Dana Colin réalise des clips et vient de cofonder le label Ah Ouech Production. Elle organise un concert, le 23 avril, au Sympatic Bar. Plusieurs groupes suisses seront présents. À cette occasion, nous avons décidé de lui poser quelques questions.
- Bonjour Dana ! Tu es étudiante à l’EESAB (École Européenne Supérieure d’Art de Bretagne). Peux-tu nous dire ce qui t’a amenée à la réalisation de clips musicaux ?
J’ai été bercée par mon père dans le milieu garage rock. Il m’a transmis sa passion en m’emmenant, très jeune, à des concerts. Nous avons même eu un groupe ensemble, avec des amis à lui, durant cinq ans : The Dana Strongs (jusqu’à mon départ sur Rennes pour commencer mes études à l’EESAB). Arrivée à l’EESAB, je voulais absolument pouvoir parler de musique à travers mes projets, sûrement par frustration de ne plus pouvoir en jouer en groupe. Au fil des années, je me suis vraiment intéressée au musicien en tant que personne, son image, son statut, son travail sur scène, en amont, en tournée… les moyens de diffusions de sa musique, etc.
C’est comme ça que j’ai commencé à m’intéresser au clip musical qui, selon moi, est un des meilleurs moyens de diffusion et de communication de la musique pour découvrir de nouveaux groupes. Le clip est devenu de plus en plus important depuis l’arrivée de Youtube. Quand j’étais au collège, je passais des heures devant MTV à regarder les clips et attendre le clip que je voulais voir (et qui bien généralement ne passait quasiment jamais car pas assez commercial). Donc, pour moi, Youtube est une sorte de révolution, tu peux regarder des clips à n’importe quel moment de la journée, choisir ceux que tu veux voir sans qu’on te les impose. Les regarder en boucle ou pas, en découvrir ou en redécouvrir, et c’est aussi une source d’inspiration.
J’ai commencé en faisant jouer des étudiantes (amies) de l’EESAB dans des remakes de clips que j’ai réalisés, sur des chansons du groupe Mama Rosin. Le fait d’avoir réalisé ces remakes m’a permis de comprendre les enjeux, la construction et les moyens techniques nécessaires pour un clip.
Ma deuxième grande référence étant le cinéma (en particulier le cinéma américain), j’ai ainsi la sensation de pouvoir allier mes deux passions. D’autre part, le clip permet une grande liberté d’expression, et c’est ce qui me plaît, tu n’es pas obligé d’illustrer un morceau. Les musiciens ne sont pas toujours à l’aise devant une caméra, mais cela donne une dimension intéressante et un challenge supplémentaire à relever.
Par contre, je dois avouer qu’aux beaux-arts il est dur de défendre le clip car ce n’est pas considéré comme étant une forme ou plutôt une démarche artistique. J’essaie tant bien que mal d’imposer quand même l’esthétique du clip dans mes projets et j’en réalise aussi en dehors des beaux-arts.
« Certains artistes m’ont permis d’assumer pleinement mes choix artistiques »
- Quelles sont tes références musicales ? cinématographiques ? esthétiques ?
Mes deux références musicales majeures sont Sonic Youth et The Kills. Mais j’écoute aussi beaucoup de groupes garage (comme The Sonics, ou Thee Oh Sees…). Et depuis l’année dernière je m’intéresse beaucoup à des groupes suisses peu connus en France (Mama Rosin, les Frères Souchet, Shady and the Vamp, The Staches, Magic & Naked, The Tangerine, The Cats Never Sleep, Adieu Gary Cooper…).
Pour le cinéma, je puise mes références dans des univers de réalisateurs tels que Gus Van Sant (Harvey Milk…), David Lynch (Elephant Man, Lost Highway, Mullholand Drive…), Wim Wenders (Buena Vista Social Club, Pina…), ou encore Michel Gondry, même si j’ai été déçue par son dernier clip réalisé pour le groupe Metronomy (clip de la chanson « Love Letters »), pas assez loufoque et extrême à mon goût, contrairement à d’autres de ses clips.
Enfin, récemment, j’ai découvert le documentaire The Year Punk Broke réalisé par Dave Markey. Il a suivi Sonic Youth et Nirvana en tournée dans les années 90, ce n’est absolument pas récent mais pour l’instant c’est ma révélation 2014. J’envisage même un projet sur ce documentaire pour mon diplôme l’année prochaine.
Certains artistes m’ont aussi permis d’assumer pleinement mes choix artistiques. Le travail de Christian Marclay qui utilise la musique comme médium à part entière et celui du vidéaste Brice Dellsperger qui réalise des remakes d’extraits de films, voire de films complets, m’ont confortée dans mes choix. J’ai d’ailleurs eu la chance de réaliser un stage, en octobre dernier, avec Brice Dellsperger, pour la conception de son exposition à la Galerie Air de Paris. J’ai beaucoup appris. Il ne prend pas les gens de haut, il est simple et partage son savoir-faire. Toutes ces expériences constituent un bagage qui m’a permis d’évoluer.
- Tu as réalisé un clip pour la rencontre du groupe Moriarty et du groupe suisse Mama Rosin. Comment as-tu rencontré ces personnes ? Comment ce projet est-il né ?
J’ai rencontré Rosemary Standley, la chanteuse de Moriarty, lors de mon premier concert avec The Dana Strongs (je devais avoir environ 15-16 ans). Elle jouait après nous, à l’époque dans le groupe Johnny Cash Revival. Je l’ai recroisée à plusieurs reprises, lors de concerts de Moriarty à leurs débuts avant même que le groupe ne soit connu. Par la suite je suis devenue très amie avec le bassiste Stephan Zimmerli et au fur et à mesure avec tous les autres membres du groupe. À tel point que j’ai eu la chance de les suivre sur quelques dates de leur tournée d’été en 2011. C’est à ce moment-là que j’ai rencontré le groupe Mama Rosin. Le groupe avait été invité par Moriarty qui avait carte blanche un soir au festival du Bout du Monde.
J’ai tout de suite accroché avec l’univers et le style musical de Mama Rosin. Et le mélange entre les deux groupes sur scène était assez intense et créait finalement un nouveau style.
En 2013, Moriarty et Mama Rosin ont enregistré ensemble, je leur ai demandé l’autorisation de les filmer durant les quatre jours d’enregistrement, car je voulais voir ce moment de création entre les deux groupes. Pour les remercier je leur ai réalisé un teaser pour annoncer la sortie du vinyle. C’est alors que le manager de Moriarty, ayant beaucoup apprécié le teaser, m’a proposé de réaliser un clip pour le morceau « Calypso Triste ». J’ai évidemment accepté, et cela a été une aventure très enrichissante. Étant encore étudiante et sans équipe technique j’ai vraiment tout fait seule, l’écriture du scénario, trouver un studio de tournage, la location du matériel, montage + post-production, etc. Lors du tournage un ami est venu m’assister. Le tournage a duré deux jours. Un groupe par jour. Ils ne se sont pas croisés, et ont découvert les séquences de chacun lors du montage terminé. L’expérience, quoiqu’enrichissante, était stressante. Diriger des musiciens face à une caméra n’est pas toujours chose aisée. Certains n’ont pas l’habitude et il faut toujours être réactif, face à toutes les situations qui peuvent survenir lors d’un tournage. Et montrer que l’on est sûr de soi. Et ce n’est pas toujours facile. J’ai commencé l’écriture du scénario en mai et le clip était terminé fin juillet. Durant ces trois mois le morceau en question m’obsédait complètement, je l’écoutais en boucle pendant l’écriture du scénario, ensuite pendant le tournage puis pendant le montage.
« L’esprit et l’univers garage rock m’ont rattrapée »
- As-tu des projets en cours avec ces groupes ?
L’esprit et l’univers garage-rock m’ont rattrapée. Je veux plus me consacrer à ce type de groupes désormais. Avec mon amie Constance Cossu qui vit sur Paris, nous avons créé, en octobre 2013, l’association Ah Ouech production, afin de faire connaître la scène garage-rock suisse en France. Le fait d’être toutes les deux dans des villes différentes est aussi un atout permettant une plus grande diffusion des groupes. Cette idée, ou plutôt cette obsession pour la musique suisse, est survenue lors de la découverte de Mama Rosin mais aussi grâce à Robin Girod et Cyril Yeteran deux des membres du groupe qui ont monté leur label Moi J’connais Records par le biais duquel ils rééditent, entre autres, des vinyles de musiciens du monde entier ainsi que de la scène underground Suisse. Nous avons découvert beaucoup de groupes qui nous ont plu.
Nous avons notamment réalisé plusieurs clip « Local de répétition », où nous montrions les groupes dans leur univers respectifs. Les vidéos permettent de diffuser la musique de ces groupes, et nous constituons ainsi une sorte de catalogue virtuel, afin de démarcher les salles de concerts, les bars, les journalistes, les labels… cela nous donne de la matière. J’ai d’ailleurs récemment réalisé un clip pour le groupe Adieu Gary Cooper.
Depuis début avril, j’ai décidé de me lancer seule dans l’aventure, en créant ma propre association, Beating Production. Et je continuerai à travailler avec ces groupes suisses.
Par ailleurs, le groupe The Staches est de retour en France accompagné de leurs potes The Tangerine et The Cats Never Sleep, Genevois aussi. Nous les invitons à Rennes au Sympatic Bar, le 23 avril. Ils joueront le lendemain à Paris au Chat Noir. Et le 20 mai, c’est au tour de Mama Rosin d’investir le Sympatic Bar. De belles soirées en perspective.