On sait qu’il y a des femmes dans les cuisines des restaurants de France depuis longtemps, mais leur visibilité en tant que cheffe reste encore à faire. Vérane Frédiani et Estérelle Payany ont lancé un appel sur les réseaux sociaux pour aller à leur rencontre et élaborer Cheffes, 500 femmes qui font la différence dans les cuisines de France, un guide inédit et attendu.
« La gastronomie, en érigeant la figure du chef en statue du Commandeur, a exclu de son champ toute autre représentation culinaire… à part celle de la ménagère. »
Les deux autrices signent une introduction à quatre mains pour exposer leur démarche, suivie d’une préface par « le meilleur chef de France » Anne-Sophie Pic (deux adresses à Valence et une à Paris). Au lieu des 500 cheffes annoncées dans le titre, elles sont en réalité pas moins de 550 présentées dans ce livre qui traverse toute la France en treize régions (métropole et outre-mer), sous forme d’annuaire, avec les éventuelles distinctions (Le Fooding, Toques du Gault & Millau, étoiles Bib assiettes Michelin), types de cuisine (innovation, terroir, tradition, végétal) et catégorie de prix. Quinze portraits de ces femmes permettent de comprendre différents parcours et démarches, ce qui est souvent mal perçu par un public qui a par défaut une image uniformément masculine du métier.
« Comme pour beaucoup de cheffes françaises, on trouve peu d’informations sur Annie sur internet alors qu’Annie a répondu bien volontiers à mes questions. Les biographes et historiens de la gastronomie française ont bien tort d’effacer ces cheffes de l’histoire pour nous faire croire à une profession essentiellement masculine. La cheffe Annie Desvignes est un exemple pour les cuisinières et les cuisiniers. » Annie Desvignes, La Tour du Roy, Vervins en Thiérache
Elles travaillent seules, en couple (avec un homme ou une femme), en équipe avec des hommes ou entre femmes (amies, fille, belle-fille). Elles sont autodidactes ou rodées dans d’autres cuisines souvent réputées (Géraldine Laubrières de L’Auberge de la Baraque à Orcines a notamment été seconde chez le très célèbre chef britannique Gordon Ramsay), cuisinent depuis plus ou moins longtemps dans des styles très variés : régional, étranger, audacieux, végétal, grands services gastronomiques ou petite restauration. Leur enthousiasme à participer à cet ouvrage prouve qu’il leur est nécessaire, même si elles sont déjà dans le milieu, car elles continuent à être jugées notamment par les clients.
« Un jour, dans le restaurant que nous avions à Toulouse, un vieux client m’a dit : “Vous savez, les problèmes ont commencé quand les femmes ont commencé à lire. Ça leur a donné des idées… Le chômage vient des femmes… Vous pouvez m’apporter un verre de… ?” Je lui ai rétorqué : “Non. Et des hommes, vous savez, j’en ai embauchés, je leur ai donné du travail.” Un autre client s’est levé et l’a mis à la porte en lui disant : “Ne revenez pas !” C’est possible de dire stop. » Annett Teich, Restaurant BK, Montagnac
La Bretagne n’est pas en reste avec 35 cheffes recensées dont onze à Rennes, comme les incontournables Gabrielle Ogé chez La Tonnelle à Vins et Isabelle Ligeron à Un Midi dans les Vignes, ou encore Solenn Nuñez, Anouck Méléard-Soller et Clara Richard du Café Albertine, et le portrait d’Adélaïde Perissel (Les Deux Sardines, Saint-Briac-sur-Mer).
À l’heure où le mouvement #MeToo n’est pas encore passé par l’hôtellerie-restauration, les hommes restant grandement majoritaires dans les postes de pouvoir, exigeant des femmes de s’habituer au pire (les témoignages peuvent être difficiles à lire), Cheffes est un livre qui peut faire la différence auprès de celles qui veulent le devenir – et avoir des adresses chez qui se former sans risque peut-être. En attendant la révolution promise en introduction, les changements de mentalité sexistes se font aussi par l’assiette et le verre au restaurant, une occasion de répéter que la représentation a un réel impact sur ceux-ci.
Vérane Frédiani et Estelle Payany, « Cheffes, 500 femmes qui font la différence dans les cuisine de France », éditions Nouriturfu, 296 pages, 20 euros, dans les librairies le 25 février 2019