Billet d’humeur : silence on casse

Le début d’année 2025 semble faire fondre de sombres vautours sur le monde culturel. Face à une extrême droitisation galopante et des coupes budgétaires sans précédent, quels espaces pour créer, quelles voix au chapitre, quelles propositions artistiques, mais surtout, quelles réflexions en tirons-nous ?

 

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Lundi 27 janvier, c’est en couverture de survie qu’apparaissent plusieurs responsables culturels lors des vœux de Rachida Dati. On est d’accord, ça caille bien niveau culture depuis un moment, et pas que.
Crédit photo : Syndicat des Musiques Actuelles

Coupes drastiques des budgets (-75 % pour le budget de la culture en pays de Loire voté le 20 décembre 2024, rabotage dans le département de l’Hérault), économie de 50 millions d’euros sur le budget culture 2025 par le gouvernement, suppression de l’HCEAC (Haut conseil à l’éducation artistique et culturelle) ou encore gel de la part collective du Pass culture : fin janvier, l’avenir des domaines artistiques est pétri d’angoisses qui semblent configurer un mauvais scénario, un cauchemar géant où le Rassemblement national pourrait décider de ce qui est programmé ou non sur une scène et où les maisons d’édition se verraient toutes appartenir à Bolloré. Les raisons d’être en colère ne manquent pas.

« Qu’attendons-nous pour nous associer, nous rebeller, mêler nos sueurs pour étouffer chaque départ de feu ?
Faire de l’art, ce n’est pas être pacifique. Ce n’est pas être derrière un clavier et un écran en faisant de la promotion.
Être artiste ne se résume pas à faire des actes sur les plateaux, à remplir des salles, mais à tout faire pour rendre visibles les combats que sont la Paix, l’Amour et l’Amitié, le Partage, l’Éducation, le Vivant avant le profit. Être artiste c’est être capable de choisir de sortir de l’invisible. » Phia Ménard

Les décisions prises en 2024-2025 confirment l’étrange vision de société apparue durant la situation du Covid en 2020 : la culture serait donc « non-essentielle ». La culture qui ne correspond pas aux visions étroites des notables qui savent toujours mieux que « les gens d’en bas », la culture qui anime des espaces en milieu rural ou dans des quartiers dits « prioritaires », la culture du partage des savoirs et des pratiques, la culture qui permet de réfléchir, rêver, s’évader, ou encore imaginer des futurs plus désirables qu’un parking de supermarché éclairé par des néons blafards.

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Depuis fin janvier, les scènes de spectacle vivant posent avec le public en fin de représentation avec le mot d’ordre « Debout pour la culture ».

« Résumons : la culture on est pour. Mais il faudrait qu’elle soit compétitive, concurrentielle, qu’elle s’autofinance, qu’elle soit gratuite et que les artistes ne la ramènent pas trop avec leurs exigences : ils ont tout de même la chance de faire quelque chose qui les passionne. » La théorie du coyote, Éric Pessan

Fin janvier 2025, le gong du gel de la part collective apporte un nouveau coup de bambou sur la tête des artistes, professeur·es, acteurs et actrices du service public attaché·es à défendre les pratiques artistiques, la découverte, bref, l’essentiel. Alors que 40 millions d’euros de projets sont déjà engagés pour l’année, annonce est faite d’un plafond à 50 millions d’euros ; reste donc un fond d’enveloppe à partager pour le reste de l’année scolaire, alors que bon nombre d’établissements publics sont déjà bien en peine de pouvoir acheter des fournitures basiques qui vont du papier toilette à la ramette de papier pour la photocopieuse. Cette décision, brutale et non concertée, va ainsi priver beaucoup d’élèves d’ateliers et de sorties, et un paquet d’artistes déjà précarisés d’une ressource financière indispensable (à moins de savoir bien cuisiner les pelures de gomme en cocotte, une recette déjà éprouvée par les dessinateur·ices de bande dessinée). Histoire de pleurer avec ses oignons jusqu’au bout, un spectacle du Puy-du-Fou se trouve désormais éligible au dit pass ; de quoi s’étouffer avec ses cacahuètes face aux grands discours consacrés à la laïcité. On peut toujours signer par ici contre ce rabais scandaleux. On peut aussi signer par là pour Debout la culture.

Reste donc de grands points d’interrogations, des sables mouvants et des choix. Reste de grands terrains à ré-inventer. Reste des poings debout et des bras qui œuvrent. Reste des énergies à mettre en commun. Reste des déterminations. Reste à soutenir la presse, les librairies et éditeur·ices indépendant·es. Reste à refuser ces avenirs mornes où l’espoir se verrait rayé des cartes, que nous aimerions sans frontière. Reste ce qui anime, ce qui porte et ce qui reste des zones à défendre.

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PS à cet article : À l’Imprimerie Nocturne, nous n’avons pas de solution miracle ni de baguette magique, et sommes également dans une certaine mesure, impactés par ces remous. Nous exprimons par cet article toute notre solidarité avec les branches culturelles et sociales touchées par ces décisions injustes, qui vont bien au-delà du milieu artistique. Nous défendons depuis des années avec indépendance la création, alternative ou institutionnelle, en donnant la parole aux artistes, aux projets solidaires, aux intermittent·es, en sélectionnant des ouvrages, des musiques, des films, et en suggérant des pistes de découverte, en continuant de penser la création comme un moyen d’appréhender la société, ses mots et ses maux, une voie de transmission entre générations, un terrain indispensable pour voir le monde autrement qu’à travers un tiroir-caisse ou des lunettes d’extrême droite. Même si l’abattement pourrait être l’humeur de ce début d’année, nous pensons que l’une des solutions reste de créer, et d’imaginer d’autres horizons, pour toutes et tous.

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