Troisième et dernier portrait de cinéaste, à l’occasion du festival Travelling : L’Imprimerie s’intéresse cette fois à Faouzi Bensaïdi, réalisateur et acteur, remarquable derrière et devant la caméra, des deux côtés de la Méditerranée.
La trajectoire de Faouzi Bensaïdi est pareille au geste du comédien qui s’élance sur les planches, dans une recherche à la fois de maîtrise et d’expressivité. Elle commence par le théâtre et la mise en scène, pendant de nombreuses années, puis, en 1997, Bensaïdi tourne son premier court-métrage La Falaise, qui se trouve primé 23 fois dans différents festivals internationaux. Après deux autres formats courts et d’autres collaborations en tant qu’acteur, il passe pour de bon derrière la caméra pour son premier long-métrage, Mille Mois, réalisé en 2003.
Le cinéma de Faouzi Bensaïdi se caractérise par une grande maîtrise formelle : les cadrages sont harmonieusement construits, les entrées et sorties des acteurs sont élaborées à la manière d’un ballet, évoquant tantôt Tati, tantôt Bresson, tantôt Ozu… Les références sont innombrables dans sa filmographie, et toutes ces sources d’inspiration dans lesquelles Bensaïdi va puiser irriguent un cinéma remarquablement construit, passionné par les variations entre fixité et mouvement.
Mais cela ne résume pas tout : Si la plupart des scènes sont soigneusement chorégraphiées, on sent à l’inverse que certaines sont prises « sur le vif », entièrement portées par le jeu des acteurs, par ce qui les traverse sur le moment. Car selon les mots du cinéaste, « La chose la plus vivante dans le cinéma, mais aussi la chose la plus mystérieuse, la plus inépuisable, c’est l’acteur ». Cette grande importance accordée au casting a très certainement à voir avec sa sensibilité théâtrale, qu’il ne cessera de développer : lui-même, acteur au corps filiforme, au visage de cire, joue des personnages assez sombres, aussi bien dans les films d’autres réalisateurs (Nabil Ayouch, André Téchiné, Bertrand Bonello, Jacques Audiard…) que dans ses propres films.
Cette double exigence, formelle et expressive, est visible dans WWW, What a Wonderful World, qui met en scène une histoire d’amour entre une policière et un tueur à gages, qui ne savent de l’autre que très peu de chose : elle ne connaît que l’apparence de l’homme, et lui ne connaît que la voix de la femme. Le film tout entier est une danse où les deux amants se frôlent, se ratent, se dissimulent l’un à l’autre, dans une Tanger découpée en plans audacieux et surprenants. Leur seule possibilité de se rencontrer, c’est le téléphone, réseau satellite dont l’investissement amoureux participe à l’ironie du titre. Le sensible circule comme au-dessus des têtes, dans un réseau de connexions invisibles, inconnues, hors du champ. Et toute la puissance sensible du hors-champ, dimension avec laquelle le cinéma joue toujours, se fait particulièrement sentir dans cette belle réplique qui nous rappelle le pouvoir de la suggestion, de l’inconnu, des énigmes : « Est-ce qu’on a besoin de connaître quelqu’un pour l’aimer ? Ce qu’on aime, c’est ce qu’on ne connaît pas de l’autre ».
Énigmatique sans être obscur, esthétique mais pas édulcorant, cinéphile sans être pédant, le cinéma de Faouzi Bensaïdi parvient à capter des visions, des mouvements poétiques, et fait même apparaître un certain lyrisme dans cette société marocaine troublée. Le cinéaste travaille actuellement à la post-production de son dernier film, Volubilis, prévu pour cette année.