Conférence-Débat : science et spiritualité face aux défis environnementaux

Peut-on causer d’écologie avec Dieu? La théologie a-t-elle un avis sur le sujet? Pas de suspense, je vous donne d’emblée la réponse, oui ! Mais la chose est nouvelle. Sous l’inspiration de la nouvelle théologie patronnée par le pape François, le père Norbert-Marie Sonnier, dominicain, directeur de l’institut de formation théologique de Rennes, Arnaud du Crest, ingénieur agronome, ancien directeur de l’observatoire économique et social des Pays de la Loire et Laurent Labeyrie, océanographe, ancien directeur de recherche au CNRS et membre du GIEC, sont venus soumettre leurs regards croisés entre théologien et scientifiques à un public réuni le 14 juin au cinéma le Triskel de Betton.

Partisans tout à la fois de l’écologie et du christianisme, nos protagonistes sont venus avec la volonté de proposer une vision du monde qui combinât les deux aspects. Ainsi qu’il a été admis par les intervenants, les deux se concilient, dans les faits, rarement. D’où l’utilité de cette conférence, qui a fait mieux encore : proposer, non pas même une manière chrétienne d’être écologiste, mais une manière écologiste d’être chrétien. J’entends par là que le sujet n’était pas de caractériser des manières typiquement chrétiennes d’être écologiste, mais de réformer la théologie catholique pour la remettre en phase avec le siècle, et ses enjeux. La thèse défendue par cette conférence, c’est qu’à cause, ou grâce au péril climatique, l’humanité découvre un aspect du monde jusqu’ici inconnu du christianisme ; que la dévotion à Dieu doit passer par une approche écologique. Que donc, nous allons bien parler ici d’une manière écologique d’être chrétien.

Avertissement au lecteur : j’adopte, pour des raisons de commodité, un ton qui pourrait laisser supposer que les thèses rapportées sont des thèses que j’endosserais volontiers. Je ne fais cependant que rapporter en substance ce dont j’ai été témoin. L’enchaînement des propos est volontairement laissé dans une forme décousue, mon seul but étant de tirer la substantifique moelle de cette conférence.

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« Laudato si« *, l’encyclique de 2015 du pape François semble avoir joué un rôle majeur dans l’affirmation de cette nouvelle théologie, plus proche des problèmes concrets auxquels est confrontée l’humanité. Il témoigne d’une sensibilité remise à jour pour ce qui est de la lecture des textes bibliques, si anciens. L’écologie y occupe une place centrale. Ce qui a pour effet de décentrer l’humain, et de redonner un peu d’humilité dans la vision du monde, 250 ans après que l’Église a dû admettre que la Terre n’est pas le centre de l’univers. Voici un rapport des temps forts de cette conférence. Tous ces propos relèvent d’une vision cohérente sous l’impulsion du « Laudato si« .

Propos pris à la volée et réarrangés

Tout d’abord, avançons les justifications théologiques qui sont à la base tout le reste; de l’histoire de la Création, on retient cette injonction divine : croissez, multipliez-vous. L’humanité a été transplantée dans un univers dans lequel il lui fallait exploiter la nature pour survivre, et croître, et se multiplier. Comment, dès lors, intégrer une approche écologique à la foi avec de tels prémices ? L’humain se voit dès l’origine comme étant au sommet de la chaîne de la Création. Or, le pape, représentant de Dieu sur Terre, enjoint les fidèles à réinterpréter ces mêmes textes fondamentaux. Si l’on relit la Bible avec un œil contemporain, alors on dira que l’homme a pour mission de prendre soin de la Création. Le pape François parle même de « notre sœur la Terre ». Tout cela est à lier avec la doctrine sociale de l’Église. D’après le « Laudato si », tout est lié. Il s’agit de défendre la vie, projet chrétien depuis ses début. Mais il faut aller au bout de cette démarche. Défense de l’environnement, soutien des pauvres, soin des objets, interdit de l’avortement et de l’euthanasie sont un même sujet. Ne pas respecter la vie, ne pas respecter la Création de Dieu serait un péché.

L’un des intervenant propose de considérer la chose suivante : la conception traditionnelle des catholiques est « substantialiste », c’est-à-dire que l’homme se dit supérieur au reste de la Création. Mais ce qui, selon lui, importe aujourd’hui, c’est de considérer que l’homme n’est différent du reste de la nature que dans la mesure où il se tourne vers Dieu. Seul son haut degré de conscience le lui permet, et lui donne ce faisant une responsabilité envers le reste de la Création.

S’il m’était permis, à moi, humble chroniqueur de L’Imprimerie Nocturne, d’ajouter une réflexion personnelle, telle serait-elle : me semble crédible l’idée qu’une approche écologiste était délicate en contexte chrétien tant que l’Église était encore en lutte contre des tendances païennes ou panthéistes. On pourrait dire qu’il s’agissait, de leur point de vue, de faire triompher la culture (chrétienne) sur la nature et la sauvagerie de la spontanéité. Le contexte actuel est tout différent et permet maintenant pleinement l’approche proposée par le « Laudato si » (ainsi que la lecture sereine de François d’Assise).

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François d’Assise (nourrissant donc quelques oiseaux) – panneau de bois peint par Giotto provenant de la chapelle Ughi dans l’église San Francesco de Pise, et actuellement dans les collections du Louvre.

Nous savons que nous voulons produire de l’énergie, et nous savons également que nos modes de production dégradent l’environnement. Pourtant, les éoliennes sont confrontées aux défenseurs des paysages, celles qui sont en mer au trafic maritime, la méthanisation trouve ses opposants dans ceux qui préféreraient éviter les camions à lisier sur leurs routes. Le problème n’est pas seulement dans la conscientisation, mais aussi dans celui d’en tirer les conséquences et de passer à l’acte. Dans Pour un catastrophisme éclairé, le philosophe Jean-Pierre Dupuy écrit qu’on ne croit pas ce qu’on sait. Quelle résonance une telle affirmation peut-elle avoir dans une pensée chrétienne ? Libre à vous d’en juger.

Le thème général, c’est celui de prendre soin. Mais pour prendre soin, encore faut-il en avoir envie. Et pour avoir envie, il n’existe qu’une seule clé, d’aimer. Aimer les autres, aimer aussi les objets (café repair, AMAP…). Il faut faire la paix avec les hommes si l’on veut la faire avec la nature et vice-versa. La démarche est de simplifier la vie et d’éviter la société de consommation.

Le discours moralisateur est-il seulement efficace ? Sans doute, petit à petit, mais comment donnera-t-il de l’entrain ? Sans joie, la transition se fera trop tard. Et les plus pauvres en pâtiront au premier chef. Surtout si l’on pense aux habitants de l’Afrique, et des grands deltas comme le Nil ou celui du Gange-Brahmapoutre. Pour aider les pauvres, il faut cesser de ne considérer la nature que comme une ressource. François d’Assise peut être inspirant à cet égard.

Car en effet, l’aide aux pauvres, la charité reste un impératif du christianisme. Nous qui avons la chance de vivre dans un pays riche et tempéré pouvons être tenté de regarder le problème de loin, parce que nous nous en tirerons mieux que d’autres. Et pourtant, les dérèglements risquent de provoquer de grands problèmes migratoires. La charité, aujourd’hui, ce n’est plus donner aux pauvres, c’est de ne pas leur prendre leur essentiel.

Alors comment faire ? Mode d’emploi du catholicisme écologique.

L’idée est de commencer par soi. Autrefois, les militants pensaient changer la société sans se changer eux-mêmes. Un chrétien devra aussi y voir l’avantage de se changer pour devenir plus chrétien. Une fois cette étape engagée, il s’agit de donner envie aux autres, et de passer à l’action collective. Il faut s’engager et se conscientiser ensemble, en groupe de chrétiens. C’est ce que vise l’association « Chrétiens unis pour la Terre ». Une fois que chacun s’engage personnellement, que des groupes sont constitués, la dernière étape est l’action collective, dont les objectifs doivent être définis. L’action passe notamment par la pression sur les responsables politiques.

L’un des conférenciers est en désaccord. Il pense qu’on ne peut pas attendre tout ça. Il faut passer directement passer au politique, à la grande envergure, sans quoi le pire est certain. Réponse d’un conférencier chrétien, la patience est une vertu chrétienne, s’en excusant presque.

L’influence sur les décisions publiques est d’autant plus nécessaire qu’une logique destructrice est à l’œuvre. La science et la technique, le pouvoir et les intérêts financiers s’auto-alimentent dans un cercle vicieux. Pour casser ce cercle, il faut diminuer la marchandisation, et changer la société, si ce n’est changer de société, et se rapprocher ainsi de Dieu. N’oublions pas que c’est nous qui sommes responsables de ce que nos hommes politiques mènent une société qui s’éloigne des valeurs chrétiennes. Il faut par exemple considérer que le territoire est un lieu essentiel. Il ne faut désormais plus artificialiser un seul hectare de terre. Et par artificiel, nous entendons aussi qu’un champs de blé intensif est une terre artificielle.

Tout le monde a le droit de vivre heureux, y compris les sept milliards de pauvres. Pour cela, il s’agit de combattre l’accaparement.

Plusieurs tendances de l’écologie sont à distinguer. La conservatoire se contente de viser à essayer de conserver la nature telle qu’elle est. Une autre mise sur la croissance verte, mais reste l’idée néfaste de croissance, donc d’accumulation d’objets inessentiels et d’accaparement propres aux sociétés capitalistes. L’écologie radicale est défaitiste, et en vient à penser naturellement que la défense de la Terre est une fin en soi, et que le moyen le plus adéquat pour la sauver serait la disparition de l’humanité. Reste une dernière manière, celle de « l’écologie de la vie simple », celle préconisée par le pape François, Jacques Élul. Une solution et chrétienne, et écologique, c’est la sobriété heureuse, celle de Pierre Rahbi.

En résumé, le tableau qui nous est peint est celui de l’écologie intégrale prôné par le « Laudato si« . Intégrale veut dire qu’elle doit embrasser tous les aspects de la vie chrétienne dans la défense de la vie : protection de la Création, lutte contre la misère, à commencer par la question de l’habitat, prendre soin de tous et de tout, y compris des objets, mais aussi création d’un environnement culturel riche sans lequel l’imagination reste bloquée dans ce que l’humanité peut produire de plus insignifiant. À terme, c’est tout un environnement qu’il s’agit de repenser et de créer. Une culture pour tous mais sans uniformité, fondée sur le bien commun, et soucieuse des générations à venir. Car si Dieu pardonne, la Nature, elle, ne pardonne jamais.

Il est d’autant plus vital d’agir que, d’après le père Norbert-Marie Sonnier, nous serions en ce moment même dans une époque favorable à la prise de conscience et au traitement des questions écologiques. Et d’introduire le concept grec de Kairos, un dieu grec qu’on doit saisir par les cheveux quand il passe à portée. Il est le dieu de l’opportunité. Dans le christianisme, on dira que Dieu a ouvert une époque favorable à ces thèmes. L’importance prise par le « Laudato si« , sa forte résonance avec les préoccupations urgentes de l’humanité, le fait inédit que des groupes de chrétiens se soient rassemblés pour faire une lecture commune d’un encyclique, seraient des signes de ce Kairos.

Bas-relief du Dieu Kairos de Lysippe, exemplaire de Trogir (Croatie)

Bas-relief du dieu Kairos de Lysippe, exemplaire de Trogir (Croatie).

Références utiles

Pape François : encyclique Laudato si

Jean-Pierre Dupuy : Pour un catastrophisme éclairé. Quand l’impossible est certain

Jared Diamond : Effondrement : Comment les sociétés décident de leur disparition ou de leur survie.

Frédéric Lenoir : Lettre ouverte aux animaux (et à ceux qui les aiment)

François d’Assise

Pierre Rabhi : Au nom de la terre

*Laudato si’ (italien central médiéval pour « Loué sois-tu ») est la seconde encyclique du pape François. Elle a pour sous-titre « Sur la sauvegarde de la maison commune » et est consacrée aux questions environnementales et sociales, à l’écologie humaine, et de façon générale à la sauvegarde de la Création. En effet, dans cette encyclique, le pape critique le consumérisme et le développement irresponsable tout en dénonçant la dégradation environnementale et le réchauffement climatique.

 

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