AL, l’asphalte et la manière

Deux lettres ne suffisent pas toujours pour s’exprimer. Pourtant, avec seulement deux initiales, AL a trouvé les mots pour y parvenir en sortant le 3 décembre 2012 son deuxième opus : Terminal 3, quatre ans déjà après l’excellent « High Tech et Primitif ». Au menu de cette nouvelle odyssée d’AL: triste réalité incolore et oppressante, plaies ouvertes et mal soignées, solitude et précarité de l’être, rage de survivre et passion de la musique. De sa musique.

 

al-terminal-3« L’humanité est faite de contrastes. Il n’y a plus de relations, il n’y a plus que des contrats.»

Que ceux qui ont quitté le « Panorama » acerbe et suffocant mais gisant de vérité du premier album du rappeur dijonnais se rassurent, AL n’a rien perdu de sa verve. Loin de là. Sans s’énerver, son flow contraste avec la sensibilité des sujets abordés tout au long de cet album. Pas ou peu de vulgarités jaillissants de sa bouche mais un calme froid planant comme une bulle de savon n’attendant finalement que de se faire éclater. On pourrait en déduire rapidement que c’est du rap pour « non-violent », correspondant parfaitement aux âmes sensibles, mais ce serait confondre alors une gentillesse nocive avec une caresse douloureuse. Car ce qui caractérise AL, c’est avant tout sa voix : apaisante, rassurant presque l’amertume et la cruelle pertinence de ses écrits qu’il qualifie d’ailleurs lui-même de « sombres ». Cette écriture, il la doit sans doute à une réalité bien ancrée du haut de ces 38 balais. Celle d’un mec qui a du vécu à revendre. Ça se sent. Lui qui a commencé à écrire à partir de 22 ans, lui qui « ne rappe pas seulement depuis hier soir » comme il aime le rappeler, lui qui a sorti une  « Correspondance » indéchirable et indémodable avec le « Ô très grand »  Fabe, entre autres… Bref, cet album n’est pas son premier coup d’essai. « Dijon c’est peut-être pas Paris » ou New York, mais il n’a peut-être plus rien a envier aux ricains surtout quand on voit la diversité des productions composant l’album (plusieurs beatmakers participent à ces bombes sonores : Dj Saxe, Nezi, Heri, Laloo, Vega, Banane…). Peu de featuring hormis ceux avec B.James et Virus, rappelant l’idée que ce disque lui appartient et semble être personnel. C’est dans les méandres et les bas fonds des 14 titres proposées par « Terminal 3 » qu’il vous propose maintenant de vous engouffrer.

  « Je préfère un bon égotrip qu’à de l’humilité de façade. »

Dès l’introduction, l’entourage d’AL est présent – B.James partage l’affiche sur « Alpha Lima ». Le rappeur à la voix rauque signe essentiellement les feedback, sans accoucher ne serait-ce que d’un seul petit couplet. Connaissant son efficacité chirurgicale, sa voix grave et pesante, on aurait préféré qu’il pose sur ce morceau, surtout que ce type de production correspond parfaitement au profil du rappeur. Mais comme je le rappelais précédemment, cette décision est sans doute due au fait qu’AL « ne prête pas de rimes » et d’autant que le titre est un clin d’oeil aux initiales du rappeur (Alpha Lima / AL). Hormis ceci, on retrouve dans Alpha Lima l’envie d’en découdre avec le milieu du rap français, de faire le vide, de recracher des pensées aromatisées au sinistre de la rue et de faire mordre aux survivants de ce monde impitoyable une poussière empruntée d’asphalte. Alpha Lima annonce la couleur. La noirceur du titre suivant en est la preuve : « Les problèmes du monde » nous plongent directement et sans tuba dans le vif du sujet. Du AL tout craché, avec un discours travaillé, âpre mais distingué où malgré l’apparence du « je », se fait ressentir un environnement asphyxiant, conditionnant son humeur où AL jongle constamment entre ses pensées et les contraintes de ce monde. On commence alors à mesurer l’ampleur des dégâts, à entrevoir les décombres, se relevant au fur et à mesure de l’écoute. Les dés sont jetés, le décor est planté.

 « Pour que j’arrête, il faudra qu’on me force »

D’autres thèmes apparaissent et méritent notre attention : le jeunisme et la retraite dans le rap, musique où l’âge semble plus regardé qu’ailleurs, comme si on ne pouvait plus écouter ou exercer sa passion à partir d’un certain âge (« Je suis refait »). Autre écoute, autre genre : « Pandemonium » est certainement le titre le plus surprenant et le plus pessimiste de l’album alternant entre sonorités tantôt légères, tantôt oppressantes, le tout associé à des paroles coups de poing.

Mentions « très spéciales » aussi pour « Tout seul » : un hymne à la contradiction, celle des hommes qui vacillent entre besoin de se tapir dans l’ombre et de tendre en même temps la main pour avancer. Avec « Scar », c’est selon mon humble avis les références de l’album, mettant en lumière les profondeurs de l’âme du rappeur : un concentré de quotidiens noircit par les fautes et la volonté de sortir de son enclave, des mots claqués comme un coup de fouet dans la pénombre et dans l’espoir de voir un jour le soleil arriver. C’est beau, c’est fort. Les clips poussant le vice et étant à la hauteur de nos espérances. On n’oubliera pas d’écouter non plus « Je suis AL », « Sans lui », « Pas né innocent », des titres parlant d’eux même et abordant des thèmes chers de cœur au dijonnais.

Pas besoin non plus de défendre un rappeur qui manie le « Self-défense »,  AL continue sur sa lancée : broder encore et encore du noir pour mieux recracher sa foi envers les lianes de l’humanité. C’est ce qui pourrait résumer l’indépendance musicale de AL, des discours en marge d’une société basée sur le spectacle et les discours enflammés, brulant au passage l’authenticité et l’intégrité de pas mal « d’artistes ». « Terminal 3 » mérite une écoute plus assidue qu’eux. « Pas de fatalité, mais ce que nous faisons » : je remercierai jamais assez d’avoir revu le deuxième opus de Terminator pour lier cette citation à ce disque.

Pour ceux qui souhaitent comparer l’incomparable, cet album est une traversée du désert emplie d’oasis et de désespoirs oscillant entre La Rumeur et Ancrages. Chaque titre à son mot à dire. C’est du rap adulte, du rap d’homme. C’est ici qu’on s’arrête : « Terminus, tout le monde descend . » Pour ceux qui n’ont nulle part où aller, allez écouter AL.


Al, Terminal 3 – Un album de 14 titres sorti le 30 décembre 2012 chez MP Prod – Écouter Al sur Deezer

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