Maloya (travail en cours), de et avec Sergio Grondin & Kwalud, se jouait au théâtre de la Paillette : à la recherche de l’esprit Maloya.
Un travail en cours, une esquisse, des bases de réflexions ; une base même : cette phrase que Sergio dit à son fils tout neuf pour lui souhaiter la bienvenue chez ses parents : « Ta maman et moi on est heureux de te rencontrer… » Une phrase, à sa grande surprise (et impuissance), qu’il n’a pas prononcée dans sa langue maternelle, mais en français, la « langue de l’éducation ».
Troublé, l’auteur va mener l’enquête à partir de cette étincelle, et nous parler de ses questions, ses sensations, ses contradictions, ses doutes, son cœur et sa tête. Le cul entre deux chaises comme il dit. « Suis-je acculturé ? » Ne pas pouvoir effacer ce moment-là, celui de la venue au monde de ce petit bout d’homme, c’est ce qui le taraude, on le sent, il le dit.
« Que vais-je transmettre à mon fils ? Qu’il doit lutter pour parler créole ? Est-ce qu’il ne faut pas qu’il s’en foute ? » L’héritage de violence léguée par son père à lui, il a l’impression de l’avoir réglé (NDLR : côté spectacles, on pense en effet à Kok Batay, présenté à Mythos en 2013, aux Chiens de Bucarest en 2015 à Mythos toujours). Mais aujourd’hui, il est propulsé dans cette question neuve, soudaine, prenant une importance symbolique : « Et la transmission à mon fils ? »
La langue est un espace de mutation perpétuel, dit Grondin.
« À vouloir définir une langue, est-ce qu’on ne la tue pas en la figeant ? Suis-je responsable de la mort du créole quand je parle français ? »
Sur ces questions très personnelles et en même temps très universelles, Grondin et son équipe nous emmènent à la recherche de l’essence du maloya – tout à la fois musique, chant et danse créole réunionnais – par le biais d’interviews et aussi d’images d’archives.
On entend les voix des hommes et des femmes du maloya. On est bercé des sonorités créoles portant en elles tout un panel d’émotions, de faits historiques, de joies, de souffrances. Et puis on reçoit des images, baignées de sucre, de canne à sucre. « Tout l’horizon est vert et rose. […] La fleur de cette misère, ces hommes-là en ont fait de la poésie ».
On y aborde la culture, l’héritage, l’identité, la honte ou la fierté de sa langue, sans oublier, donc, la beauté et la poésie.
La parole, les chansons et les images naissent tantôt de la voix et la présence du conteur, tantôt des outils numériques qu’il tient, regarde, déplace, pose sur la scène.
Les interviews se répondent comme dans un débat, les ingrédients sont disséminés sur le sol, liés par les sons de Kwalud derrière ses potars, nous guidant pour surfer sur toute cette matière numérique mais bel et bien vivante. Un ancrage dans la chair, le corps, la langue, les chemins de vie, l’histoire de l’Homme, en somme.
Maloya, comme « saudade » au Brésil : plus qu’une musique, une nostalgie, un état d’esprit. Le maloya c’est une parole. C’est aussi un outil de lutte et de libération évoluant au fil des époques. Libération de l’esclavage, puis celui plus moderne des travailleurs de l’industrialisation, par la politique, le communisme ; et aujourd’hui, parole de libération d’un engagement politique. Ne garder que la poésie, qui est la seule qui libère. Même si, certes, « elle ne donne pas à manger »…
Plus qu’à patienter jusqu’à ce que ces 3 hommes d’image (S. Grondin à l’écriture et au jeu, D. Gauchard à la mise en scène, A. Cadivel aux lumières) aient compilé toute cette matière, pour découvrir dans une version finale affinée l’aspect graphique du spectacle en prime.
Le site de la compagnie Karanbolaz