Le plasticien Arnaud Labelle-Rojoux, né en 1950, travaille depuis 40 ans dans et pour le système du marché de l’art et est représenté par la Galerie Loevenbruck à Paris ; il publiait Duchamp dans la collection « Icônes » aux éditions François Bourin en novembre 2020 (devenues les éditions Pérégrines depuis ce mois-ci).
Arnaud Labelle-Rojoux dresse un portrait de, il faut le dire, l’énigmatique Marcel Duchamp. Il y décrit la vie d’enfance en Normandie, la peinture transmise par son grand-père maternel qui était un artiste rouennais du XIXᵉ siècle et puis le départ pour Paris (on se croirait dans un roman d’apprentissage). À la capitale il découvre les cubistes et leurs théories géométriques ou asymétriques qui ont fortement inspiré ses deux frères aînés. Mais voilà, Marcel Duchamp semble ne pas s’occuper des mêmes réalités artistiques que celles de ses frères. Il ne cherche pas à créer d’école ou de théories spécifiques. Il ne cherche pas la célébrité, et va faire de l’art parfois pour rire et parfois pour expérimenter la pensée, comme la réflexion d’un jeu d’échecs. Il expérimente et pense plusieurs années certaines de ces œuvres. Par exemple, pour La mariée il faut compter un total de vingt ans !
À 17 ans, Marcel Duchamp rejoint donc ses frères aînés à Paris. C’est la période de sa vie où il fréquente de nombreux humoristes, et pas forcément le cercle d’avant-garde du début du XXᵉ même s’il a été très influencé par le cubisme que l’on peut constater dans son fameux tableau Nu descendant l’escalier n° 2 refusé (évidemment) au Salon des refusés (illustration à droite). Nous sommes en 1904 et à ce moment-là, c’est l’époque de l’esprit des cabarets et de l’humoriste Alphonse Allais (allez jeter un œil à ses gravures monochromes avec des sous-titres absurdes). Effectivement, la poésie scénique du club des hydropathes en 1878 et le Chat Noir en 1881 initient des improvisations vocales et pianistiques et battent encore leur plein dans Paris. Les mises en scène provocatrices permettent de ne plus rendre le rire tabou. Et c’est très important pour comprendre le processus de pensée/travail de Marcel Duchamp. Il fréquente également le Salon des incohérents, où des artistes comme Toulouse-Lautrec ou Jules Féry masquent leurs identités sous formes de pseudonymes. Il y a également une influence très forte : celle du roman Impressions d’Afrique de Raymond Roussel. Marcel le considère carrément comme son coach spirituel.
Arnaud Labelle-Rojoux déclare que Marcel Duchamp se distingue « des artistes sans œuvre » (dont le critique d’art Jean-Yves Jouannais reprendra le titre pour une publication). Et c’est ce que l’on nomme la littérature hors du livre. « Il y a donc une littérature qui cherche d’autres voies que le livre pour élaborer des objets assemblant mots et idées » ; c’est pourquoi Marcel Duchamp s’intéresse aux procédés littéraires, et ça n’est pas pour rien qu’il fut plus tard coopté par l’OuLiPo !
Marcel Duchamp, c’est aussi un personnage dans un autre personnage. Autrement dit il détourne ses identités dans le but de créer des personnages fictionnels qui viennent alimenter ses œuvres conceptuelles. Il prendra par exemple le nom de R. Mutt pour signer son fameux ready-made Funtain en 1917, au Salon des indépendants de New York. Puis il opte pour Rrose Sélavy en travestissant son identité. Rrose revendique le féminin, à l’encontre de la figure masculine de l’art. Selon l’auteur (Arnaud Labelle-Rojoux), l’invention d’un pseudo revient à augmenter le réel. Ce qui semble paradoxal, mais le processus artistique n’est-il pas contradictoire ?
Les œuvres telles que celles qui ont été refusées en France au début de sa carrière, les ready-made, La Mariée et Étant donnés sont ici expliquées par Arnaud Labelle-Rojoux dans cette nouvelle publication de 144 pages.
À consulter pour aller plus loin :
https://www.oulipo.net/fr/oulipiens/md
https://www.franceculture.fr/emissions/une-vie-une-oeuvre/marcel-duchamp-1887-1968 > > > à la fin de cette page il y a de nombreux liens (INA, interviews, passion pour les échecs et le peintre Cézanne, des ready-made et de Dada)
Sur le super site Ubu-Web fondé par le poète Kenneth Goldsmith, il y a des archives sonores très intéressantes : https://ubu.com/sound/duchamp.html