Louis Witter est photojournaliste. Travaillant sur le fil tendu des frontières, il trace depuis dix ans un parcours photographique autour de la question : « Pourquoi, un jour, sommes-nous contraints de tout quitter ? ». Il montait sur scène les 19 et 20 novembre à La Paillette de Rennes pour Mayotte, dernier département de France.

Le média en scène
Faire renouer le contact avec l’information : voilà le projet de la structure rennaise Les Trois Ours (en référence à l’ours, encadré d’une publication informant sur l’éditeur, les auteur·ices…). Méfiance ou démoralisation générale, l’éloignement au journalisme s’explique par différents facteurs, risquant ainsi de laisser entièrement la place à des médias non indépendants, globalement tenus par le groupe Bolloré (on pourra se référer à la carte Médias français, qui possède quoi).

Les Trois ours modèlent donc des soirées sous d’autres formes, une partie scénographiée, l’autre ouverte aux questions, avec un·e ou plusieurs invité·es. Ici, la collaboration avec le journal Les Jours (créé en 2016 par d’anciens journalistes de Libération) faisait donc intervenir Louis Witter : retourné plusieurs fois à Mayotte en reportage, il se faisait donc une voix de terrain, bien loin des sujets à sensation, traités en surface ou jalonnant la parole préfectorale. Un temps dédié aux difficultés du métier de reporter indépendant, mais aussi aux échanges humains ayant eu lieu sur place, face à une situation dramatique notamment après le passage à l’hiver 2024 du cyclone Chido.
Louis Witter : des images sur des maux

Dix ans que Louis Witter parcourt le globe, appareil photo à la main. Devenu photojournaliste en 2014, il s’est ensuite diversifié, avec pas mal d’écrit et de radio, sur des sujets liés entre eux par un « fil conducteur, la question des frontières, de l’exil, de pourquoi des gens sont amenés un jour à devoir quitter chez eux et demander refuge ailleurs » nous explique-t-il un peu avant de monter sur les planches. Un sujet difficile qui s’explique en partie par son histoire familiale, et d’une volonté de « comprendre comment les politiques migratoires se mettent en place; d’un point de vue journalistique d’expliquer, au-delà des discours de plus en plus xénophobes et racistes, pourquoi les gens quittent leur chez eux et pourquoi les pays devraient faire en sorte de les accueillir plus dignement ».
Pour le spectacle à propos de Mayotte, il a fallu durant quelques mois « se replonger dans les archives photo, les travaux produits pour Les Jours, L’Obs, La Croix ou encore Politis » : une première pour le photographe de se diriger vers ce travail de mise en scène, réalisé par Mikaël Bernard. Dans les moments marquants parmi la succession de reportages à Kawéni, il y a eu l’opération Wambushu en 2023, « très violente sur place, touchant des personnes déjà fragiles, déjà précaires », et qui sonne en écho à son travail réalisé à Calais, où il réalise un cliché marquant les esprits en 2020 où l’on voit « les équipes de nettoyage qui accompagnent les policers découpant des tentes au couteau pour qu’elles ne soient plus réutilisables ». Mais parfois les images ne racontent pas tout, et les situations complexes nécessitent un récit, et cette période marque le passage de Louis Witter à l’écrit avec notamment le livre La Battue – L’État, la police et les étrangers paru en 2023 (éditions du Seuil).


La lettre ouverte des exilés soudanais, rédigée après la mort de Yasser pour dénoncer leurs conditions de vie, est adressée aux policiers. Elle continue ainsi : « Pourtant, vous venez tôt le matin et prenez nos affaires de fortune comme s’ils n’étaient rien pour vous mais vous savez très bien qu’ils sont tout pour nous. Nos maisons. Sans humanité, vous nous laissez à l’air libre avec le froid qui nous pince et la pluie sur nos têtes comme si nous n’étions pas des êtres humains » – La Battue, page 94
Un ouvrage essentiel sur l’inhumanité des barbelés qui fleurissent bien vite à la surface du globe. Avec des images et des articles essentiels qui reviennent aux fondamentaux du journalisme et de l’étude de terrain, bien loin des discours dominants, Louis Witter produit un travail capital pour mieux lire le monde qui nous entoure.










