À l’occasion de la Fête des Voisines, organisée par les Ateliers du Vent jeudi 9 novembre, Nawel Louerrad a pris la parole et est revenue sur son parcours d’auteure, dans l’atelier qu’elle occupe le temps de sa résidence dans les locaux de l’association Spéléographies.
Au fil d’un parcours allant de l’architecture à la scénographie, en Algérie puis en France, Nawel Louerrad se tourne vers la bande dessinée, toujours dans l’optique de raconter des histoires, mais d’une manière sans doute plus directe qu’au théâtre, moins sujette aux restrictions des institutions. C’est néanmoins dans une optique très théâtrale qu’elle s’empare du langage graphique, mettant en scène des corps qui se distordent, muent, tentent des mouvements.
« pour moi il n’y en a jamais trop ! »
Elle parle de son dessin comme « autiste, répétitif», mais à mesure qu’elle remplit des carnets, elle réalise qu’elle peut raconter des choses avec ses obsessions : » Créer un blog, tout simple, poster des dessins, avec du texte ou pas, cela m’a aidée à deviner une narration à venir ». Elle publie dans des magazines algériens, dont El Bendir, participe au collectif Monstres, puis publie sa première bande dessinée en 2012, Les Vêpres algériennes. Elle explore le thème de la violence, qui irrigue l’intime et le collectif: « J’aborde cette problématique de la mémoire, de l’histoire, des points de vue officiels et individuels, des traumas liées à des situations de guerre. Pour l’instant je ne peux pas complètement regarder en face cette histoire là, il me faudra du temps. En France le genre autobiographique est très développé en BD, on dit parfois qu’il y en a trop, mais pour moi il n’y en a jamais trop ! Chez nous, je pense qu’il est important de dire « je » et pas toujours « nous », de parler en son nom et non pas en le nom des autres. » C’est ainsi que ses deux ouvrages suivants, Regretter l’absence de l’astre et Bach to Black, adopteront un registre autobiographique progressivement plus assumé, avec en toile de fond la conscience de l’énorme travail de justice et de libération de la parole qui reste encore à faire en Algérie.
Elle effectue ensuite une résidence au Mucem à Marseille, et réalise un album de dessins en collaboration avec l’illustrateur français Benoit Guillaume, Alger-Marseille: Allers-retours. Les deux auteurs dressent le portrait de deux villes, selon deux regards croisés. Elle travaille également à une adaptation des Vêpres algériennes au théâtre avec la compagnie Sociétés Accidentelles.
« histoires d’antéchrist, de messie (…) »
Dans le cadre de sa résidence à Rennes avec Spéléographies, Nawel Louerrad se penche sur une adaptation en bande dessinée du texte de L’Apocalypse selon saint Jean : « Je me suis intéressée à la mystique chrétienne dans le cadre de ma réflexion sur la violence. Car c’est un texte violent, et il y a cette présence de la figure de Jésus, qui n’est pas dans la réciprocité violente. J’aimerais explorer les symboles qui s’y trouvent et qui se retrouvent dans l’eschatologie musulmane. Ces histoires d’antéchrist, de messie, de retour du prophète, de l’attente du retour… mais qu’est-ce qu’on attend au juste ? » Un dessin en noir et blanc sert une narration riche de métaphores qui se transforment, d’évocations mystiques et d’élans tantôt libres, tantôt très maitrisés.
Ce travail graphique donnera lieu à une publication, et sera visible à la biennale des écritures de Spéléographies prévue pour le printemps 2018. Nawel Louerrad participera également à une exposition en forme d’état des lieux de la bande dessinée arabe, à l’occasion du prochain Festival de la bande dessinée d’Angoulême.