P-Town de Jazzy Bazz, l’insatiable roseau parisien

Habillé sobrement d’un bonnet du commandant Cousteau (dixit Wojtek) et de petites lunettes rondes et noires à la Léon, Jazzy Bazz « réinvente » la ville de Paris avec son nouvel album P-Town. Si parfois Paris s’enferme ou s’étouffe, Paris se porte quand même bien mieux quand il sort des rimes en musique. Jazzy Bazz saisit l’occasion pour lui écrire de nouvelles lignes après avoir parcouru la route du 3.14. Avec un « style direct », « le samouraï ressort de la broussaille » pour imposer de nouvelles limites à franchir. Car oui, P-Town n’a pas fait que ressusciter Paris, il martèle dans notre boite crânienne plusieurs messages. Histoire de montrer une bonne fois pour toutes que « la plume est plus forte que l’épée ».

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« Bienvenue dans P-Town,

Où les nuits sont agitées pour ceux qui vagabondent

La ville est un océan où les vagues abondent.

Bienvenue dans P-Town,

Je vadrouille dans Paris depuis que je suis morveux

Nous attraper dans la nuit, c’est ce que la mort veut. » (P-Town)

Après avoir marqué les esprits en gagnant le Rap Contenders, ces battles remis au gout du jour sur le net, Jazzy Bazz montre qu’il n’est pas qu’un redoutable adversaire. En tant qu’ex-graffeur, Jazzy Bazz marque son empreinte avec pour signature son mic. En s’entourant d’Hologram Lo (ou Dj Lo’), Sheety, Steve Lejeune, Esso Luxueux, Monomite et bien d’autres pour la réalisation musicale et artistique de P-Town, Jazzy Bazz s’empare des compétences des uns et des autres pour diversifier son univers perso’. Alternant les mots justes, les avis tranchants ou les pensées avenantes avec une diction « aérienne », Jazzy sort le meilleur de lui-même. Le meilleur exemple est « Le Roseau ». Nous comprenons alors à qui nous avons à faire : de la technique, du style, mais aussi du sens avec une profondeur critique qui nous écorche humblement l’oreille :

« C’est à une vitesse inférieure que ton corps se forge

Moi je veux de la richesse intérieure dans un coffre-fort. » (Le Roseau)

JazzyBazz_1Grammaticalement rappant, l’album vante tout aussi bien la litote, la multi-syllabique, l’allitération et autres nombreuses figures de style. Flow polyglotte, il s’adapte aux variations planantes, rentre-dedans ou rageantes des productions de P-Town. Tantôt volante, tantôt rampante, la voix de Jazzy marche sur une corde sensible pour toujours s’y tenir. Freddie Gibbs, qui l’accompagne sur « Lay Back », est peut-être le penchant de Jazzy dans la façon de rapper. Bon choix. Ce titre démontre la capacité de Jazzy à « coopérer » avec l’empire américain, qui est loin d’être en déclin en écoutant Freddie. Gros gibier sur un son « trap-u », on parcourt tous les chemins empruntés par Jazzy à certains moments de sa vie. Celui-ci prouve qu’on peut très bien faire de l’égo trip en élargissant son esprit artistique. Ça donne une palette de couleurs esthétiques. Tel un peintre, Jazzy donne des titres comme « Visions », « 3.14 Attitude », ou encore « Fluctuat Nec Mergitur » dont le refrain pèse aussi lourd que des balles réelles :

« À ceux qui voguèrent sur le navire

Battus par les flots, mais ne sombrent pas

À ceux qui voguèrent sur le navire

On chavire, mais jamais ne s’enfoncera

Vos guerres, nos morts

Vos guerres, no more

À ceux qui voguèrent sur le navire

Votre souvenir, jamais ne s’estompera » (Fluctuat Nec Mergitur)

« Je préfère bien faire le mal que mal faire le bien » s’enorgueillit le membre de la Cool Connexion et de l’Entourage sur « Le Joker ». Si P-Town est un mauvais album, alors il est super mal foutu ! Car « Le Joker » est « ZE » morceau ! C’est là où la folie d’Arkham City déferle sur Paris et présente une prod furieuse mêlant folie imaginaire, énergies positives et dédoublements de personnalités. Dans P-Town, on peut aussi entendre le battement d’un « coeur écervelé » sur fond d’estomac noué. « Trompes de Fallope » a le mérite de présenter d’une manière crue et poétique une vision de l’amour dupée par l’adultère à un instant F ou T.

« Je reste fidèle à moi-même même s’il m’arrive de me tromper.

Trompes de Fallope.

Fidèle à moi-même face à un amour estompé.

Tu vas te faire trompes de Fallope. » (Trompes de Fallope)

Pour finir, retour sur un titre « sportivement incorrect ». Conscient des clichés des ultras et des caricatures qui en sont faites, Jazzy distingue le vrai du faux à travers son histoire personnelle. « Ultra parisien » reflète à la fois l’état d’esprit et le ras le bol des supporters français (et pas que). En tant qu’ultra du PSG, Jazzy Bazz dévoile son amour pour un club qui ne lui l’a jamais rendu, surtout depuis l’arrivé des Qataris et du fric en-veux-tu-en-voilà. « L’argent ne fait pas le bonheur mais ne fait pas le malheur non plus » disait Oxmo. C’est vrai, mais il fait plus de mal que de bien rebondirait Jazzy. Sur un titre engagé à connotation sportive, Jazzy a su s’élever et prendre du recul pour critiquer la politique de répression des dirigeants sportifs, le comportement de certains supporters fascistes et du manque d’ambiance dans le stade depuis que la planète « fous politiques » a confondu ultra et hooligan.

Ça me fait penser à Lucio Bukowski : « Pour tuer le match, je n’ai jamais eu besoin de deux mi-temps » sur « Tintin au Congo ». Quand d’autres artistes sortent le carton rose, Jazzy Bazz, lui, sort le « match référence ». Allez, on peut le dire : « Rendez nous le Parc ! P-Town est magique ! »

P-Town de Jazzy Bazz – Un album de 15 titres sorti le 26 février 2016 – 55 min

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