Silence, de Martin Scorsese : un voyage dans le passé en compagnie de jésuites jusqu’au-boutistes.
Sur une île lointaine (dans le temps et l’espace), à savoir le Japon du XVIIe, vivent donc des Japonais. Ils ploient sous le joug féodal de gouverneurs sanguinaires (à qui personne n’a encore inculqué les bienfaits de la laïcité ni de la démocratie participative) tel Inoue (Issei Ogata). Et comme ces barons tyranniques se disent bouddhistes (et plus cruels que des fonctionnaires de police assermentés en mission du côté d’Aulnay-sous-Bois), il ne fait pas bon être chrétien, encore moins prêtre, en ces terres et époque hostiles.
Alors, quand deux jésuites portugais, le Père Sebastião Rodrigues (Andrew Garfield) et le Père Francisco Garupe (Adam Driver), décident de s’y rendre, pour s’informer sur le sort d’un missionnaire, le Père Cristóvão Ferreira (Liam Neeson), qui aurait apostasié sa foi catholique (pourtant exemplairement fervente) au bénéfice des croyances locales, on se demande bien dans quel foutu pétrin se fourvoie cette paire de pèlerins, bille en tête, crucifix autour du cou et rosaire in the pocket.
Deux paradigmes s’opposent – réunis néanmoins par le même goût pour l’inquisition et le prosélytisme. Mais là, les bouddhistes jouant à domicile, ils sont grands favoris dans cette lutte à mort entre deux Églises, deux vérités, deux conceptions de l’au-delà (sans parler de l’ici et du maintenant).
Dans un décor gris tourmenté fait de vagues, d’éclaboussures, d’embruns, de brume, de larmes, de pluies ruisselantes et de sueurs froides, nos deux prêtres débarqués au Pays du Soleil levant voient leur foi mise à rude épreuve.
Les souffrances terrestres, largement alimentées par les conduites humaines, sont le sujet de ce Silence. La foi serait-elle à même de les compenser ? Les paysans japonais sont écrasés par des seigneurs, pour lesquels la vie de leurs sujets n’a aucune espèce de valeur. Ces derniers vivent d’ailleurs dans la boue et la pénombre, ce qui démontre bien leur infériorité ontologique (tandis que, tout aussi naturellement, les seigneurs ont de belles demeures aérées, très feng-shui, avec des cours (martiales) de sable blanc et de belles prisons ajourées en bois massif, ils portent à la hanche de beaux katanas finement aiguisés qu’ils n’hésitent pas à dégainer pour couper la tête des gueux à la pensée déviante, sont richement et soyeusement vêtus, le crâne surplombé de coiffures sophistiquées et protégé avec de rutilants casques floqués d’élégantes armoiries et, pour couronner le tout, ils édictent bien sûr leurs lois à ceux qui pataugent dans la gadoue et l’hérésie). Silence se fait réflexion sur la tyrannie des dieux (invisibles et pas toujours audibles) et les superstitions pitoyables des mortels (impitoyables mais pas forcément très courageux ni larges d’esprit).
Tuer ne suffisant pas toujours pour terrifier les petites gens qu’on souhaite asservir, torturer reste un moyen goûté par les despotes de tout poil pour parvenir à leurs funestes fins. M. Scorcese y ajoute une esthétique panoramique propre à mettre en valeur ces pratiques machiavéliques.
Avec Scorsese, les religieux (jamais éloignés du fanatisme et de l’autoritarisme) portent un message abondamment dévoyé : les uns voulant élargir aux confins du monde connu l’influence de l’Église catholique portugaise, sans que leurs mobiles soient très clairs ; les autres voulant préserver (avec des mesures de censures ultra-protectionnistes dignes de la charia qui règne aux Maldives) ce monopole politico-spirituel qui leur assure une mainmise quasi absolue sur des îliens asservis auxquels, pour les dominer jusque dans leurs intimités, on aura d’une main de fer interdit jusqu’à la liberté de croire et de penser. Mais cette main de fer sait-elle seulement que la foi, de l’ordre de l’immatériel, qui relève de l’inoxydable, ne se laisse pas emprisonner si grossièrement ?
Silence, de Martin Scorsese – Avec Andrew Garfield, Adam Driver, Liam Neeson, Issei Ogata… – Sortie le 8 février 2017 – Durée : 2h41.