A l’occasion du nouvel album Jamais Trop Tard et de la tournée actuellement en cours, l’Imprimerie s’est aventurée à Brest pour poser quelques questions à Arm, rappeur du groupe « à géométrie variable » Psykick Lyrikah. Concerts, silences et théâtre sont au menu de l’interview.
■ Arm bonjour; as-tu une explication du titre de ce nouvel album, Jamais trop tard ? Est ce que ça a un rapport quelconque avec Derrière moi ?
J’avais intitulé un morceau comme ça. Déjà je voulais que le titre soit assez explicite, simple, pas trop onirique, et qu’il soit surtout à consonance optimiste. Derrière moi et Jamais trop tard racontent des choses par rapport à ma vie, donc ce nouvel album a été écrit de manière très liée à ce que je vivais personnellement, mais je me débrouille toujours pour faire en sorte que le disque soit écoutable même si on ne sait pas tout ça ! Malgré la noirceur apparente de cette musique, j’aime bien qu’il y ait toujours cette notion de positivité. Cette idée de ne pas baisser les bras, de prendre des décisions quand il faut, et d’estimer qu’il n’est pas trop tard pour les faire.
■ Comment ça s’est construit au niveau des collaborations, même si on retrouve des noms avec qui tu travailles régulièrement ? Tu avais déjà travaillé avec Marc Sens ?
Non, je l’ai rencontré grâce à Zone libre avec qui on avait fait pas mal de dates, mais c’est surtout un très vieil ami d’Olivier Mellano, ils se connaissent bien. Je l’ai rencontré plus tard, et c’est vrai que je m’étais dit que j’aurais bien aimé l’inviter pour mon nouveau disque. Ils sont donc réunis sur un ou deux morceaux, faute de temps, j’aurais bien aimé l’inviter plus.
■ Et donc il ne sera pas sur les dates de la tournée ?
Non il est pas sur les dates; si je pouvais avoir un super groupe sur scène je pense qu’on serait vingt ! Et Olivier Mellano non plus, puisqu’il est pris sur un gros projet de théâtre.
■ Pour l’enregistrement et le mixage de ce dernier album, tu as fait de nouveau appel à Reptile; pourquoi ce choix ?
C’est encore lui parce que sur Derrière moi ça avait fonctionné, en étant une première collaboration. Lui ne connaissait pas Pyskick, il a découvert par les maquettes que je lui ai envoyées. C’était le premier album qui sonnait d’une manière aussi puissante, c’était le son que je recherchais. Donc on est restés en contact, ça me paraissait naturel de lui reproposer. On s’entend bien ; c’est toujours très simple avec les gens avec qui je travaille, les choses se font jamais dans la douleur et dans le conflit, malgré des morceaux très denses, on est… j’allais dire des hippies. On est vraiment cool !
■ Depuis plusieurs disques, il y a une esthétique électro de plus en plus forte ; comment perçois-tu cette évolution ?
Par électro, on va entendre machines, parce que la culture électronique est une culture que j’ai pas du tout. Par contre dans le rap, notamment le rap américain que j’écoute pas mal, il y a beaucoup de machines ! Cette esthétique un peu froide, répétitive, c’est quelque chose que j’aime bien ; j’avais entamé ça avec Derrière moi et là j’étais parti pour faire la même chose avant de me rendre compte que le risque était de répéter, de tourner un peu en rond. J’ai réalisé qu’il y avait beaucoup de gens autour de moi qui faisaient des supers sons, et que ça allait me changer de m’engager sur d’autres couleurs musicales, d’autres ambiances.
Quand tu sors tes premiers disques, t’as envie qu’ils soient perçus de telle manière, que ton public soit un certain public. Et depuis toutes ces années, je rencontre beaucoup de gens qui n’ont pas la même culture musicale que moi, qui entendent ma musique d’une certaine façon, qui captent pas que je puisse être fan de gangsta rap américain, parce qu’ils trouvent ça en contradiction avec l’esthétique que je développe depuis des années. Mais vient un moment où tu te poses la question de savoir ce qui est important ; l’important c’est de faire ta musique, que les gens la perçoivent, et le reste on s’en fout. Ce truc de poésie, de slam, d’abstract hip-hop, plein de trucs dont on s’est défendus longtemps, en fait on s’en fout ; tu peux dire que tu fais du rock, du rap, du slam, quelque part ça change rien et pour les gens non plus. C’est plus par rapport à cette posture, de vouloir toujours recentrer en ayant l’impression de mal être perçu, c’est surtout une grosse perte de temps.
■ Ça vient de là « recadrer replacer recentrer » sur le titre Invisibles avec Iris ?
Non, ça c’est par rapport à la thématique du morceau ; je te parlais de vie personnelle tout à l’heure, avec Iris on a gravi la même montagne au même moment et quand on s’est retrouvés sur le morceau on avait des choses à raconter. C’est parti d’une idée d’Iris ce gimmick final ; encore un fois on part d’un truc un peu noir, rabâcher, repenser, et on l’amène petit à petit à un truc positif.
« Faudrait peut-être que j’aille écrire un album à la campagne »
■ Au niveau de l’écriture toujours, de quelle manière la ville te nourrit ?
Ben c’est notre environnement depuis toujours ! J’ai grandi au bord de la mer mais c’était pas la campagne non plus. J’ai l’impression que ça fait partie de nous, ce sont des mondes, des gros viviers. Je pense que ça revient parce que dès qu’on parle d’aliénation, on a toujours cette métaphore de la ville, qu’on voit souvent comme des choses gigantesques à la Orwell. Je sais pas trop. Est-ce que c’est si urbain que ça ? (silences) C’est peut être parti du premier album où c’était un peu l’élément central et la plupart de ce que je lisais à l’époque, de ce que je regardais en cinéma. Après je sais pas de quelle manière ça me nourrit ; faudrait peut être que j’aille écrire un album à la campagne pour voir la différence !
■ Après la sortie d’album, il y a la tournée. Comment tu vis ce passage du studio à la scène et comment le projet se prépare ?
Le passage se vit bien puisque les concerts ça veut dire que tu pars sur la route avec tes potes. Donc c’est toujours cool quand t’es avec une chouette équipe. Et puis le disque est fini, tous les petits détails qui font que le disque est produit commencent à être terminés. Puis après on est dans une énergie où on fait du son, c’est que qu’on sait faire de mieux, c’est-à-dire qu’on est presque plus à l’aise sur une scène que dans un studio. C’est aussi l’aboutissement de quelque chose, et il y a un travail d’adaptation des morceaux ; il y en a qu’on fait pas, d’autres qu’on modifie, c’est intéressant.
■ Du coup sur scène tu es avec Robert le Magnifique..
Oui ; on insiste sur la fameuse géométrie variable qui fait que c’est compliqué puisque depuis le départ ça n’arrête pas de bouger, et pour la tournée aussi. Olivier Mellano n’est pas là puisqu’il est occupé, Robert le Magnifique va être là sur la plupart des dates mais ayant d’autres projets aussi, il sera parfois remplacé par d’autres personnes, et Thomas Poli qui est à la guitare et qui remplace Olivier sera lui aussi remplacé. Pour la formule sur scène, il y aura toujours la formule trio machines guitare voix, mais à part moi, ça va bouger un peu.
■ Tout à l’heure tu parlais du projet d’Olivier Mellano dans le théâtre. Tu y as participé ?
Pas du tout, pas avec cette compagnie de théâtre. Nous avons travaillé avec la compagnie l’Unijambiste et le metteur en scène David Gauchard, sur Hamlet avec Robert le Magnifique, sur Richard III. Le projet sur lequel Olivier Mellano est en ce moment c’est avec le metteur en scène Stanislas Nordey, « Par les villages ».
■ Tu avais envie de te confronter à d’autres disciplines comme le théâtre ?
Non, on est venu me chercher et je me suis dit pourquoi pas. J’ai adoré être embarqué en tournée, avec une équipe super et des gens que je vois toujours. Artistiquement, je préfère être là ce soir qu’être au théâtre. C’est pas pour cracher dans la soupe, mais au bout d’un moment il y a des frustrations en me disant « j’aimerais bien faire des concerts ».
■ Donc si tu avais du faire autre chose que du rap, ça n’aurait pas été du théâtre..
Comédien je sais pas faire ! J’ai trouvé ça cool d’observer, mais j’ai réalisé que c’était pas mon truc non plus. C’est comme quand j’étais à la fac en arts du spectacle cinéma, suffisamment pour me rendre compte que c’était pas là dedans que j’avais envie de travailler.
■ Est-ce que ce serait un projet un jour de passer à l’écriture pour une publication en livre ?
J’en ressens pas l’envie, peut être que ça viendra un jour. Autant j’accorde de l’importance à l’écriture, je pense que j’en accorde encore plus à la musique, et j’ai comme l’impression que le texte m’intéresse que si c’est une chanson. J’ai jamais été tenté d’écrire des poésies, ou un roman, et même si on tentait une publication de textes on perdrait beaucoup de choses. Donc pas pour l’instant.
« On raconte un combat de tous les jours, un combat de vie »
■ Toujours dans cet article de 20minutes, tu déclares « Je n’écoute presque pas de rap français ». Pourquoi ?
En général, les rappeurs français te diront « je n’écoute pas de rap français » ! J’en écoute, mais j’ai insisté tout à l’heure sur le fait que j’étais un gros consommateur de rap américain, que je suis son actualité, et c’est vrai qu’à côté le rap français j’en écoute pas beaucoup. Quand je dis que Booba m’a donné envie d’écrire, c’est que j’étais fan de Lunatic, j’ai aussi écouté des gens comme Kabal, Oxmo, La Rumeur, que j’aime beaucoup des artistes comme Casey ou Flynt. Donc je suis pas hermétique au rap français, et je me mets quelque part dans cette même case ; moi en tant qu’auditeur j’irais pas forcément écouter des albums de Psykick Lyrikah.
■ Tu t’écouterais pas toi-même ?!
Si c’était pas moi qui faisais cette musique, je sais pas si je serais très attiré par ce genre de mélange. En tout cas comme j’écoute beaucoup de rap US, quand t’as cette énergie de fou, comme elle est pensée et construite là-bas, c’est compliqué après d’écouter du rap français. Parce qu’on est aussi beaucoup dans la reproduction. Et tous les gens qui ont tenté des choses, qui ont des identités, c’est là où ça marche.
■ Tu te ranges donc dans le rap français sans problème ?
Je sais pas trop où je me range ; je fais du rap en français, mais sur scène c’est plutôt rock. C’est toujours un peu trop rap pour les rockeurs, trop rock pour les rappeurs, c’est jamais assez quoi. Mais je me suis jamais posé comme quelqu’un qui considère le rap comme un musique médiocre et qui voulait faire quelque chose de plus intelligent. S’il y a une posture que j’ai, c’est que le rap est une musique que j’adore et j’ai aucun problème avec cette appellation là.
■ Tout à l’heure tu parlais d’un optimisme pour le titre de « Jamais trop tard » ; comment tu expliques la noirceur esthétique qui en ressort ?
Entre le fond et la forme, tu peux jouer avec ce contraste-là. L’esthétique sombre, tendue, énervée m’intéresse; c’est ça que j’aime, souvent quand j’écoute de la musique, les truc un peu tristes, mélancoliques, assez puissants. Je vois Programme en face de moi (Nb : il y a des affiches sur les murs de La Carène) qui eux ont bien creusé les choses dans la noirceur. Comme on dit souvent avec Olivier ou plein d’artistes, on raconte un combat, un combat de tous les jours, un combat de vie, d’éthique, de principes, contre nous-mêmes, contre les autres, trouver sa place dans cette vie très étrange et cette drôle d’époque qui est compliquée. Mais y a rien de défaitiste, de nihiliste, de cynique dans ce qu’on raconte. Et il y a surtout beaucoup de lumière.
■ Ce combat dont tu parles fait rarement écho à des thèmes « militants » ou « engagés » ; c’est pas un « créneau » qui t’intéresse ?
Non, mais quelque part ça doit quand même découler dans certains morceaux. Ça l’a été avec « Salle 101″ sur notre cassette Lyrikal Teknik qui était inspirée de 1984 ; c’était Le Pen au 2ᵉ tour, et donc plutôt que d’écrire une chanson contre le Front national, ça m’avait fait penser à 1984. Il y a toujours une manière un peu détournée des choses ; dans Les Courants Forts, un morceau comme « Et pourtant » est assez tourné vers l’actualité, vers les conflits dans le monde. On oppose souvent rap conscient et rap pas conscient, cerveau pas cerveau ; je crois pas que les choses puissent être aussi manichéennes que ça.
■ Quelles seraient les influences principales que tu as eues ?
Pour la musique, c’est vaste. J’avais des parents qui écoutaient de tout, des musiques de film, du jazz, des chants de marin, il y avait de tout, de la soul, du blues. Après j’ai eu la chance de rencontrer des gens qui écoutent plein de styles différents.
J’ai la chance de connaître plein de choses, d’écouter plein de disques, donc je pense que je suis poreux et réceptif à tout ce qui peut me toucher, que ce soit de la musique expérimentale ou du rock. Et je suis aussi musicien, je sais lire la musique, c’est un plus aussi quand il faut composer et faire des programmations. Le danger c’est de pas trop s’égarer sur un disque; j’ai envie de tellement de choses, il me faudrait un coffret de 15 disques pour partir dans des trucs très différents ! Mais il y a un moment t’es obligé de suivre une ligne directrice parce que sinon ça part dans tous les sens. C’est le temps qui manque aussi.
■ Tu dis ne pas te sentir affilié à une scène locale ; tu penses pas avoir plus de public en Bretagne quand même ?
Pas forcément. Aujourd’hui avec internet, tu peux être surpris de remplir une salle à Reims, Marseille ou Bordeaux et pas tant que ça à Nantes ou Saint-Brieuc. À Rennes je sais pas trop, on a pas joué dans des très grands trucs ; la date avec Kery James y avait peut être 15 personnes qui nous connaissaient et on était à Rennes. Donc je me rends pas bien compte. Ce qui est sûr c’est que je me sens pas affilié à une scène rennaise. Les acteurs du rap à Rennes je sais pas qui c’est, je les connais pas. Au-delà des différences de styles musicaux, je connais pas les groupes ni les gens.
■ Quel serait ton dernier coup de cœur musical ?
(silence) Il y en a eu plusieurs ces derniers temps. Il en faut un seul ? Le Kanye West, Yeezus, que j’aime beaucoup. Le James Blake aussi. Y en a plein d’autres en fait !
Rappel : Pyskick Lyrikah sera en concert le 21 novembre au Nouveau Casino (Paris) et le 12 décembre à La Citrouille (Saint-Brieuc)
Et ça vient de sortir : le clip de « Jamais Trop Tard ».
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