Entretien avec Pierre Ramine

La première fois que j’ai rencontré Pierre Ramine c’était au marché de Noël du Papier Timbré en 2015, on y avait tous les deux un stand et on a commencé à faire des échanges de fanzines et de sérigraphies. Les Pépés Martini n’étaient pas bien loin. Et le courant est très bien passé entre nous. Chaque fois qu’on s’est vus ensuite c’était soit autour de la politique, soit de la bande dessinée ou d’une bière, et le plus souvent, les trois en même temps. Alors forcément, j’ai pensé à lui pour cette première interview ! Je voulais me la jouer Tintin reporter, qu’on se donne un rendez-vous chez lui, que je me ramène avec appareil-photo, enregistreur, etc. Mais bon, la vie, on a fait ça autrement…

 

 

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Tu voulais faire quoi quand t’étais petit ?

Je pourrais pas garantir que ce soit exactement dans l’ordre mais : Cosmonaute, magicien, clown, archéologue et enfin dessinateur vers 13 ou 14 ans. Mais j’étais plus vraiment « petit », plutôt adolescent.

 

Parle-moi un peu de ton parcours, comment tu es arrivé à Rennes ?

Après le bac je suis allé en fac de sociologie, je faisais déjà beaucoup de dessins de presse mais c’est davantage la sociologie et le journalisme qui m’intéressaient. J’y suis resté longtemps – 7 ans en tout pour 4 années validées – et le début de la fac à Bordeaux reste je crois la meilleure période de ma vie, très riche socialement, artistiquement et politiquement. Notamment parce qu’on avait monté un groupe avec les copains, un peu situationniste, qui s’appelait le GAG (Groupe Anarchie Dure – inspiré du film de Cédric Klapisch Le Péril jeune) où on s’amusait à créer et coller des affiches contre le syndicat l’UNEF (un transfuge jeune du Parti Socialiste), pour le carnaval, pour la fête. On s’amusait beaucoup. Ça a été la période de mes premières amours aussi, et avec, mes premières déceptions amoureuses qui ont éclaté à la fin de ce groupe, un peu après.

Par la suite, j’ai fait de la bande dessinée sous la forme d’un « journal intime » où je parle de mes ex copines, de mes amis, de mes parents, comme si j’avais besoin de brûler mes idoles, de me remettre en question, remettre en question ce que j’avais appris, connu, tenu pour vrai. Je me suis tourné à cette période vers un dessin qu’on pourrait qualifier d’ »intimiste » tout en continuant le dessin de presse. Je suis ensuite parti à Toulouse finir mes études de sociologie, j’ai traîné un peu après la fac, je suis allé en Espagne, je suis revenu à Bordeaux puis je suis parti à Limoges, ville improbable mais qui me semblait correspondre à ce que je voulais à l’époque. J’y suis resté un an, ça m’a pas trop plu, puis j’ai déménagé pour une ville plus grande : Rennes, en avril 2009.
Où j’ai participé en tant que bénévole et visiteur à Périscopages, rencontre de la bande dessinée d’auteurs, parce que leurs réflexions sur la pratique de la bande dessinée et sur l’édition rejoignaient les miennes.

 

C’est quoi pour toi une « journée type » ?

J’ai pas vraiment de journée type, ces derniers jours je me suis enfermé chez moi la semaine parce que j’ai un travail en dessin à finir. Le week-end souvent je sors avec les copains-copines, à des concerts, au bar ou à ce qu’on me propose. Je pourrais dire que ma journée commence toujours par un café et après, soit je dessine chez moi, soit je file dessiner à mon atelier de travail, l’atelier Pepe Martini (mais je n’y suis pas trop allé dernièrement), soit je travaille en interim si j’ai besoin de sous.

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Sur quel·s projet·s es-tu en ce moment ?

Je travaille sur un fanzine Les rendez-vous hasardeux commencé à des « 24 heures de la bande dessinée » qui se déroulent en Normandie tous les ans. Les 24 heures de la BD, c’est une manifestation inventée par le dessinateur américain Scott Mac Cloud qui consiste à dessiner 24 pages de bande dessinée en l’espace de 24 heures d’après un thème, une contrainte. Cette année c’était une citation du poète Paul Éluard : « Il n’y a pas de hasard, il n’y a que des rendez-vous », dans mon fanzine je remets en question cette phrase et j’essaie de mettre en opposition et en relation la critique sociale d’un côté et l’art, la poésie de l’autre côté. Je pourrais dire ici que ma relation au dessin a évolué avec le temps et avec mon expérience – et ça prolonge la deuxième question – puisque j’ai commencé à Limoges à travailler le dessin et la BD dans un but professionnel et pu trouver rapidement un travail régulier pour un journal jeunesse basé dans le Finistère qui s’appelle Rouzig.

Il m’avait semblé que l’illustration jeunesse était l’endroit où j’avais le plus de chance de trouver des contrats et j’avais aussi envie de faire une pause dans le dessin de presse, et le dessin de critique sociale. J’ai travaillé un moment avec eux avec plaisir, avec le sentiment de faire des choses parfois un peu niaises mais jolies. Ça a duré jusqu’à ce que je m’y emmerde. Entre temps j’avais également participé à un journal Ya! édité par la même association mais pour un public adulte cette fois, je faisais du dessin de presse et je me suis emmerdé dans ce journal aussi où j’ai eu l’impression de passer au final pour le gauchiste de service, un gars qui fait du dessin satirique entouré d’articles de promotion de la ville, de la région et de ses énarques, ses chefs d’entreprise… Ya! est une sorte de copie régionale dans le Finistère du journal Ouest-France. J’ai arrêté de travailler pour Ya! puis pour Rouzig. J’avais envie à ce moment-là de dessiner « librement », autant que mon auto-censure me le permet, de ne pas être soumis à un travail de commande. C’est là que j’ai sorti quelques fanzines qui sont je crois mon travail le plus intéressant mais pas le plus diffusé puisque c’est moi-même qui m’en charge. Ils rendent compte bien mieux selon moi de mes préoccupations, de mes envies, de mes colères, et aussi de mes fragilités que tout le travail que j’ai pu faire d’après commande.

Y a un slogan d’un groupe qui s’appelle le « Réseau salariat », qui conseille de se débarrasser des patrons, de ces gens qui vous prennent votre temps pour vous faire travailler pour eux – déclarer ce comportement illégal c’est une très bonne idée ! – un slogan donc, qui dit simplement : « On travaille beaucoup mieux sans patron », c’est assez juste pour moi. Quand je dis ça, je ne dis pas que travailler en collaboration avec du monde me déplaît tout le temps. Récemment j’ai travaillé avec Pierre Carles qui est un réalisateur de film documentaire, qui a réalisé ou co-réalisé des films qui ont pour titre Volem rien foutre al pais, Attention Danger Travail, un portrait du Professeur Choron Choron Dernière, plusieurs films sur les médias, un portrait du sociologue Pierre Bourdieu, des films que j’aime beaucoup. Avoir travaillé et avoir été payé par l’auteur d’Attention Danger Travail ça me met aux anges. Voilà enfin pour moi un « patron » qui ne se fout pas de ma gueule, c’est très rare je crois. Sinon je suis aussi lecteur et parfois illustrateur chez Fakir !

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C’est quoi tes inspirations ?

Tout petit je lisais la série Boule et Bill, je ne sais pas si ça m’a influencé… À peine plus tard j’ai lu Hara Kiri, Charlie Hebdo, découverts dans la bibliothèque de mes parents, je me suis amusé à les copier, puis j’ai découvert Robert Crumb, la bande dessinée autobiographique, il doit y avoir une petite part d’eux dans mes dessins… Voilà des inspirations de dessinateurs. Sur les thèmes qui m’inspirent dans mes dessins ce qui me vient tout de suite pour te répondre c’est « le travail », mon rapport au travail et en réalité à l’exploitation, m’intéresse. Les rapports de dominations entre les gens, la société, les politiques, les médias m’inspirent des dessins. Ma vie de tous les jours aussi m’inspire des dessins, je fais parfois des dessins et BD autour de discussions ou réflexions que j’ai pu avoir avec des copains ou copines, ou des réflexions que je me suis faites tout seul d’après des discussions, par exemple depuis quelques temps j’ai pris l’habitude de faire une BD en rentrant de soirée, quand je vais boire des bières dans un ou plusieurs bars de Rennes et que je rentre éméché je fais une bédé inspirée de la soirée. Parmi les fanzines les plus récent il y a aussi « les rêves dessinés » où je raconte mes rêves et me montre parfois assez affreux ce qui ne m’a pas déplu, ça rejoint les thèmes de la société, la sociologie si je puis dire, la psychanalyse et moi-même. Voilà 3 thèmes qui m’intéressent.

 

Un conseil expo / bouquin / auteur·e / dessinateur·trice / ou autre ?

Je dirais Fabrice Neaud et son Journal qui est un journal « intime » raconté en bande dessinée sur plus de 400 pages si je me souviens bien. J’ai beaucoup aimé le lire parce que l’auteur s’y dévoile avec beaucoup de sincérité et d’honnêteté sur lui-même, avec beaucoup d’exigence sur lui-même et sur les autres, sur la société, il nous témoigne de son quotidien d’auteur de bande dessinée, de dessinateur, d’artiste, il témoigne de ses amours et désamours homosexuels, énonce des réflexions sur l’ »intime » et le « public », l’individu et le collectif que je trouve très intéressantes, pertinentes.

En parallèle : il y a une émission de télé que j’aime beaucoup qui s’appelle « Strip Tease » qui a la prétention d’essayer de nous montrer des gens comme ils sont sans les enjoliver et sans les enlaidir. C’est parfois raté, caricatural et ça peut devenir voyeur mais quand c’est réussi c’est très bon, c’est une émission qui nous aide à comprendre la société, les gens, je l’aime pour ça.

Merci Pierre Ramine !
Ça fait un sacré nombre de références, c’est cool.

 

 

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Les illustrations sont tous droits réservés à Pierre Ramine ©


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