En marge du Cabaret Botanique et de ses ambiances houblonnées, il y a aussi le centre culturel Pôle Sud, en résidence à l’Espace Beausoleil de Pont-Péan (pour cause de travaux). L’Espace Beausoleil, sur le site des anciennes mines de plomb de la commune, accueillait jeudi 17 avril la compagnie Trio Mineur de Grenoble, pour leur spectacle 2… 3 grammes.
Coup de cœur ! Soyons clair dès le début, je ne vais pas m’amuser à jouer au journaliste descriptif, méticuleux dans ses critiques, qui se garderait bien d’éprouver de quelconques émotions, ou de rire, pire, comme le chauve impassible qui se tenait à côté de moi, durant le spectacle, et qui arborait fièrement son smartphone de la taille des anciens combinés à roulette. Non !
Un bref résumé. L’histoire d’une famille, banale, oui et non, une mère alcoolique, sévèrement touchée, touchante aussi quoique bien trempée dans son genre, un père poète, du dimanche, et trois filles complètement différentes, de la philosophe à Paris-Sorbonne, pédante, égoïste, à la dépressive, en passant par la mère de famille qui se déborde toute seule et qui s’occupe, parce que trop gentille, de ses parents sans l’aide des deux autres. Un tableau presque commun. On y retrouve tous les codes familiaux. Tous se réunissent pour un réveillon de Noël à la suite duquel la mère, à quelques 2… 3 grammes, chute dans l’escalier… se retrouve à l’hôpital…
La pièce est une succession de flash-back, de présentation des personnages et surtout une succession de virulences, de réels, d’émotions. Tout ça !
Une performance incroyable
5 personnages donc, mais une seule comédienne. Une seule comédienne qui campe tour à tour le père, la mère, les 3 sœurs, sans discontinuer, elle grimace une élégance d’un autre temps et ar-ti-cu-le quand elle est le père, ancien joueur d’Hélicon, se recroqueville et sent la vinasse quand elle est la mère, s’approprie un relevé de manche bourgeois et intellectuel pour la pétasse de Paris-Sorbonne, gesticule à merveille pour la mère de famille, celle qu’on croise régulièrement dans les fêtes de village et autres sauteries communales, se rabougrie, se renfrogne pour la dépressive. Une performance incroyable. Vraiment. On s’extasie depuis quelques temps pour la performance de Guillaume Gallienne dans Les garçons et Guillaume à table, mais c’est un travail d’amateur à côté de ce que nous livre Line Wiblé ici. Pas de répit, le père, la mère, la sœur, le père, l’autre sœur, la mère, une autre sœur, flash-back, père, mère, sœur, sœur… Increvable. Son visage change, on dirait que ses cheveux tantôt poussent tantôt se dégarnissent… On y est, on y est complètement. J’ai rarement plongé aussi sincèrement dans un univers au théâtre. La scène est vide, à part une chaise et un seau, hé bien pourtant, on y voit tout, le vieux radiateur des HLM pourris, la table et sa nappe cirée, la télé, les cubis vides et les pleins, tout… La régie est aussi bien maîtrisée pour figurer les ellipses, les changements de personnages.
Un réalisme criant de vérité
Sur l’ensemble, rien à dire. La comédienne est époustouflante donc, et le texte est superbe. Écrivant moi-même, je me demande comment il est possible d’écrire ça. Très sérieusement, le texte est à la fois noir, dur, poignant, percutant, tout ce qu’on veut, d’un réalisme criant de vérité, à faire pâlir les Zola et Hugo avec leurs longs étalages de descriptions, là c’est vrai parce que c’est réel, des mots, tout simplement les mots maîtrisés. Et puis c’est aussi drôle, touchant, sans jamais être misérabiliste ou mélodramatique. Et lorsqu’une scène, il doit y en avoir une pour chacun, nous rappelle un épisode familial personnel, on ne serait pas loin de verser la petite larme, celle qui chatouille le coin de l’œil parce que c’est ça, c’est nous, c’est bien réel ce qui se dit… Autant dire qu’à la fin, on a envie de frapper des mains à s’en écorcher les paumes. Mais les salves s’arrêtent vite, parce que c’est un petit théâtre, que la moitié de la salle est composée de collégiens venus avec leur maîtresse et que même si c’est Mythos, ça reste à Pont-Péan. C’est con. Une seule représentation, pas d’autre. Et pourtant, j’aurais pu y retourner. Donc si vous avez l’occasion d’aller voir cette pièce, du côté de Grenoble, ou ailleurs, n’hésitez même pas, foncez.