Mythos 2017 : Rencontre avec Mael Le Goff, directeur du festival

À quelques jours du festival Mythos, dont l’ouverture se fait ce vendredi 31 mars, nous rencontrons Mael Le Goff, le directeur du festival; une bonne occasion pour revenir sur les origines de cet événement culturel rennais, mais aussi de défricher la programmation de cette vingt-et-unième édition à venir.

 

■ Première question pour nos lecteurs qui ne connaîtraient pas le festival, Mythos, c’est quoi ?

Mael-Le-Goff-Mythos-2017Bonne question. Mythos, c’est un festival de la parole et des mots, pour simplifier c’est un festival qui se pose aujourd’hui la question de comment l’on continue à raconter des histoires. Alors, les histoires, on les raconte de plusieurs façons. J’ai embrassé la question des histoires au travers mon père qui était conteur, raconteur d’histoires.

Quand j’ai eu une vingtaine d’années sur les bancs de l’université, je me suis dit : est-ce que c’est moi, de par mon père, qui suis intéressé par les histoires ou est-ce que les gens et les jeunes gens de l’époque aiment aussi à entendre des histoires ? C’est vraiment ce qui a amené la naissance de Mythos.

Le début de Mythos c’est un festival qui n’a de festival le que le nom. C’est quatre soirées au Théâtre du Vieux-St-Étienne, mais toujours avec cette envie de faire découvrir des raconteurs d’histoires. À l’époque, nous avons eu la chance de faire venir parmi les plus grands raconteurs d’histoires du pays, des amis de mon père, tels que Yannick Jaulin, Bernadette Bidaude (présente à l’affiche du festival cette année), Pépito Matéo, etc.

Il y a eu une adhésion immédiate des étudiants qui ne sont pas dans les a priori – ou dans cette caricature de ce vieux conteur, de la barbe blanche, du coin du feu – et un coup de foudre de ces artistes qui découvrent un nouveau public, et de ce public qui découvre de nouveaux artistes même s’ils sont de générations différentes.

« plus de soixante spectacles proposés sur dix jours »

C’est le point de départ du festival, et petit à petit, on ouvre à la chanson parce que c’est aussi une façon dont les artistes ont de raconter des histoires. On est fin des années 90, c’est le renouveau de la chanson française, et le festival s’inscrit dans cette mouvance-là. La chanson aussi, car quand on a écouté des histoires toute la journée, la question du festival, de l’étymologie du mot – festif – on a envie de passer à autre chose, de faire la fête, d’écouter de la musique. La chanson est un vecteur qui permet cela plus que le théâtre ou le conte. Voilà pourquoi Mythos devient, petit à petit, un festival d’histoires racontées par des hommes de scène comme des hommes de théâtre et d’un autre côté un festival de musique avec une part importante faite à la chanson.

Vingt ans plus tard, c’est une autre histoire, même si c’est la continuité de ce qui a émergé à l’origine. C’est vrai que c’est devenu un festival qui a grossi, qu’il s’est diversifié, s’est agrandi et maille un territoire. Il y a évidemment ces jardins du Thabor que l’on connaît bien et qui sont les poumons ou le cœur battant du festival, mais il y a tout ce maillage sur la métropole et au-delà puisque l’on va jusqu’en forêt de Brocéliande. Des partenariats qui se tissent à la fois par des rencontres avec directeurs de lieux, des porteurs de projets et qui font aujourd’hui la richesse de la proposition. C’est plus de soixante spectacles proposés sur dix jours. Des spectacles qui ont des géométries variables, à la fois des têtes d’affiche et puis d’un autre côté des propositions totalement intimistes, peu connues du grand public, et c’est vraiment cet alliage des deux qui nous intéresse à Mythos.

Voilà aujourd’hui comment décrire Mythos, donc c’est un peu long, je suis un bavard, mais voilà ce que cela m’évoque quand on me pose cette question.

 

Est-ce qu’il y aurait des dates ou des événements marquants qui symboliseraient cette évolution du festival ?

 

mythos-rennes-2017Je ne suis pas très fort pour ce qui est des dates, je crois que je garde les sensations, des souvenirs diffus. Je ne peux pas dire en 2002 il y a eu ça, puis en 2005 il y a eu ça…

Je serais bien en peine de raconter des anecdotes précises, mais je sais qu’il y a eu cette première période d’ »apprivoisement » de ce qui allait devenir un métier pour nous qui étions un groupe d’étudiants totalement inexpérimentés. On a fait ça avec l’énergie et la fougue de la jeunesse. On collait des affiches la nuit jusqu’à 5h du matin parce qu’il fallait recouvrir toutes les palissades. Il fallait que ça existe, c’était important pour nous. Mythos était totalement confidentiel, et il y avait un combat à mener.

Il y a eu la deuxième phase où l’on a ouvert à la chanson et donc installé un premier Magic Mirror sur la place Hoche à l’époque. Cela était un vrai pari que l’on a fait parce que l’on n’avait pas beaucoup d’argent pour le faire. L’avantage d’un projet comme Mythos c’est que l’on est, entre guillemets, totalement libre de faire ce que l’on veut. L’inconvénient, comme c’est un projet qui n’a jamais été commandité par qui que ce soit, donc on a fait avec le peu de moyens que l’on nous a donnés, à une époque où les financements étaient en berne. Par rapport à d’autres associations rennaises, nous avions des moyens, mais loin de certains festivals qui furent créés bien avant les années 90.

« les questions de modèle économique n’ont pas manqué d’être reposées »

Nous avons été obligés de créer des modèles économiques, avec ce pari de faire venir un Magic Mirror, parce que si l’on se trompe là-dessus, on va prendre le bouillon et c’est fini pour Mythos. Il y a eu toute la phase de développement, d’affirmer le double projet avec d’un côté les salles partenaires et de l’autre ce Magic Mirror, et la convivialité que ce dernier a apporté avec sa capacité à pouvoir y boire et y manger avec un spectacle. Donc il y a eu cette stabilisation, cinq ou six ans avec l’envie de travailler sur ce concept de cabaret, le déplacement sur la place du Parlement.

Puis, il y a la dernière phase avec le déménagement dans les jardins du Thabor parce qu’on faisait trop de bruit. Isolés malgré nous dans ces jardins, on pensait que cela était un drame avant de se rendre compte que c’était une chance inouïe. C’est un lieu absolument incroyable que les Rennais aiment et qui n’était pas souvent exploités, parfois les Tombées de la Nuit, mais pas grand-chose. On y est installés depuis dix ans, on s’y sent bien en essayant de le préserver – ce qui n’est pas si simple – et petit à petit, on a trouvé ce mariage avec ce lieu de patrimoine bucolique en plein centre de Rennes.

C’est aussi une phase où les questions de modèle économique n’ont pas manqué d’être reposées. Il y a à la fois le projet d’un côté et la possibilité du projet de l’autre, et je me souviens qu’il y a sept ou huit ans, on s’est retrouvé avec un déficit, une alerte du commissaire aux comptes. S’est posée la question d’un avenir pour Mythos avec un prix des places déjà assez élevé, des jauges réduites, la difficulté d’un modèle économique qu’on n’arrivait pas à inventer. Quand on a la possibilité de mettre 50 000 personnes dans un champ, les problématiques économiques ne sont pas tout à fait les mêmes que quand l’on ne peut mettre que 500 à 600 personnes dans un Magic Mirror.

Ce sont toutes ces questions que l’on a essayé de travailler, puis le dernier souffle a été d’avoir trouvé un Magic Mirror plus grand de 1500 places, faire venir quelques têtes d’affiche pour élargir la base du public tout en continuant à défendre des propositions singulières d’artistes engagés, des choses plus pointues artistiquement ou exigeantes, même si je crois beaucoup au grand écart entre les deux, des choses populaires d’un côté, des choses plus dures d’accès de l’autre, parce que petit à petit, des gens qui rentrent par une porte finissent par trouver la voie et le chemin.

■ Pour aborder cette vingt-et-unième édition quels sont justement vos coups de cœur et vos paris ?

Il y a toujours dans un festival des coups de cœur. Alors il y a ceux artistiques, des spectacles que l’on a vus et que l’on a adorés, mais cela est très personnel. Peut-être que le public n’aura pas les mêmes goûts que moi, et c’est cela qui fait la richesse du spectacle vivant et des arts en général.

We_Love_Arabs_c_Gadi_DagonPour moi, il y en a, je pense, par exemple, à We Love Arabs (au théâtre de la Paillette) qui a été pour moi une révélation du festival d’Avignon en 2016. C’est la rencontre d’un chorégraphe israélien et d’un danseur arabe, pour les besoins de sa pièce, le premier faisant appel au second, et c’est la rencontre de deux mondes. C’est à la fois l’allégorie de plus de cent ans d’un conflit insoluble et à la fois un coup de pied dans la fourmilière, les clichés et les idées reçues. C’est un spectacle absolument indispensable, en tout cas pour moi, plein d’humour d’où on sort de là avec la banane et en même temps on nous a dit des choses, on nous a raconté des choses d’un monde qui est compliqué à entrevoir. C’est à la fois une simplification d’un problème relativement bien complexe et c’est salvateur.

Il y aussi Still in Paradise, de Yann Duyvendak qui était venu il y a quelques années avec un procès d’Hamlet, Hamlet please continue. Yann a toujours cette capacité à mettre le spectateur dans une position confortable et inconfortable, c’est-à-dire que dans le procès d’Hamlet, le public est assis sur une chaise ce n’est pas ça le problème, mais il est partie prenante. Tout à coup, il est acteur, car il regarde non pas un spectacle se dérouler, mais aussi une tragédie, une histoire de la justice et de la société. 

Pour ce nouveau spectacle, on est au cœur d’un dispositif, Yann et son acolyte Omar nous proposent une vingtaine de scènes ou tableaux qu’ils peuvent nous jouer. Le public choisit à main levée, sous forme de démocratie, et on s’apercevra qu’ils réussiront à nous imposer leurs choix. Comme quoi on impose toujours en démocratie. C’est l’occasion de montrer à nouveau les rapports Nord/Sud , les questions de l’autre, de l’identité, de celui qui est différent…. Toutes ces questions de société sous fond de 11 septembre. C’est cet événement qui a incité Yann Duvendac à créer une première version de ce spectacle Made in Paradise, et avec les événements plus récents, il a eu envie de créer ce deuxième opus.

C’est un curieux attelage sur scène entre Yann, ce grand Suisse blond presque caricatural et Omar Ghayatt, Égyptien en négatif du premier. On assiste à un spectacle qui raconte le doute, les interrogations et les sentiments face aux origines, aux peuples, au regard des autres. C’est une pièce qui dure plus de deux heures où l’on voyage, d’une scène de liesse dans une ville égyptienne sous fond de musique techno à une scène de prêche d’un imam. C’est parfois glaçant, parfois très drôle, ça nous prend à contre-pied, et on en ressort assez bouleversé.

Il y a comme dans tous festivals les paris. Il y a Le Fils de David Gauchard, spectacle qui a été accueilli en résidence à l’Aire Libre, une commande confiée à l’écriture de l’autrice rennaise Marine Bachelot Nguyen autour d’un fait divers qu’il a vécu lorsqu’il habitait aux alentours du TNB, au moment où le spectacle Sur le concept du visage du fils de Dieu  y était joué. Il a été confronté à cette manifestation de Civitas qui considérait la pièce de Romeo Castellucci (le metteur en scène) comme blasphématoire.

De cette anecdote part l’histoire d’une pharmacienne et ses deux fils qui vont au fur et à mesure se radicaliser, et ce ne sera pas une radicalisation dans l’Islam, mais plutôt dans la religion catholique. C’est là aussi un contre-pied, et c’est là aussi intéressant et significatif des amalgames que l’on ne doit pas faire et c’est Emmanuelle Hiron, une actrice que l’on avait déjà vu dans Les Résidents, qui porte cette parole ambiguë et poignant.

En parlant de femme et de parole et de pari, comment arrive-t-on à avoir P.J. Harvey en lecture de poésie ?

C’est des concours de circonstances et de réseaux… On travaille depuis quelques années avec un lieu d’Avignon qui s’appelle La Manufacture avec lequel nous sommes associés depuis deux ans. Le créateur historique du lieu me dit un jour « Tiens, j’ai une amie qui habite ici, tu devrais la rencontrer, elle a des projets atypiques avec des artistes qui font de la chanson. Elle a fait venir PJ Harvey pour les rencontres photographiques d’Arles ». Nous la contactons pour présenter le festival, nos envies de projets à la marge, d’artistes de musique qui se prêteraient au jeu du texte et de la parole brute et ça s’est fait comme cela.

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ll s’avère que P.J Harvey avait envie de défendre sa poésie, mais ce n’était pas si simple, parce qu’elle nous en proposait que 35 minutes en anglais, il fallait trouver comment l’allier à autre chose. On a alors proposé à Fantazio, que l’on aime beaucoup et qui a fait le même chemin et que l’on a eu en résidence à l’Aire Libre l’année passée. S’il y a quelqu’un qui peut partager le plateau, même s’ils ne sont pas réellement ensemble sur scène, c’est quelqu’un qui a cette puissance, cette dimension qu’a Fantazio. Ce sont deux moments de poésie forts, quoiqu’un peu étanche entre PJ Harvey, l’icône rock et Fantazio le punk poète allumé et absolument étonnant.

■ Comment se passe la programmation des soirées entre le conte, la parole et la musique et la chanson ? Comment arrive-t-on à trouver la bonne alchimie ?

Ça, c’est compliqué. On est pas toujours en plein dedans, parfois ça crée une rupture. Le public, lui, se pose moins ces questions-là, il se laisse aller, il s’accroche moins à ce genre de détails. Il va passer un bon moment à vingt heures trente, puis il va passer à autre chose. On est dans une société où l’on zappe; on peut passer d’un programme, d’un film totalement dans l’émotion à un show télé juste après, il y a quelque chose de cet ordre-là. Je ne dis pas que les spectateurs de Mythos sont des consommateurs de télé (rires), mais le public accepte assez facilement les grands écarts. Mais pour nous, c’est toujours un vrai défi de se dire quelle est la couleur de cette soirée. C’est parfois des choses qui sont assez intuitives et pas tellement rationnelles. Ce n’est pas du tout une thématique, on ne va pas se dire « on va parler de l’Afrique ou du Moyen-Orient ou au contraire on va faire une soirée humoristique ». C’est plutôt des couleurs d’artistes.

Cette année, on propose par exemple une soirée avec Nicolas Rey et MathieuSaïkaly (Les Mauvais Garçons) qui nous reviennent avec leur nouveau spectacle et l’on avait déjà calé Timber Timbre et The Legendary Tigerman. On se dit que Nicolas Rey a quelque chose de classieux, sur le fil, qui est subtil. C’est aussi la façon dont je décrirai la musique de Timber Timbre, très élégante, et c’est sur crête-là que l’on va travailler cette soirée.

La première soirée du samedi soir avec Naïve New Beaters et Puppetmastaz, il nous fallait un spectacle un peu « festif », si l’on se permet de le caricaturer comme cela, un peu décalé, où l’humour devait aller avec ce principe de fête, dans quelque chose de peut-être moins poétique et précieux. On a donc trouvé La Soi Disante Compagnie, d’Attifa de Yambolé qui est un spectacle décalé et totalement loufoque et en même temps ce dernier est interprété en LSF et donc a une portée d’ouverture à des publics qui sont parfois empêchés. Ce n’est pas qu’un spectacle où l’on est là pour rigoler, mais on est aussi là pour que cela soit un spectacle qui soit accessible. Voilà comment on se dit que cette soirée doit être festive, ouverte et grand public. Voilà une autre porte d’entrée par exemple, et c’est un petit peu comme ça que l’on essaie de tisser nos soirées qui en font une forme d’originalité du festival alors que l’on pourrait créer de l’étanchéité, d’un côté les concerts et de l’autre les artistes de parole. Non. Cela a toujours été notre volonté de croiser les espaces.

■ Du point de vue de l’ouverture aux différents publics, vous avez créé des événements hors temps de spectacles,tels que la Boum (pour les enfants), est-ce que ces temps de lien social sont importants pour vous ?

Oui. Pendant longtemps, les concerts de 18h étaient gratuits et c’était une volonté d’ouvrir sur un public qui soit n’avait pas forcément les moyens, soit un public plus jeune. Je crois que cela a vraiment aidé à ouvrir le festival. Aujourd’hui, on ne va pas revenir sur les questions économiques que nous avons pu aborder tout à l’heure, mais il y a une véritable impossibilité à accueillir de cette manière les artistes, parce que les artistes doivent être rémunérés, et que nous n’avons pas les financements pour faire des spectacles gratuits. D’autres festivals le peuvent, ce sont d’autres projets, je pense par exemple aux Tombées de la Nuit, qui sont basés sur la gratuité.

Nous, à Mythos, nous sommes contraints par cela, mais nous avons voulu conserver des endroits en accès libre, c’est le cas dans le Cannibale Cabaret qui propose de boire un verre et de la restauration sans être festivalier, ce qui nous paraît extrêmement important. Pendant un moment, on s’est demandé si l’on réservait les jardins du Thabor uniquement aux festivaliers. Non, c’est un lieu ouvert, un lieu de passage, il faut que tout le monde y ait accès.

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La Boum fait partie de ces choses. On le voit bien, les gens nous les redemandent, donc pourquoi on en fait deux ? On aurait pu n’en faire qu’une, il y a deux week-ends. Le dimanche après-midi, les gens ont envie de sortir avec les enfants, de profiter du Thabor, de se prélasser sur les pelouses si on a la chance qu’il fasse beau – mais il fera beau, j’en suis sûr – et que les enfants s’éclatent.

Petit à petit, ça a pris de l’importance et aujourd’hui c’est un endroit que l’on aura du mal à enlever, car le public l’attend et dit : « Vous n‘enlèverez pas la Boum et vous ne l’enlèverez pas aux gamins! » car c’est aussi un moment super où l’on voit les parents emmener leurs enfants danser qu’ils soient venus, la veille ou non, au festival.

On essaie de ménager ces moments-là et ces espaces d’ouverture qui permettent en effet de brasser un public plus large.

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