« Suspiria », nouvelle variation sur une danse infernale

Le remake du mythique film de Dario Argento par Luca Guadagnino est sorti sur les écrans français le mercredi 14 novembre. Il propose une relecture inédite de ce classique du cinéma d’horreur italien, tout en restant fidèle à son âme originale.

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Berlin, octobre 1977. Susie Bannion (Dakota Johnson) quitte son foyer mennonite en Ohio pour rejoindre la prestigieuse compagnie de danse Markos Tanz Compagny. Elle se retrouve très vite à remplacer Patricia (Chloë Grace Mortez) dans le premier rôle du spectacle en préparation, Volk, car celle-ci s’est enfuie après avoir partagé ses doutes au sujet de ce lieu à son psychiatre, le Dr Jozef Kemplerer (Lutz Ebersdorf). Elle semble délirer à lui parler en boucle de sorcellerie, d’un conflit interne entre trois puissantes mères au sein de l’école, Mater Tenebrarum, Mater Lacrymarum et Mater Suspiriorum, qui lui bouffe littéralement l’esprit et la terrifie, avant de disparaître. Pendant ce temps, Susie fait progressivement sa place, notamment auprès de Madame Blanc (Tilda Swinton), même si elle doit supporter de troublants cauchemars chaque nuit et une ambiance anxiogène. Et si Patricia avait raison ?

Après A Bigger Splash, remake de La Piscine de Jacques Deray paru en 2015 avec aussi Dakota Johnson et Tilda Swinton, le réalisateur italien Luca Guadagnino s’est attaqué au monstre sacré Suspiria de Dario Argento, film qui le fascine depuis ses jeunes années. Il situe son histoire en 1977, l’année de sortie du film original, déplace l’école de Fribourg à Berlin, et développe en trame de fond le contexte politique de l’époque (le Mur de Berlin, les méfaits de la bande à Baader). La photographie rappelle celle des films de Fassbinder, loin des couleurs et lumières baroques du maître du giallo, et la musique de Thom Yorke crée une ambiance inédite par rapport à la célèbre musique de Goblin. La narration n’est plus construite de façon onirique voire absurde mais comme une enquête menée par Klemperer – et ce n’est pas plus mal, selon les goûts de chacun·e évidemment. Même les meurtres ne sont plus dans le même style giallo mais relèvent de tortures « body horror », le corps et ses transformations, ainsi que la danse, ayant une place centrale dans ce film.

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Dans la version d’Argento, l’école de danse classique n’est qu’un prétexte pour situer l’intrigue et n’a au final pas de réelle importance dans la narration. Dans celle de Guadagnino, la danse est moderne et a un rôle majeur pour évoquer dans la chair ce qui se trame dans cette mystérieuse école accusée d’être l’antre de sorcières, à travers le corps de la protagoniste principale et celui des femmes qui refusent le fonctionnement de ce groupe (l’impressionnant solo subi par Olga quand elle veut fuir à son tour la compagnie). La danse a une véritable fonction rituelle, elle est le langage de la magie, d’où l’importance de l’attribution des rôles et de la scénographie pour Volk. Sa créatrice, Madame Blanc, a des airs de Pina Bausch et Martha Graham, Hexentanz de Mary Wigman n’est pas très loin.

 L’ambitieux pari du remake est réussi dans le sens où ce n’est pas juste une copie réactualisée mais une interprétation personnelle de cette histoire de sorcellerie et de femmes puissantes (l’historique rapprochement entre les deux étant plus que jamais d’actualité). On regrettera toutefois l’intrigue parallèle qui rallonge trop le film sans vraiment l’enrichir, même si le personnage du docteur, seul personnage masculin autorisé (mais joué par une femme, Lutz Ebersdorf étant en réalité Tilda Swinton), perdu dans ses souvenirs des années nazies de l’Allemagne, reste touchant.

Suspiria, de Luca Guadagnino, 2h32, interdit aux moins de 16 ans (scènes de violence graphique), est visible au Gaumont de Rennes.

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