Après le remarquable Stella(s), l’autrice rennaise Natalie Burel poursuit sa dissection des rapports humains délétères avec le recueil de nouvelles Devenir bleu sorti en octobre 2018 aux Éditions Goater. Neuf récits à l’encre bleu nuit pour raconter l’intime. Essentiel.
L’univers de Nathalie Burel se teinte de bleu. Pas le bleu limpide de l’horizon dégagé. Non, le bleu des corps meurtris et des cerveaux abimés, des cordes au cou et des existences mortifères domaine de de prédilection de l’autrice. Devenir bleu, recueil de neuf nouvelles âpres et poignantes, aborde des thématiques sociales qui s’articulent le plus souvent autour du socle bancal des unions mal accordées ou des familles qui excellent dans l’humiliation. Séparation ou divorce, enfants sacrifiés sur l’autel de la violence parentale, féminicide, viol, meurtre… à la faveur d’un regard éminemment contemporain, l’autrice pousse les portes blindées des relations-prison et livre un examen minutieux des comportements délétères au quotidien.
« Ma mère ne s’abaisserait pas à ce point. C’est ça. Il doit y avoir des femmes comme elle à qui l’on ne refuse rien et des femmes qui acceptent tout. Je me découvrais malgré moi appartenir à cette dernière catégorie, quand tout en moi s’y refusait. » (L’envie fugace)
Nathalie Burel touche à l’universel également lorsqu’une fille d’une autre époque, une bleue de l’amour et des sentiments, appelée à devenir veille et sèche trouve un sens à sa vie qui passe forcément par la trahison. Forcément parce que au fil de ses textes, l’amour n’est pas soluble avec les petits arrangements avec la vie de personnages à la violence immarcescible. Les récits sans chute de Devenir Bleu induisent toujours des conséquences pour leur avenir ou pour leur entourage tournés vers des lendemains qui déchantent au gout de gueule de bois. Ils traitent du grain de sable qui enraye (ou délivre) la machine. Fils de chien suspendus aux jalousies villageoises qui défraient la chronique, sordide faits divers d’un enfant retrouvé pendu bleu de froid, corps jeté des hauteurs d’une falaise, rêve brisé d’un cycliste qui entraine sa famille dans la honte, tentative de suicide à fleur de peau, factotum botté en touche, les personnages de Nathalie Burel explosent de bleus à lame tranchante.
« Ça aurait été une sacrée preuve d’amour si elle m’avait écouté raconter ma petite histoire et qu’elle ait quand même choisi de me garder. Et je n’avais aucune raison d’espérer une preuve d’amour. » (Une preuve d’amour)
Son écriture s’expurge du romanesque, de la sensiblerie et du pathos. Puisque la souffrance est ineffable, elle exige du réalisme et s’émancipe des effets littéraires, des phrases longues, des descriptions superflues. Les mots de Brigitte Giraud collent à son style : « Ne pas dire la douleur, apprendre à écrire simple, très simple surtout. Pas joli, pas voyant, écrire sans panache, sans ambition. Pas littéraire. Pas de phrase bien torchée. Trouver le ton. Pouvoir dire : oui, c’est ça, arriver à cette évidence-là« . Nathalie Burel livre une réalité crue à la croisée des déviances, des errances, des solitudes, des violences qui ne se conjugue qu’avec un verbe bleu à coeur.
Devenir Bleu, Éditions Goater . 128 pages. 14€ Parution le 25 octobre 2018