Nocturama, un spectacle parisien de Bertrand Bonello

Nocturama : un drame de Bertrand Bonello qui reprend les mythes de l’actu brûlante.

 

Les attentats terrifiants en France contre Charlie Hebdo en janvier 2015, au Bataclan en novembre de la même année, à Nice en juillet 2016, etc., mais aussi les mouvements sociaux d’émancipation internationaux, largement portés par la jeunesse et les intellectuels (en Grèce, en Espagne avec Podemos, en Tunisie, en Égypte, en Syrie, en Libye, au Mexique, aux États-Unis avec Occupy Wall Street ou Black Lives Matters, au Congo ou au Gabon maintenant contre les dynasties oligarchiques au pouvoir depuis les Indépendances, ou en France métropolitaine, voire d’Outre-Mer comme en Guadeloupe ou à Mayotte, contre la loi El Khomry et le monde que cette évolution libérale du Code du travail appelle et que dénoncent avec précision et détermination des essais politiques tels L’Insurrection qui vient ou À nos Amis du Comité invisible*) sont dans tous les esprits, car les médias s’emparent très largement de ces sujets à sensations fortes, parfois anxiogènes, unes, éditos, reportages et photos-chocs se succédant dans une folle farandole étourdissante.

Nocturama de Bonello (à qui l’on doit un Saint-Laurent très visuel) joue avec ces 2 axes. Il les réunit par le biais d’une bande de jeunes Parisiens vaguement mornes, peu loquaces, insoupçonnables, mais radicalement décidés à semer le chaos en organisant méticuleusement une série d’actions explosives et punitives à l’encontre des symboles du capitalisme et de l’ordre social vécus comme oppressifs.

Nocturama est ainsi une réflexion sur une jeunesse française (qui n’est pas sans rappeler une certaine jeunesse allemande des années 70) capable de s’enflammer pour une idéologie, de sacrifier toute logique apparente et de s’engager pour peser sur le cours de l’Histoire. « Par définition, nous dit Cynthia Fleury, l’histoire semble éloignée des hommes du temps présent : ils ne l’ont pas vécue. Ce qui diffère ici [avec la révolution] c’est précisément le fait que l’histoire n’est plus éloignée, elle raconte l’immanence de la liberté, de cette histoire de la liberté qui n’a aucun passé ni futur, ou plutôt qui s’éveille à l’instant même où elle est évoquée et ressentie. »**

Nocturama_baignoire_Hamza-MezianiC’est important de savoir se délasser, comme l’a bien compris Yacine (Hamza Meziani), y compris après avoir enclenché un processus irrémédiable…

Quel usage faire de la liberté ? Peut-on changer les choses sans verser dans la tragédie et l’horreur ? Le scénario de Nocturama aboutit au châtiment impitoyable, sans jugement ni sommation, auxquels s’exposent les ennemis de l’État, soulignant l’impasse suicidaire où s’acculent ceux qui aspireraient à provoquer un nouvel ordre des choses en usant de moyens terroristes contre le pouvoir en place. Et c’est bien ce qui ressort de ce long-métrage de Bonello : l’immaturité pleine de panache, l’impréparation des solutions de repli, l’amateurisme de cette jeunesse contestataire vouée à la déroute dès lors qu’elle use d’armes et de méthodes militaires face à un ennemi institutionnel suréquipé et anonyme, face à un système passé expert dans l’art de la répression, qui ne fait pas de quartier et connaît les recettes pour se défendre manu militari en cas d’attaque.

La candeur de cette jeunesse, à la fois bigrement inconsciente et parfaitement conscientisée (capable le même soir de semer l’effroi dans la capitale, de reprendre en play-back « My way » de Sinatra et de laisser un message de recommandations sur le répondeur de maman), qui regrette de n’avoir pas plutôt attaqué le Medef ou Facebook, a quelque chose de fascinant – et de pathétique. Comment s’attaquer à de tels hydres à mille têtes ? Comment peut-on avoir l’intrépidité de penser que les décapiter est possible, avec juste un détonateur et quelques munitions ? À l’inverse, comment peut-on, une fois qu’on a goûté au sel de la liberté, ne pas avoir salement envie de mettre en branle sa rage et sa bravoure pour combattre toute forme d’asservissement ?

La violence et son usage spectaculaire sont en effet des tentations ataviques. Mais détruire pour exister, pulvériser l’adversaire et ses symboles écrasants pour laisser place à la joie qu’on croyait pouvoir ainsi faire jaillir résulte d’une analyse naïve des rapports de forces, forces opposées et inégales qui apparaissent alors avec netteté : l’État policier désincarné d’un côté et ses légions en armures ignifugées qui ne font pas dans la dentelle ni le sentiment, une bande d’ados pleins de sève, de rêves et de spontanéité plus ou moins irresponsable de l’autre. Dans la configuration de ce Nocturama (prévu initialement pour s’intituler Paris est une fête), dans ce conte moderne sur une jeunesse désenchantée qui cultive l’esthétique du feu d’artifice pour en finir avec un système politique qui ne convainc plus, le combat semble donc perdu d’avance. On aura néanmoins envie de se poser la question : que se passerait-il si, au lieu d’une bande aux armes mal choisies, il y en avait mille, dix mille, cent mille, judicieusement outillées pour que, justement, rêvons un peu, allons encore plus loin dans la féérie, Paris soit réellement une fête ?

* Ouvrages anonymes respectivement parus aux éditions La Fabrique (Paris) en 2007 (130 pages) et en 2014 (248 pages).

** In Les Irremplaçables, Gallimard, NRF, Paris, 2015, 224 pages, p. 128.


Nocturama – Film franco-belgico-allemand de Bertrand Bonello – Avec Luis Rego, Finnegan Oldfield, Vincent Rottiers, Hamza Meziani, Laure Valentinelli, Rabah Naït Oufella… – Sortie le 31 août 2016 – Durée : 2h10.

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