Le Sept – Amoco Cadiz, 1978-2016

16 mars 1978, l’Amoco Cadiz fait naufrage au large des côtes bretonnes. 7 février 2016, Le Sept sort un projet du même nom en vinyle. Et ici, le choc n’est pas pétrolier.


le-sept-amoco-cadizLe Sept*, rappeur de son état, n’avait pas sorti de projet complet depuis Le jeu du pendu (2008), puis une apparition avec Le Parasite pour « Chaos technique » (My mind travels far, 2013). Fin 2015, coup de tonnerre de Brest pour ceux qui apprécient sa plume et son flow : un projet est en route pour 2016. Alors Amoco Cadiz, pourquoi ce nom ? On a écouté avec attention les 4 titres de chaque face du vinyle en cherchant le point commun entre ce désastre écologique et la musique, appris que le vinyle lui même nécessitait du plastique pour sa fabrication**, puis au risque de finir tel un oiseau mazouté en s’engluant dans un article interminable, on a débouché une bouteille de vin. Et on a recommencé l’écoute.


Face A – Hommage, naufrage et projections.

Tout démarre par un hommage, le « Dernier train », avec un très beau texte qui évoque une histoire personnelle que nous ne commenterons donc pas sur le contenu. Le Sept raconte cette histoire sur une prod de Star Propaganda, et où chacun pourra peut-être reconnaitre la question des « secrets d’famille de merde ». Bruits de vagues. Riffs de guitare. Sample soul, et des scratches de Dj Vex sur une liste non exhaustive de naufrages, du Torrey Canyon (1967) jusqu’à celui du Prestige (2002). Une marée noire sonore à laquelle nous levons notre gobelet en plastique, avec les voix de Rodd et Fellez pour parler de ces supertankers. Total, Shell, BP ou ExxonMobil, même combat : ne surtout pas venir ramasser des galettes de fioul. Un titre qui sent bon le gazole dans lequel on patauge encore.

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Victime anonyme de l’Erika 1999 errant sur une plage à la recherche d’un tribunal.

Le Sept n’est jamais content, et encore moins sur le progrès ou le loto qui introduit « Sans escale »; un trajet solitaire, et là où l’amitié chez Rocé est un p’tit sucre qui accompagne un café, ici c’est du gravier dans une chaussure. De quoi devenir fou dans des solitudes glacées.

« Un jour ce s’ra ton ®Blackberry qui t’prescrira ton ®Lexomil »

Ouf, Le Sept n’est pas seul pour un « Appel au meurtre », mais se retrouve accompagné du emcee Faro (qui a sorti le très bon Exsangue en 2014); une voix rocailleuse pour parler de cette « sale époque », avec des évocations de ce qui pourrit l’air du temps, de l’amiante au CAC40, et des références comme un clin d’œil à Renaud Séchan, ou la mention de Jean-Marc Rouillan, condamné en 1989 à la perpétuité pour l’assassinat de l’ingénieur général de l’armement René Audran en 1985. À l’époque où l’arrachage de chemise conduit en prison, la solution du Sept n’est pas pacifiste. Le tout sur deux productions signées Azaia, dont vous nous suggérons l’écoute du très bon Re-Animations (2014).


Face B. De l’Olympe au Pandémonium.

La deuxième face débute par « Planète interdite » (qui est aussi un film de science-fiction signé Fred McLeod Wilcox sorti en 1956), où l’on retrouve donc le fameux parasite, à la prod, mais aussi celui à la barre d’un système devenu cauchemardesque; sorte de trou noir où « les pirates en costards naviguent au-dessus des lois ». Un son lent, lourd, peut-être à l’image des pas des cosmonautes présents sur la pochette, sorte d’Objectif Lune version apocalyptique. En est déjà sorti un clip qui souligne l’ambiance western en combinaison anti-nucléaire.

« Que les cris » (avec un sample de Nicole Croisille issu de la bande-originale du documentaire 13 jours en France sur les jeux olympiques de Grenoble, ce qui nous éloigne du sujet, sauf pour le côté olympique donc) poursuit la noirceur du tableau; avec la présence des SOS qui se perdent aux Assedic et les fameux cris, un succès à la Balavoine serait sûrement mérité. Il faudra par contre aller chercher du côté de l’histoire grecque pour comprendre les références à Xerxès, au Styx, avec la volonté face à « nos égo-trips » de remettre les montres ®Swatch à l’heure : « On n’fait qu’passer comme les météorites ». Mano Solo chantait « Dis -moi que ça ne fait rien / Ce sera juste la preuve que ce n’était que ça qu’être humain / C’est peut-être ça qui est bien ». Le Sept signe un équivalent : « Restera même pas un écho, restera rien, c’est ça qu’est beau… Le même destin qu’un tag à la Corio*** sur le dernier métro ». La prod y est signée Le IV Romain et on se demande si on va sortir vivants de cette chronique avec ces histoires de chiffres romains dans des histoires grecques.

Avant d’atteindre le pandémonium final, un interlude instrumental signé Mr OGZ qui sample avec brio un extrait de God bless america (film de Bobcat Goldthwait 2012), toujours dans le ton de l’album : une génération qui préfère les « commentaires choquants » à la vérité, dans un monde « beaucoup trop cruel », où le commerce a investi même l’humour le plus douteux.

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God bless America : Frank et Roxy aiment éliminer ceux qui les dérangent.

Le disque s’achève donc avec ce fameux Pandémonium, la capitale de l’Enfer, qui finalement n’est peut-être qu’à deux pas de nos villes polluées ou tout simplement au cœur de nos portefeuilles. Alors Le Sept qui hurle Olympe, la montagne infranchissable, se pose en juge final, faisant rimer K-Way avec Donny Hathaway en toute décontraction, attend « toutes les crapules » avec sa « mandibule en fer ». On attend aussi, en se demandant encore combien d’Amoco Cadiz viendront percuter nos vies « à marée basse », alors que les flux boursiers jouent les lames de fond et que, parfois, on croise encore un vinyle échoué sur la plage.

 Le site de Welsh Recordz

Écouter Amoco Cadiz

Amoco Cadiz – 8 titres signés Le Sept paru le 7 février 2016 chez Welsh Recordz -  Feat Rodd, Faro, Fellez – Prods signées Le Parasite, Le IV Romain, Mr OGZ, Azaia, Mr Stereo, Star Propaganda – Scratches servis par Dj Vex & Dj Hest – 27 minutes et 5 courtes secondes – Vinyle tiré à 250 exemplaires

* Le Sept n’est pas à confondre avec VII et notre équipe de chroniqueurs a été contrainte d’appeler le second « chiffres romains » même si le mec ne s’appelle peut-être pas Romain.

** Les disques microsillons sont en général constitués d’un chloropolymère, le copolymère de chlorure de vinyle et d’acétate de vinyle. Pour des détails supplémentaires, appelez un ancien pote qui a poursuivi ses études en physique chimie. Voire en pétrochimie, vous aurez sûrement un meilleur éclairage.

*** Corio est une sorte d’encre pour marqueurs indélébiles.

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