Récompensé pour son court-métrage d’animation Une balade à la mer, le travail de Damien Stein est aussi passé par le clip et par le reportage. Réalisateur touche à tout, compositeur à ses heures perdues, il travaille aujourd’hui à de nouveaux projets. Rencontre.
■ Peux-tu nous présenter ton parcours de réalisateur ?
Je suis né en Corse. Ma mère a décidé de nous emmener, ma sœur et moi, sur le « continent », pour nous éviter l’enfermement sur cette petite île, où il ne se passe finalement pas grand-chose dans l’audiovisuel. Rétrospectivement je peux dire que c’est le plus beau cadeau qu’elle m’ait fait.
J’ai commencé mes études à Montpellier, à la fac de cinéma, sachant déjà vers quoi je voulais aller : pas forcément la réalisation, mais j’étais attiré par l’audiovisuel. Puis je suis venu à Rennes pour la vie culturelle, non pas qu’elle soit inexistante à Montpellier, mais l’herbe étant toujours plus verte ailleurs… J’ai pourtant fait mes premiers projets audiovisuels dans le Sud : je fais de la musique depuis longtemps et on a fait, entre autres, un ciné-concert avec un ami, ce qui m’a inconsciemment amené vers la vidéo musicale. Disons que j’ai eu à réfléchir la musique sur des images préexistantes. Ce qui est néanmoins le contraire de la réalisation de clips. N’ayant pas fait d’école de cinéma, j’ai choisi, à la fac, de redoubler mon master à plusieurs reprises pour effectuer des stages. J’ai alors été technicien pour des prods rennaises, parisiennes, et j’ai même bossé dans l’ouest de la Chine. De retour à Rennes, j’ai fait du documentaire, pas mal de reportages, et un rappeur, Doc Brrown, m’a contacté pour faire un clip. Moi je n’avais jamais réfléchi à ce média-là, alors je lui ai proposé un faux documentaire : Les mots à leur place. J’ai ensuite bossé pour Dj Netik : mon tout premier clip (qui était aussi le sien), où on savait franchement pas ce qu’on faisait, et puis Micronologie ; mon démarrage dans le clip s’est donc fait sur une esthétique musicale qui n’est pas vraiment la mienne. Mais du rap y en a pas mal (y a même des trucs bien), et tout le monde veut faire son clip.
■ En ce qui concerne les clips justement tu as aussi fait des projets chanson… le genre musical n’est pas un frein à la réalisation par conséquent ?
A priori il y a une iconographie qui ne me plait pas vraiment dans le rap… Je ne dis pas que j’essaie d’en sortir à tout prix mais j’y ai pioché ce qui me plaisait, notamment avec Micronologie, qui ont des envies tout de même différentes des gens que j’ai pu croiser dans ce milieu. L’esthétique que j’ai empruntée a plu à d’autres artistes mais pas forcément rap ; il y a Monsieur Roux qui est venu me chercher pour ça, Lily Wood & The Prick également. Je pense que ce qui prime c’est l’idée, pas nécessairement la technique ou l’esthétique. Donc même si mes clips sont mal foutus, il y a quelque chose qui s’y raconte. Je tiens à préciser que le clip reste une fantastique école ! Difficile de se prétendre réalisateur (dans le sens traditionnel du terme) puisque le son n’est jamais abordé, mais pour le travail de l’image c’est une approche qui peut être intéressante.
■ De ta formation audiovisuelle, c’est la technique qui t’a amené à la réalisation ?
J’écris depuis longtemps : des nouvelles (j’ai commencé par la poésie), je fais de la musique ; et je me suis rendu compte que la réalisation permettait de mettre ensemble tous ces trucs que je ne savais pas très bien faire au détail !
■ Au-delà du clip, tu as des envies d’aller vers du long métrage ?
Dans l’absolu oui : là j’ai commencé à faire du court-métrage, c’est un premier pas. J’ai fait du clip un peu par dépit, car je voulais faire des films ; mais quand t’as jamais rien fait, que t’as pas un centime en poche, la meilleure solution c’est de faire du clip. Et je m’y suis amusé comme un gosse à qui on prête des jouets sophistiqués (une équipe pro, du matériel…) et à qui on demande de faire « un peu » ce qu’il veut. J’ai eu beaucoup de chance car les groupes et chanteurs avec qui j’ai bossé m’ont laissé pas mal de libertés. Alors j’espère vivement avoir l’opportunité d’en refaire régulièrement. À bon entendeur.
Puis j’ai sorti mon premier court-métrage l’année dernière, Une Balade à la mer ; c’est mon projet le plus maudit et qui a pourtant aujourd’hui le plus de retentissement. Là je prépare mon deuxième court, et peut-être à terme faire du long métrage, mais c’est complètement hypothétique.
« L’improbabilité même. »
■ Justement peux-tu nous raconter un peu l’aventure de cette Balade à la mer ?
Ça a commencé par une erreur, comme disait Bukowski.
Au départ je voulais juste tenter de faire un film d’animation en extérieur ; grossière erreur pour de l’animation, qui plus est en Bretagne où il pleut une heure sur deux. Je te passe le laïus « c’est un travail d’équipe », mais sans eux, ça n’aurait jamais vu le jour. On a tourné ça il y a 5 ans, et à la fin il y avait tellement d’erreurs (de mon fait), que j’ai eu l’impression que ça ne plairait jamais à personne. Du coup je l’ai laissé de côté. Mais le film n’a pas arrêté de me trotter dans la tête. Et il y a 1 an j’ai fait une collecte sur Kisskissbankbank pour payer la postproduction, et ce site de crowfunding mène un concours, « Les courts le retour » : 3 films sont sélectionnés par un jury pour 4 000 diffusions dans les MK2 en première partie de programme. Ça a été le cas pour Une Balade à la mer (!). Je croyais que la grosse surprise c’était ça, mais le film a aussi été choisi par la Banque Postale, qui donne une dotation pour envoyer ton film dans des festivals. Là il en est à sa 35e sélection et 4 prix, dans 11 pays différents. L’improbabilité même.
■ Ça aide à porter un projet suivant cette réussite ?
Non mais ça donne vachement envie ! Disons que ça a beau avoir un retentissement, on vient pas plus te chercher (enfin dans mon cas : je pense que les boîtes de prod n’y voient qu’un petit film mal foutu qui plaît puisqu’il a ce côté mal foutu. Et je pense qu’ils ne sont pas tellement dans le faux).
Là on lance un nouveau film, en animation, mais cette fois ci ce sera du dessin-animé. Je bosse avec des gens qui sont tellement talentueux que je me planque un peu derrière eux : Gilduin Couronne au dessin, Sébastien Hivert au compositing et à l’animation. Et moi qui chapeaute. On lance d’ailleurs une nouvelle campagne Kisskissbankbank.
C’est l’histoire un peu surréaliste d’un gamin qui se retrouve perdu dans ses rêves. On espère récolter assez d’argent pour produire le film en indépendants comme pour la Balade à la mer.
« Plus il y a de compromis, plus le projet sera bancal. »
■ Avec ces envies narratives et les difficultés de production, sachant qu’on vit dans un monde d’images, comment fait-on pour se démarquer ?
On croule effectivement sous les infos, autant les clips que les chansons de merde, y a quand même beaucoup de saloperies. C’est une affaire de goûts, et je me sens justement bien éloigné de ce qu’on nous propose… or pour sortir de la merde (et je ne suis pas en train de dire que mes projets sont plus palpitants, disons plutôt pour me rapprocher de ce qui me plaît) le seul truc que j’ai toujours essayé de faire c’est d’être le plus personnel possible, tout en empruntant à droite à gauche à des auteurs qui me touchent.
Plus il y a de compromis, plus le projet sera bancal. Il y a quelques génies qui ont réussi à faire leur boulot dans le compromis en produisant quand même des œuvres parlantes, malgré la présence d’un couperet. Quand t’arrives à être perso dans le compromis, c’est génial. Mais pour en être là, il faut déjà qu’on te laisse faire quelque chose ! Aujourd’hui la technique est abordable pour quelques centaines d’euros. N’importe qui s’improvise clippeur, moi le premier ; mais ça revient à ce que je disais tout à l’heure : ce qui compte c’est l’idée ; si elle est bonne, la technique suivra. Si la technique ne suit pas suffisamment, on recommence, et le prochain sera meilleur.
■ Quels seraient les trois mots qui pourraient résumer ta démarche ?
Tu me donnes combien de semaines ?
■ Je vais me chercher un café…
Bon vu que je ne trouverais pas trois mots assez intelligents ou assez godardiens, ce sera juste « raconter des histoires ».
■ Quels sont tes projets à venir, outre ce nouveau court-métrage ?
J’ai réalisé quelques teasers pour le premier album d’Auden.
Par ailleurs je prépare des clips pour quelques artistes, mais un lourd pourcentage de projets enclenchés n’arrivent pas à terme.
Et le projet qui me tient le plus à cœur en terme de clip se fait avec Saf. On sort son premier clip sur un projet musical qui est particulièrement bon ! Je ne fais que l’illustrer de la manière la plus simple possible, presque un « street clip », mais le lieu de tournage fait clairement la différence. Puis on sort un petit court-métrage qui va accompagner le clip une semaine après. Et on avance sur le prochain clip du même projet, qui sera « très-beau-très-louche ».
■ Quel serait ton dernier coup de cœur filmique ?