La sélection BD de juin : Blanquet, Tanx, Estrela et Sociorama

Ce mois-ci nous allons nous poser des questions existentielles avec Tanx, plonger dans la noirceur avec Blanquet, enfin comprendre les choix artistiques fadasses de la série Plus belle la vie, et suivre l’auteur Joana Estrela dans son périple LGBT lituanien.

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Guimauves – Blanquet

Compilation d’histoires drôles et angoissantes, Guimauves retrace, à travers 25 récits réalisés entre 1994 et 2010, une partie du parcours de Blanquet en bande dessinée. Il regroupes des histoires parues dans des fanzines à présent introuvables ou très peu connus. Le livre est imprimé en trois pantones (bleu, rouge et vert) afin de rythmer l’expérience de lecture.

Les dessins sont étouffants, anxiogènes, au trait obsessionnel et fouillé jusqu’à la manie. Il n’y a pas d’espace dans les dessins de Blanquet, tout semble littéralement suer, personnages et décors se fondent dans une mêlée organique oppressante. Comme si les frontières des corps étaient mal définies, toujours propices aux abus de pouvoir, à la violence ou à une forme de contamination maladive.

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À la croisée entre BD et art contemporain, la lecture des œuvres de Blanquet, toujours dérangeante et assez impitoyable, nous remue profondément. Cette noirceur tragi-comique révèle une forme d’absurde existentiel paradoxalement touchant et poétique.


 Guimauves de Blanquet, paru le 01 juin 2017, éditions Cornélius, 23,50 euros


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Des croûtes au coin des yeux, tome 2 – Tanx

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Cet album est tiré des strips parus sur le blog de la dessinatrice Tanx entre 2012 et 2016. Depuis onze ans, l’autrice s’astreint à nous délivrer des billets d’humeur sous forme de dessins. Avec une énergie punk bienvenue, elle nous livres ses réflexions philosophiques et existentielles sur le statut d’artiste, la création, le problématique paiement de son loyer, mais aussi les discussions ineptes entre gens bourrés et des rêves cocasses… On retrouve la crudité du quotidien entremêlé d’insomnies et d’obsession esthétiques.

Le trait est très varié, très maîtrisé par moments ou assez lâché selon l’humeur. On pense à la Canadienne Julie Doucet et son célèbre fanzine Dirty Plotte pour la liberté de ton et les réflexions type « journal intime », et également pour les dessins en noir et blanc.

Bouillonnant d’énergie, de doutes et d’autodérision, Des croûtes au coin des yeux est un album savoureux qui parlera en particulier à tous les créateurs victimes d’angoisses variées et de questionnements sur leur place dans la société et leur intégrité artistique. Vu la période, Loi Travail oblige, les manifs s’invitent également dans les strips. D’ailleurs on termine en beauté par le refus de l’autrice d’être nommée Chevalier des arts et lettres par la ministre de la Culture. Punk’s not dead !

Le blog de Tanx où on peut lire ses strips et admirer ses gravures : http://tanx.free-h.fr/bloug/


 Des croûtes au coin des yeux, tome 2 de Tanx, paru le 11 mai 2017, éditions 6 pieds sous terre, 15 euros


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Plus belle la série – Harel/Landes

« Il faut augmenter le thermostat dramatique »

On est tous au moins une fois tombés en zappant sur Plus belle la vie, série du service public français qui se déroule dans un Marseille de pacotille où l’on revient toujours au même décor, celui du bistrot Le Mistral.

Cet album est l’adaptation en BD de la thèse de Muriel Mille, Produire, de la fiction à la chaîne (2013). On y suit les aventures fictionnelles d’une scénariste de Plus belle la série, avatar imaginaire de Plus belle la vie qui s’incruste parmi les figurants pour voir comment son scénario est adapté… elle découvrira alors les aléas du tournage et de ses contraintes de temps et de budget en particulier.

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La BD nous montre la construction de la série qui est une machine énorme capable de produire un épisode tous les soirs. Chaque étape de travail est divisée et autonome, par exemple les scénaristes travaillent en équipe sur différents « arcs narratifs » qui déterminent les histoires sur plusieurs dizaines d’épisodes, puis les réalisateurs et acteurs découvrent le scénario au fur et à mesure, ce qui donne lieu à des réinterprétations ou simplifications inattendues…

Étant financée par le service public, la série se doit d’aborder des problématiques sociales voire de prévention (sur le dépistage du cancer colorectal par exemple…) ce qui n’est pas toujours évident à mettre en œuvre, d’où parfois une certaine lourdeur narrative dans les épisodes. Au final, même si la série peut paraître neneu, on s’aperçoit qu’elle a malgré tout une certaine ambition dans les messages qu’elle délivre, et de par son audience très large elle peut faire évoluer les mentalités vers plus de tolérance.


Plus belle la série, de Harel (scénario) et Landes (dessins), paru en avril 2017, éditions Casterman, 12 euros


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Propaganda- Joana Estrela

À la fin de ses études, la Portugaise Joana Estrela décide d’aller faire du bénévolat à la LGL, la ligue gay lituanienne. On découvre le quotidien des militants qui organisent des fêtes et la Baltic Pride dans un pays beaucoup plus homophobe que la France. En Lituanie par exemple une loi de protection des mineurs interdit de parler d’homosexualité. Parlant de la fête qu’elles organisent, un journaliste leur demande sérieusement « et si des zoophiles et des pédophiles décident de rejoindre votre marche ? » ce qui montre le niveau d’intolérance même dans des milieux « éduqués ».

Les spots publicitaires pour le défilé, pourtant très « mainstream », sont interdits de diffusion car « faisant la promotion de relations familiales différentes de celles établies dans la Constitution ». Les militantes font également face à la municipalité qui refuse le trajet de la manifestation sous divers prétextes. Après plusieurs actions en justice, la Baltic Pride aura bien lieu, même si le défilé est ceinturé par des contre-manifestants homophobes…

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Le trait très enfantin et presque minimaliste de Joana Estrella possède une fraîcheur qui souligne le côté « carnet de bord » de son album. On suit le quotidien de ses ami·e·s au travers leurs histoires de travail, de cul et d’amour, les pique-niques et les fêtes… les débats sur leurs choix de vie sont teintés d’une difficulté plus sensible que dans d’autres pays à faire accepter la légitimité de leur orientation sexuelle.

Ce livre donne un témoignage intéressant sur l’homophobie dans l’Union Européenne : même si les héroïnes ont un mode de vie similaire à ce que l’on peut connaître en France, elles font face à un contexte beaucoup plus réactionnaire où le rejet de l’homosexualité s’exprime ouvertement.

Propaganda de Joana Estrela, paru le 15 avril 2015, éditions Warum, 16 euros

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