Retour sur la soirée-débat aux Champs Libres du 21 janvier 2015 autour de Caricaturistes – Fantassins de la démocratie (un documentaire passionnant de Stéphanie Valloatto), en présence de Morvandiau (dessinateur de presse), Cyrille Blanc (co-producteur), Joseph Poucineau (d’Acrimed), Dominique Briand (avocat associé au cabinet Mondrian) et Arnaud Wassmer (journaliste).
Les Champs Libres, après l’émotion et la stupeur provoquées par les crimes contre la liberté de penser* commis les 7, 8 et 9 janvier dernier, ont ardemment souhaité réagir. Leur première proposition est la diffusion de ce panorama du dessin de presse à travers le monde, suivie d’un débat qui, à coup sûr, aurait pu durer toute la nuit, voire toute la semaine.
Mené finement par Jean Plantureux alias Plantu (dessinateur au Monde depuis 1972), Caricaturistes – Fantassins de la démocratie nous promène de Tunis à Jérusalem en passant par New York, Moscou, Ouagadougou, Abidjan, Alger, Ramallah, Paris, sans oublier le Mexique ou la Chine où le dessinateur Pu-San, à la tête d’une petite entreprise de fabrication de dessins animés diffusés sur le Net, joue librement avec les autorités toujours promptes à la censure car elles n’apprécient guère qu’on pointe les aberrations d’un système censé convenir à tous et à chacun. On découvre ainsi, en compagnie de ces artistes qui ne gardent pas leur plume dans leur poche, les risques encourus lorsqu’on s’escrime à donner son opinion, qui plus est quand on l’illustre avec causticité. Procès, menaces, exils, intimidations, fatwa et obligation de vivre sous haute protection (comme pour le Danois Kurt Westergaard condamné à mort par des extrémistes depuis 2005 pour un simple dessin), dessins censurés, publications interdites par les gouvernements, tirages de journaux mis au pilon…
Au Venezuela, la dessinatrice Rayma Suprani s’insurge contre le pouvoir, égratigne l’idolâtrie entourant Chavez, et pourfend les surveillances et les contrôles dont font l’objet les citoyens, obligés de décliner leur identité et leur adresse pour chaque achat effectué, ne serait-ce qu’une portion de pastèque. Dans les zones de tensions, qui sont nombreuses (en Côte-d’Ivoire lors de la délicate passation de pouvoir entre Laurent Gbagbo et Alassane Ouattara ; en Tunisie lors des révoltes du printemps arabe qui conduiront à la chute de Ben Ali ; aux États-Unis qui mènent des guerres meurtrières au Moyen-Orient ; en Israël qui bâtit des murs entre deux peuples voisins…), les dessins servent tantôt à dérider les populations, tantôt à soulever un scandale, tantôt à montrer la voie d’une possible réconciliation, d’un apaisement. L’humour permet de prendre de la hauteur, de dédramatiser, mais aussi de dénoncer tranquillement, à l’encre de Chine et au marqueur, les barbaries, les asservissements et autres spoliations et abus.
Ce n’est pas mettre de l’huile sur le feu que rappeler que ces dessinateurs font œuvre utile, que l’esprit critique est une nécessité, de même que la remise en cause de nos croyances, de nos a priori, de nos lois, de nos tabous ou de nos habitudes. Le dessin a des vertus pédagogiques, explicatives. Les hommes des cavernes l’avaient compris. Aurions-nous, depuis eux, régressé ?
Dessin de Plantu détournant joyeusement la pseudo interdiction canonique à propos de la représentation d’un des prophètes.
Caricaturistes – Fantassins de la démocratie – Documentaire de Stéphanie Valloatto – Avec Plantu, Angel Boligan, Mikhail Zlatkovsky, Jeff Danziger, Kichka, Damien Glez, Baha Boukhari, Rayma Suprani – Durée : 1h46 – Sortie le 28 mai 2014 – Sélection Hors compétition au Festival de Cannes 2014.
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* mais aussi contre la liberté de rire, de provoquer, de scruter l’époque, de s’opposer aux mouvements grégaires, d’apporter son grain de sel, de brocarder, de ridiculiser les extrêmes, de conchier les fanatiques de tout poil, d’ironiser sur les travers de la société, de blasphémer allègrement, de proposer un regard plein de malice, de titiller les puissants, de poursuivre une aventure éditoriale unique née avec Hara-Kiri dans les années 60 avec des pointures comme Gébé, Reiser, Cavanna, Wolinski, Charlie Schlingo, Cabu, Topor, Siné, Serre ou le professeur Choron…