vie de tous les jours. « Écran total » est au cœur de l’album car le palais d’argile fait son apparition, et un reptile-roi habite un palais mou. Cette seconde histoire dans la première histoire des flux d’Internet, introduit une micro-fiction, celle d’un crocodile. Dans « Écran total », le palais d’argile accentue l’oxymore de la solidité de l’architecture et de la mollesse de la matière du château. Peut-être peut-on penser à l’actualité déferlante ? Ce qui expliquerait les cris du chanteur dans ce titre. Sa voix s’époumone : « nous aussi on peut en faire des euros sur ton dos / on te jette des pièces comme sur les crocos du vivarium ». Dans le quatrième titre « Avant qu’il n’y ait le monde », la cadence est lente comparé au titre précédent. Le sens de l’identification du visage peut permettre de s’interroger sur la mise en valeur des moments que l’on traverse et que l’on photographie. Le chant évoque les pulsations du cœur qui ne vont pas plus vite, il est peut-être froid comme celui des reptiles. Dans « Compagnons » est décrite l’ambiance dans un collectif, plus joyeuse, même dans les mauvais jours, signe de l’énergie de groupe, propre à Feu ! Chatterton depuis une décennie (nous nous souvenons d’ailleurs d’une de leur venue au festival Mythos…).
« Que mon âme soit lavée ce soir / qu’au matin je renaisse »
Avec le titre « Confins », les couplets sont parlés, la poésie devient mélancolique. Il est question d’exil et de renouvellement. La transformation se fait entendre : « Que mon âme soit lavée ce soir / qu’au matin je renaisse ». Le rythme du son électronique fait penser aux pulses sonores du musicien Chapelier fou (qui a d’ailleurs produit le bel album Méridiens en mai dernier). Pour revenir à Palais d’argile, dans le titre « La mer », est une berceuse. Il y a la mer à embrasser et la terre à oublier. En fait, il s’agit de la grande traversée par la mer. Ici, l’eau est froide et incertaine. Il y a deux histoires imbriquées. La première c’est l’eau qui est métaphorisée par une approche rassurante, mais cette mer connaît l’envers du décor et elle raconte l’histoire cruelle de cette traversée : celle des personnes qui ne reviennent jamais et dérivent sur la terre. Ce n’est pas pour rien que les derniers vers évoquent la couverture de survie : « Chut, ne faites pas de bruit. Là, un enfant dort. Sous un grand drap d’or. » Dans le septième morceau « Libre », les mots indiquent les mouvements des vagues. Les souvenirs évoqués font apparaître les paysages du Sud. Les paronomases du chanteur qui imagine des matières inertes que l’on peut à notre tour imaginer vivantes. Ainsi « un or qui odore », « le zéphyr qui déchire » ou « les lits d’ancolies ».
Dans « Ces bijoux de fer », est abordé le thème de la protection de la famille et l’incompréhension de cette dernière. Cela peut amener à s’interroger sur l’importance du jardin secret, même dans les relations très proches. Les bijoux de fer peuvent alors être assimilés aux liens que l’on peut créer hors du foyer. Dans « Panthère », la musique est douce et annonce le dernier volet de l’album. Ici le texte est court. Il y a uniquement le son de la voix et d’une guitare. La voix chantée est très rapprochée du micro. C’est d’ailleurs une technique mi-chantée mi-parlée empruntée à Serge Gainsbourg.
Dans le onzième titre « Cantique », Arthur chante le printemps. Il chante la saison des amours. Dans le titre suivant « L’homme qui vient », la temporalité des images choisies par le langage provoque naturellement une accélération de la poussée des éléments naturels comme par exemple une herbe qui sèche ou une fleur qui fane. Le cycle de la vie naturelle, inévitablement. On peut imager grâce à ce titre, l’humain qui reviendrait à un état végétatif, se nourrissant uniquement de lumière. Pour le dernier titre « Laissons filer« , là il s’agit du temps qui défile doucement, de ce qui nous échappe naturellement, le destin imaginé depuis des millénaires dans les mythes d’autrefois. Pour finir, c’est un tempo de valse qui clôture l’album.
Palais d’argile – Un album de Feu ! Chatterton – 13 titres – sorti le 12 mars 2021.