[Entretien] Oghia, Guedj, Genefort : agents tout geeks

Co-fondateur des éditions Bragelonne, animateur des excellents podcasts « Agence tout Geeks » et « Capture Mag » et grand chef des Nuits au Max (ces nuits cinéphiles au cinéma Max Linder (Paris) où sont projetés des films toute la nuit) David Oghia était présent à Rennes pour Travelling 2019. Initialement juste là pour enregistrer un podcast de l’ATG après la séance de Bladerunner, il a accepté de nous rejoindre pour répondre à quelques petites questions, et a même ramené ses copains Philippe Guedj, journaliste cinéma, et Laurent Genefort, auteur de SF. Ils avaient plein de choses à raconter, et finalement ça a duré quarante minutes.

 

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Alors David, tu animes l’ATG, Capture Mag, les Nuits aux Max, tu participes à l’organisation des nuits Starfix au club de l’Étoile, tu avais aussi un podcast avant qui s’appelait le Quadratour... Quoi de neuf dans tes projets ?

David Oghia : Alors déjà, Capture Mag, pour le moment c’est fini, en tout cas au moins le podcast. On a enfin fini le cycle sur Spielberg, on a fait 4 épisodes de trois heures… Depuis j’ai mis un peu le holà, en disant « les mecs, c’est super, mais j’ai plus le temps ». C’était très intéressant, parce que les mecs de Capture ont toujours des choses à raconter, et quand ils aiment quelques choses, c’est pour des raisons solides, qu’ils argumentent. Mais là, ça m’a épuisé. Donc je ne pouvais plus tellement continuer comme ça, en plus j’habite loin et on finissait tard, donc ça me faisait rentrer à des heures pas possibles… Par contre, je monte un nouveau podcast, avec Rafik Djoumi, qui n’est pas le moindre des critiques. On va parler de musiques de films, dans un podcast qui va sortir très bientôt, mais dont je tais encore le nom. Rafik et moi même étant deux passionnés, Rafik peut être même le plus grand en France… Si si je t’assure.

Laurent Genefort : Ben oui, t’as découvert ça en sixième toi…

D.O. : J’ai même découvert ça avant. J’ai découvert la musique de film en 77, avec le score de Star Wars. J’ai eu le vinyle, et après celui des Aventuriers de l’Arche perdue. Et après c’était parti pour la vie. Mais Rafik, qui a une connaissance encyclopédique du cinéma, et donc de la musique de film, a longtemps été disquaire de musique de film pour la Fnac, au début, avant que la musique de films sur CD n’explose complètement. Son chef de rayon hallucinait de voir ce qu’il faisait venir, du Japon par exemple. L’arrivée d’Hisaishi dans les bacs, c’est à lui qu’on le doit. Il te dira peut-être qu’il n’est pas le seul, mais en tout cas il en a été un des promoteurs pendant longtemps. Et donc dans ce podcast, comme moi j’ai plutôt tendance à défendre les modernes, et Rafik les classiques, y a de quoi dire. On va faire un premier épisode sur le western. On a sélectionné une quarantaine de morceaux, et encore on a dû se restreindre. On va faire un panorama rapide, du western des années 30 jusqu’à nos jours. Donc en fait, ça va sûrement encore durer trois heures (rires).

■ Donc de Mancini, Bacalov et tout ça jusqu’à Beltrami et cie aujourd’hui ?

D.O. : Pas exhaustif non plus, mais on va passer sur quelques grands noms et les grandes évolutions qui en découlent. On va faire un épisode par mois, avec une thématique, et parfois des épisodes plus centrés sur des compositeurs, un Goldsmith, un Horner, un Williams… Et on va le monétiser. On ne force personne à payer, l’accès sera gratuit, mais on propose aux gens de nous aider, via Tipeee, parce qu’enregistrer un podcast, c’est du temps, du matos… Mais l’accès restera gratuit.

« Les droits, c’est l’enfer, et Netflix, c’est l’enfer au carré. »

■ De beaux projets en vue alors ! Et côté nuit au max ? Récemment, à Rennes, il y a eu la projection de Roma, par exemple.  Comment ça se passe quand on veut passer un film au Max Linder ?

D.O. : Ça se passe tout seul, on a nos habitudes maintenant. Y a juste les droits. Les droits c’est une galère. Les droits, c’est l’enfer, et Netflix, c’est l’enfer au carré. Tout simplement parce que Netflix n’est pas accessible. personne ne peut leur parler, personne ne peut leur demander des droits. Et en fait, Netflix n’achète pas vraiment des droits. Ce qu’ils achètent, ce sont des droits de diffusion sur petit écran dans certains pays. Et les cas comme Okja, où ils sont producteurs, sont assez rares. En général, il y a une boîte de production derrière le film, et Netflix achète les droits pour leur plateforme. Ça bloque souvent la possibilité de diffuser ça au cinéma, parce que Netflix évidemment ne souhaite pas que ça soit diffusé dans un cadre d’exploitation « CNC ». Moi ça ne me pose pas de problème parce que passer des films dans un cadre non-commercial – c’est-à-dire passer des films avec un forfait fixe qui correspond à une exploitation non-Cnc – c’est simplement que des majors comme Fox, Universal, etc., en général ils n’aiment pas ça, parce qu’on passe des sources Blu-ray ou vidéo. Je ne parle même pas de passer une source streaming, je crois même ne jamais l’avoir fait. Mais ça pourrait valoir le coup de tester, parce que l’image est parfois bonne ! Je regarde les nouveaux Star Trek Discovery, l’image est sublime.

Bref. Le problème des Nuits au Max, c’est les droits. À chaque fois, c’est l’enfer, parce qu’on est dans un circuit cinéma, donc exploitation CNC, et y a énormément de majors qui m’interdisent de projeter des films. Alors que quand je suis au Club de l’Étoile, pour les nuits Starfix, comme la salle est à la fois circuit CNC et non-commercial, ce n’est pas la même réglementation. Comme projeter dans un théâtre. Quand je suis dans un théâtre, si on projetait ici, au Liberté par exemple, on serait dans le cadre du « non-commercial », et donc on pourrait projeter des Blu-ray de majors. Tu paies quand même des droits, mais à d’autres ayants droit, une boîte comme Swank Films par exemple. Et donc à partir de là, c’est beaucoup moins compliqué, car le catalogue est beaucoup plus vaste. Quand on a fait Martigues SF, le festival de film de SF de Martigues, on a passé que du non-commercial.

Mais je ne suis pas à l’origine du concept, je l’ai ressuscité. À la fin des années 80, Jean-Jacques Zilbermann, à l’époque patron du Max Linder, faisait des nuits cinéma. J’avais fait une nuit Spielberg, où y avait L’Empire du Soleil pour la première fois en France. Au moment de sa réouverture, en 87 (l’année où j’ai raté le bac. C’est normal, je passais trop de temps au cinéma), y a eu aussi les festivals 70mm, l’été, où tous les jours ils passaient deux films en 70 mm, et en copie neuve ! Y a eu Brainstorm, La Tour infernale, Le Retour du Jedi, les Indiana Jones, Brainstorm

■ Justement, j’ai été le voir hier, je l’ai découvert en salle. Il était projeté avec le changement de format, mais le DCP était en format 35. Comme il y a deux formats dans le film, les passages en vue subjective, filmée en fish-eye étaient en scone, en 2:35 et le reste du film était réduit…

D.O. : Oui, c’est logique. Brainstorm, c’est deux films en un. On a un film en 1:33, au milieu de l’écran, et toutes les parties de cinéma immersif passent en scope, en 2:35. Le son change aussi et passe du mono au dolby. Ça joue beaucoup, puisqu’on a le son juste derrière l’écran. Je me souviens d’une copie VHS, toute recadrée ; donc on perdait toute l’immersion et la différence d’aspects entre les séquences. En plus on ne voyait rien, puisque le 2:35 était recadré au centre en 4:3. Pour les DVD c’était pareil : parfois, le 1:33 était en plein écran, et le scone avait des bandes noires, donc ça donnait exactement l’effet inverse. Et depuis y a eu un Blu-ray correct qui est sorti. C’est un film très compliqué à projeter. Les gens ne comprennent pas toujours les changements d’aspects et de ratios. Mais ça reste des très bons souvenirs.

G.V. : Oui, c’est un film très riche. Thématiquement aussi. Il est un peu tout cassé, on voit les cicatrices des reshoot, mais je le trouve extrêmement profond. Les bandes d’enregistrement dans le film ressemblent à des bobines de 70 mm, les personnages se font des montages en utilisant des outils similaires à ceux d’un monteur ciné, etc. C’est un film très riche.

« Les toutes nouvelles technos, c’est souvent le bordel… »

call-from-spaceD.O. : Il voulait le tourner en showscan, mais il n’a pas pu, finalement. On a eu la chance de voir plusieurs fois du showscan sur grand écran… Au parc des Schtroumpfs, et aux Champs-Élysées. Pour le bicentenaire de la Révolution française, le patron de Perrier France, qui était un dingue de technologie, avait tourné un film entièrement en showscan, qui s’appelait France. C’était très moche, parce que le showscan, ça n’est pas facile à maîtriser. À 60 images/sec, faut pouvoir maîtriser les lumières, et y avait pas un chef op en France capable de le faire. Y avait des recréations à Versailles, où les mecs transpiraient sous les projecteurs, et la surexposition donnait un aspect vidéo. Y avait les scènes avec un Rafale, sur lequel ils avaient monté une caméra showscan, c’était pas mal. Et il y avait aussi, vers Metz, le parc Walabi Schtroumpf, avec le film Call from Space, de Richard Fleischer. C’était une des rares productions d’attraction, avec une histoire et tout, produite en showscan. Et c’était sympa, hein ? J’ai un bon souvenir, dans une salle incroyable. Aujourd’hui, on a les Imax 3D, etc. Mais pour l’époque, Trumbull était vraiment visionnaire !

L.G. : Les toutes nouvelles technos, c’est souvent le bordel…

D.O : Ben oui ! Le Hobbit, qui n’est pas en showscan, mais en HFR (High Frame r ate, ou haut débit d’image, terme employé pour les films tournés à plus de 24 images/sec), a des scènes qui ne marchent pas à cause de ce rendu visuel.

■ Trumbull a justement annoncé qu’il avait trouvé une solution pour enlever au HFR cet aspect un peu vidéo, « série télé », comme il l’appelle. On a aussi vu des images des effets de son prochain film, Lightship. Tous les effets ou presque seront des effets « organiques » (toujours selon ses propres mots), en utilisant de l’eau, des teintures, des effets de lumières… C’est à tomber par terre. Justement, en parlant de vaisseau et d’espace, on va parler un peu de SF, si vous voulez bien ? Messieurs, comment va la SF ?

L.G. : Alors au cinéma, c’est toujours aussi pas bon. Il n’y a pas grand-chose. Après c’est mon avis de spectateur, mais mes attentes aujourd’hui sont dans la série plus qu’au cinéma. C’est là qu’on expérimente, bien davantage qu’au cinéma. Même s’il y a des trucs super intéressants, c’est plutôt dans les genres voisins que ça se passe.

D.O. : En série SF, t’as The Expance, par exemple, qui est vraiment pas mal.

L.G. : Dans la série, pendant longtemps y a rien eu. Y a eu un renouveau, et même un nouveau, je dirais, avec des séries comme Six Feet Under, par exemple. Mais pendant longtemps, les séries intéressantes étaient dans le genre réaliste. Et puis il y a 7 ou 8 ans, on a enfin eu des séries adultes SF. Contrairement à Stargate et cie qui étaient très syfy popcorn un peu simple, c’est que là, on a une SF vraiment adulte. C’est complètement inédit, et on n’avait rien eu de tel depuis les 60′s, avec des séries comme Le Prisonnier, Cosmos, etc. Y avait des scénarios vraiment adultes. Cosmos, c’était hyper pessimiste, les gosses n’aimaient pas… Et depuis moins de dix ans, y a quelque chose qui s’est passé. C’est pas forcément des chefs-d’œuvre, mais y a des thématiques ouvertement adultes qui sont traitées, et qui ne s’adressent vraiment pas à des gamins. Et puis le film « annuel » de SF, qui marque toujours un peu. Mais moi personnellement mes attentes, c’est plus au cinéma, esthétiquement et thématiquement.

silent-runningP.G. : Ceci dit, on est aussi dans une époque très avancée de développement des technologies numériques, qui fait que virtuellement, tout est possible, au niveau des représentations. Du space-op, ou des films de SF à la BladeRunner… Et je ne pense pas que la SF aille si bien, paradoxalement. Y a, comme tu l’as dit, un ou deux films de SF par an, et encore pas tous les ans. Là, ces cinq dernières années, on a eu Gravity, de Cuaron, qui n’est pas vraiment de la SF ou alors au sens large du terme. Mais je pense qu’on sort d’une très grosse parenthèse. T’as eu la première cassure avec 2001. Ensuite, entre 2001 et Star Wars, toute cette vague de films de SF/anticipation, marqués par les préoccupations de l’époque. Soleil vert, La Planète des singes, le premier film de Trumbull, Silent Running, ou encore Rollerball. Star Wars a inauguré une période de films à effets spéciaux de SF, avec dans la foulée les films Star Trek, l’Alien de Ridley Scott… Et y a eu une période vraiment très féconde, space-op ou pas. Tout s’est à nouveau ralenti vers la fin des années 80. Le phénomène de société qu’a été X Files a beaucoup joué au début des années 90 et a donné une décennie hyper riche, et dans plein de registres différents. Gattaca, Matrix, Starship Troopers, Mars Attacks, etc. Et la SF s’est repolitisée. Aujourd’hui, la SF est accaparée par les films de super héros, mais heureusement, y a quelques films qui sortent, faits par des vrais auteurs. Les Fils de l’homme, c’est Cuaron qui fait le nouveau Soleil vert. Y a plein d’auteurs comme ça…

 ■ Un petit film mineur, qui s’appelle Fury Road, peut-être ?

P.G. : Oui, le post-apo… Mais quel thème de post-apo Fury Road développe-t-il ? C’est une poursuite. Pour moi ce n’est pas de la SF, c’est un pur trip formel. C’est Miller qui dit « je vais faire un pur trip formel, je vais filmer la poursuite ultime ». Et ils ne parlent pas du monde autour d’eux, y ont juste quelques indices. Pour revenir à la question de base, je ne pense pas que la SF aille si bien que ça, alors que la technologie va très bien. Star Wars est sous l’égide de Disney, on voit ce que ça donne. Et ils récupèrent aussi l’espace op avec les Gardiens de la Galaxie et Thor. DC va faire pareil sûrement… Donc heureusement qu’on a au moins un Nolan, quoi qu’on pense d’Interstellar qui reste un film intéressant. On a un Cuaron avec Gravity et Les Fils de l’homme, et puis cette année on a le Ad Astra de James Gray, qui n’est pas un réalisateur de SF qui se frotte au genre, en utilisant tous les moyens mis à sa disposition pour faire un film personnel sur la quête de Brad Pitt qui veut retrouver son frère perdu du côté de Saturne. Faudra voir aussi ce que Ang Lee fera de son Gemini Man. Je pense qu’au moins technologiquement, le film proposera des bonnes choses. Après faut faire gaffe, c’est avec Will Smith. Mais en dehors de ses petits îlots, il ne reste plus rien. Comme disait Laurent, c’est passé à la télé.

« La SF, ça servait à ça, et aujourd’hui, je rêve moins »

Donc l’offre ciné est quand même assez pauvre. Et côté littérature ? On a trouvé le nouveau Dick ?

D.O. : Alors Dick c’est un grand auteur, avec Heinlein, Clarke, Asimov, Sturgeon, etc., pendant les années 50-60. Et tous les grands auteurs de l’époque ont écrit… à peu près tout ce qu’il était possible d’écrire. J’en ai lu quelques centaines, Laurent quelques milliers. Peut-être au niveau de certains aspects très techniques, on peut inventer des trucs, mais dans la thématique, tout a été traité. Souvent, la SF sert de décorum à autre chose, une autre approche du monde. Ça sert beaucoup à dénoncer les dérives d’une société, comme dans Starship Troopers, avec une société très à droite, très autoritaire, et on se rend compte qu’un Donald Trump n’est pas si loin d’un skymarshall. Verhoeven l’a aussi fait dans Robocop, en s’attaquant cette fois-ci aux privatisations à outrance. Pour le cinéma… ce qui était bien entre 2001 et les années 90, c’était ce « sense of wonder » (recherche de la sidération par le spectacle proposé). Dans Rencontre du troisième type, les effets faits par Trumbull étaient saisissants. Star Trek The Motion Picture, avec des effets de Trumbull, était lui aussi saisissant. BladeRunner, effets de Trumbull, qui est un film qui a une réputation de film sombre et poisseux, alors qu’il est visuellement sidérant. Y a énormément de lumière dans cette ville, ça vit de partout. C’est la grosse différence avec BladeRunner 2049 : c’est que le L A. de 2049 est complètement éteint, et c’est un film complètement mort. Le premier film dépeignait un futur dystopique, très sombre, mais pourtant grouillant de vie, et très intéressant. Et cet exemple illustre bien ce qu’on a perdu, et qui frustre les vieux geeks comme moi. Même quand on avait un futur très sombre, on avait quelque chose de magique. Même Spielberg a perdu son côté faiseur de rêves. La SF, ça servait à ça, et aujourd’hui, je rêve moins. Mais ce n’est pas grave, il reste d’autres choses. Il reste l’animation. Pour moi le dernier bastion du merveilleux, c’est les films d’animation. La trilogie Dragon, par exemple, c’est formidable. Y a plein de trucs comme ça qui restent. C’est pas fini.

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