Big Bro : le rap sans béquilles

Big Bro, rappeur de son état, sort un nouvel album intitulé Totem. Et il ne sort pas pour rien. Il ne remplacera pas une jambe, mais il pourra peut-être en payer une « intelligente ». Rencontre avec un artiste qui vit sans béquilles et qui fout encore le flow au tapis avec sa « jambe de bois ». Mais la langue elle ne l’est pas.

 

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C’est l’histoire d’un parcours dans le rap et aussi dans le bâtiment. C’est l’histoire d’un mec et aussi d’un accident. Un accident qui aurait pu être évité sur un chantier Vinci. Mais Big Bro a plus d’un tour dans son flow, et c’est avec conviction qu’il sort aujourd’hui Totem. 12 titres, et quelques versions instrumentales. L’occasion d’un portrait avec Big Bro.

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■ C’est quoi ton histoire avec le hip-hop, comment t’as commencé ?

J’avais un daron qui était dans l’armée et je déménageais tout le temps, mais on est arrivé en région parisienne en 1986-1987. À l’époque j’étais branché Radio Nova, radio star, avec Dj Dee Nasty, toute l’époque où ça freestylait à mort sur les radios, y avait des crews, new generation mcs, candidat au suicide, BWP, le mouvement Authentik, toute cette époque qui grouillait de sons.
Et puis le graffiti, avec le SDK un gros crew de graffeurs parisien, et y avait une petite section hip-hop, c’était nous les rappeurs. Mais c’était à l’arrache à l’époque, moi j’ai commencé à rapper en faisant des instrus en faisant du copier-coller avec le poste de ma sœur. Je chopais des boucles sur Nova. Puis après premier sampler, et tu te mets à faire du son. Je suis arrivé sur Rennes en 1992, j’avais déjà des kilos de textes quand j’ai rencontré toute la clique ici.

■ Du coup t’as enregistré ton premier album à Rennes ?

Là je viens de faire un best of, le plus ancien titre exploitable que j’ai trouvé date de 2002 !
Avant j’avais ça sur cassette, sur md, mais avec aucune piste séparée. Mais on avait quand même fait plein de tapes ; y a eu une période on avait une asso avec un local, des CES associatifs, avec les keupon de mass murderer dans le même lieu, on se marrait bien. Y’avait une boutique à côté de la place de Bretagne qui vendait des cassettes, quand on partait en mission on en achetait 50. Après j’ai des fait des skeuds mais on les trouve pas sur le marché ; j’ai fait Whashington vu d’ici, c’est le 1er Big bro ça !

■ T’as choisi le nom de Big bro pour le grand frère ou Big brother is watching you ?

Les 2 ! Parce que bon, 1984… J’ai pas lu beaucoup de bouquins mais celui-là je l’ai lu ! Ma vision des choses est beaucoup basée là-dessus. J’ai pas la télé chez moi, y a une bonne raison. J’en veux pas mais je les entends quand même parce que j’habite pas dans une caverne, mais j’entends et ça me suffit largement et j’essaie de pas être trop parasité par ça.

■ Le nouveau projet qui sort, est-ce que tu peux nous en dire un peu plus ?

Il y a des morceaux qui ont été écrits avant mon accident, j’étais déjà en train de le préparer. Puis y a eu l’accident, j’ai repris mon crayon pour gratter des trucs, fallait le compléter, puis de toute façon je peux pas m’empêcher d’écrire ! Y’a 13 titres, et 5 instrus, avec des prods de Foch, Unsteack Ear, Logilo…

« Faut que je m’achète un genou ! Pour 3000 € t’as juste un pied. »

■ Du coup tu le sors de quelle manière, et notamment avec cet objectif d’avoir un nouveau genou plus performant ?

Ça fait des mois que l’album est prêt, mais là j’attends la réponse des plate-formes pour pouvoir lancer des souscriptions, avec des contreparties… faut que je m’achète un genou ! Pour 3000 € t’as juste un pied. Pour le moment Vinci m’a envoyé une carte de vœux en me disant « mon cher Bertrand nous sommes à tes côtés » j’ai vu personne derrière moi. Depuis j’ai pu lire un audit interne sur la sécurité que je dénonçais déjà tous les matins sur le chantier du métro : grand risque de chute, de heurts, délai d’intervention : immédiat.

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■ Ton accident a rajouté des textes au projet ?

Ma vision des choses a pas changé, je suis le même bonhomme qu’avant, j’ai pas pété de câble. Tiens une image toute bête ; imagine une course de chevaux, ben lui il court vite on va lui mettre un handicap. Parce que je suis infernal comme garçon, j’ai une phrase qui me revenait souvent « je m’fatigue moi-même ». Au quotidien ma femme a beaucoup de mérite ! Maintenant je suis beaucoup plus calme.

■ Justement ton titre « Un homme en colère »… tu l’es moins maintenant ?

Si je suis toujours en colère, mais avant les émotions je me faisais attraper par elles, il a fallu que je prenne du recul par rapport à ça, mais ça c’est lié à comment on m’a élevé. J’avais des schémas qui étaient pas les bons, puis tu enfouis les choses, et un jour elles ressortent et faut mettre des mots dessus. En tout cas ce qui m’est arrivé là, j’étais déjà en paix avec moi-même avant.
Dès le soir même de l’accident, je sortais des conneries ; mais je suis solide, j’ai vécu plein de trucs, des drames, des décès, mais aussi beaucoup d’amour, alors c’est pas ça qui va m’arrêter. J’ai pas craqué, ça a été dur, mais on est resté solide avec ma famille parce que j’étais solide.

■ C’est pour ça que l’album s’appelle Totem ?

Non, je suis une figure pour mes proches, pour les gens j’en sais rien c’est pas mon délire, mais ça m’importe de l’être pour ma femme, mes enfants, mes proches, c’est ça le concept Totem. Je dis pas que j’suis parfait, personne ne l’est, mais tous ensemble on peut prendre le meilleur de chacun et tac. Dans mes textes j’ai toujours autant de colère mais j’essaie d’aller vers l’avant.

« ils s’autodétruisent tout seul les mecs ! »

■ Côté thématique, dans « Plus c’est gros plus ça passe » tu parlais déjà pas mal de l’utilisation de l’argent public par les politiques ; tu comptes dédicacer prochainement un titre à François Fillon ?*

Y a un titre oui, il est pas passable à la radio, c’est une saloperie, ça s’appelle « Marianne la putain de la République »… il va pas passer ! J’évite de mettre trop les blases des gens, tu sais pas sur qui tu vas tomber, j’ai pas la prétention qu’on vienne me mettre en diffamation. Mais je balance des saloperies, toujours, parce qu’ils me mettent chaud tout le temps. Même si je les écoute pas, l’écho de leur voix arrive jusqu’à moi ! Parce que je conçois pas la vie ensemble comme ça ; faut me laisser 5 minutes dans une pièce avec eux et ils comprendront qu’il va falloir arrêter !
Y en a un sur France Inter que j’adore c’est Pierre-Emmanuel Barré, il fait des chroniques de bâtard, y en a qui doivent saigner des oreilles ! Mais Fillon y a même pas besoin d’en parler… ils s’autodétruisent tout seuls les mecs, laissez-moi du taff !**
Quand je les vois s’agiter tous, pas qu’eux, le monde en général, allez-y agitez-vous, mais on arrive au bout d’un chemin..
Mais massivement, si les gens vont dans la rue, comme en Islande face aux banquiers, j’aimerais bien déjà que ce soit ce qui se passe..

■ Tu crois que c’est possible à l’heure actuelle en France ?

Pas de tout de suite, dans quelques mois je pense… faut attendre le mois de mai qu’on rigole !

■ On refera une interview post-présidentielles ! Du coup tu penses que tu fais plutôt du rap dit conscient ?

Je suis quelqu’un de conscient, mais je dis de la merde aussi, je suis pas un professeur. Conscient ouais… c’est mon cri, je sais pas s’il est conscient, c’est à d’autres de le dire. Je suis bien conscient de ce qui se passe, mais je fais pas toujours ce qu’il faut, j’ai pas la prétention de donner des leçons à mes semblables.

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■ Tu continues à écouter ce qui se fait aujourd’hui en rap français ?

Tout le temps, j’écoute, du PNL, Booba… j’en écoute pas mais j’ai écouté ! Je me suis dit « c’est quoi ce bordel ». Je suis attentif, je regarde beaucoup sur Internet, comme le mec qui va digger des samples chez Groove. Y a plein de trucs chanmé, le rap c’était mieux avant, mais arrêtez de vous palucher les gars. Mais y aussi plein de trucs que je peux pas blairer. Pour revenir à PNL, je connaissais même pas, mais je peux pas blairer les trucs à 70 BPM avec une caisse claire tous les 4 temps… Puis alors le délire de gangster… je rigole mais j’ai des potes qui faisaient ça ils avaient pas le temps de rapper ! Tu peux pas rapper bien comme ça, soit tu fais Pablo Escobar soit tu rappes, me raconte pas de chanson. J’en connaissais qu’un qui faisait les deux, c’était un pur emcee, et il écrivait tout ce qu’il faisait ; la 4e fois qu’ils sont venus le chercher à 6 heures du matin, ils l’ont pris lui… et son cahier de textes, merci monsieur.
Même si j’ai fait de la merde, je vais pas faire l’apologie de ça, fanfaronner, enfin t’es en bas quoi c’est d’la merde, c’est suffisamment difficile, et j’ai jamais voulu envoyer ça aux gens.
Sinon y a ce qu’il faut, Flynt, Sear lui-même, Paco, Scylla… le rap français y a plein de trucs bien !

■ C’est quoi ton dernier coup de cœur en rap justement ?

Convok, Un jour plus vieux.

Pour le BigBroThon et avoir cet album c’est par là !

* L’interview a été réalisée début février 2017.
** En référence à une chronique de Pierre-Emmanuel Barré.

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