L’Imprimerie a beaucoup apprécié le 1er album de Silence Et s’il faut tenir la cadence. Rencontre avec deux membres du groupe, Mathieu Ramage, le chanteur, et Niko Chatalain, le bassiste, pour échanger sur leur parcours, la chanson rock. Et Rennes.
Bonjour ! Comment s’est imposé le nom du groupe sachant que c’est un peu paradoxal de s’appeler Silence quand on a des choses à dire ?
Mathieu : C’est un peu compliqué pour tous les groupes de se trouver un nom, même si pour certains ça vient tout de suite. Avant on faisait partie d’un groupe appelé Les Ours insensés, qui était plus chanson française festive ; dans ce groupe là, il y avait un morceau qui s’appelait Silence justement. Et on s’était toujours dit qu’on ferait quelque chose dans le style de ce titre. On est passé par des choix provisoires, puis pour Silence nous avons hésité car ce nom existe déjà, sans parler du référencement, de sa connotation en anglais. On a donc ajouté trois petits points devant, pour obtenir comme un sigle, quelque chose dans l’esprit du groupe et qui démarque le mot.
Pour ceux qui ne vous connaissent pas, comment l’aventure a commencé ?
Niko : au départ il y avait quatre membres, Jérémy à la mandole, Tanguy à la guitare, Fab à l’accordéon et Mathieu pour la voix, qui étaient donc les Ours insensés. Quand le projet Silence s’est monté, Jérémy m’a dit qu’il cherchait un bassiste, je travaillais un peu avec cet instrument à l’époque et j’étais motivé pour intégrer le projet. On a donc démarré à cinq, sans batterie; on s’était presque convaincu qu’on jouerait sans batteur jusqu’à ce qu’on rencontre Sylvain. Notre première date, c’était en 2009 à la salle de La Cité.
Mathieu : oui, Sylvain faisait partie de différents groupes, et après ce concert il m’a dit « dire que je me suis posé la question pour intégrer le groupe ! », et l’aventure a commencé. Nous avons ensuite enregistré un cinq titres.. et ça a été le début de la galère ! On a fait un enregistrement comme on le voulait, sans avoir une conception de ce qui se vend ou pas dans ce style de musique.
Niko : le cinq titres nous plaisait bien, mais le problème c’est surtout que dès le début il y a eu une grosse énergie, avec beaucoup d’investissement, et les morceaux sont arrivés très rapidement, dont « Cadence », qui a vraiment donné un virage beaucoup plus rock ; à partir de là, notre cinq titres qui était plutôt empreint de musique posée et de chansons ne correspondait plus à ce qu’on faisait.
Mathieu : notre son avait changé; tout en continuant un travail sur le texte, ou des morceaux calmes comme « Harmonique », mais on est devenus beaucoup plus rock dans les compositions.
D’où le temps jusqu’à ce disque Et s’il faut tenir la cadence, qui était quand même attendu de la part du public qui vous a soutenu via Octopousse ; vous avez privilégié la scène ?
Niko : on est un peu des galériens jusqu’au bout ! On a fait quelques beaux plateaux, plein de concerts dans les bars, des choses éprouvantes en auto production. Ça fait longtemps qu’on voulait faire un album, et on en avait la matière ; depuis sa sortie, on en a déjà à nouveau pour préparer le prochain ! Notre premier cinq titres était pas mal, mais il a été fait rapidement, et là on voulait prendre le temps. L’auto production c’est toujours un peu ric-rac !
Niko : on a pas tellement perdu d’argent mais on l’a pas forcément bien optimisé. Entre le moment des prises en décembre 2011 et la sortie de l’album en mars 2013, c’était long.
Mathieu : heureusement que la collecte d’Octopousse était là, elle nous a vraiment aidé à produire le disque.
Vous pensez que le crowfunding a une réelle importance dans le jeu de la production musicale aujourd’hui ?
Niko : forcément. Je pense qu’on a surfé sur les débuts du crowfunding à Rennes ; notre album comme tu disais était attendu, peut être pas par toute la place rennaise, mais il y a des gens qui comptaient dessus. Notre opération a bien marché, en quatre jours on a atteint notre objectif ; puis sont arrivés d’autres demande de soutien, depuis ce temps là tous les mois il y a un nouveau projet qui arrive. Mais les gens ne peuvent pas donner à tout.
Mathieu : je pense que ça a fonctionné parce qu’on avait un public qui attendait l’album ; si tu joues quatre ans avec un public et qu’à l’annonce d’un disque tout le monde s’en fout, autant arrêter !
Dans le disque il y a un propos qui est un peu noir; sur « Vaste comédie » vous chantez « j’ai omis de conserver le sens de l’humour » ; vous l’avez vraiment perdu ?!
Mathieu : non ! Dans mes textes il y a beaucoup d’interprétations de personnages que je ne suis pas forcément, ou d’un bout de personnage que je vais exacerber. Là c’est par rapport à certains propos et à une orientation musicale. « Déballage d’ironie par de l’art de surface »est peut être ce qui définit le mieux le titre, même s’il est pas très clair ce texte ! La musique de Silence met en place une tension qui se retrouve dans les textes.
Niko : on est tous dans différents projets, dont certains festifs, mais Silence ça n’en est pas du tout l’objet. Nous tous avançons dans cette dynamique, mais quand on est en répétition ou après un concert, on fait que se marrer ! Tout en prenant Silence au sérieux.
Mathieu : c’est le propre de la musique et des chansons, d’avoir un témoignage plutôt puissant. Brel par exemple quand il parle des vieux, il les met dans des situations où tu ressens beaucoup de choses ; si c’est un vieux qui regarde la télé toute la journée la chanson peut durer une phrase ! Il y a un travail musical et textuel dans ce sens là pour nous, pour pousser cette émotion.
Justement au niveau des textes, de l’écriture, d’où viennent tes influences ?
Mathieu : je pense à Baudelaire ; au lycée, je trouvais ses textes rythmiques et chantants. C’est à ce moment là que j’ai commencé à écrire des petits poèmes à la con; j’ai une formation de batteur à l’origine et j’aimais bien cette technique pour que le rythme se retrouve dans le texte. Après il y a peut être un peu de Cantat parce que j’ai écouté énormément Noir Désir mais je pense pas écrire de la même façon.
Niko : tu as fait tes armes d’écriture en slam aussi !
Mathieu : oui ma première influence c’est le milieu des slameurs, pas forcément quelqu’un de connu donc, c’est dans tout ce monde là qui écrit pour les soirées slam.
Et au niveau de la musique ?
Niko : on vient tous d’univers différents, voire même on ne parle pas tout à fait le même langage musical quand on essaye de verbaliser ce qu’on fait. Par exemple Sylvain et moi on a peu près les mêmes références donc on se comprend assez vite, mais face à Jérémy à la mandole et Tanguy à la guitare c’est différent. Eux viennent plus des musiques traditionnelles, plus orales, tandis que Sylvain et moi avons eu une formation plus théorique. Fab à l’accordéon est plutôt dans la chanson.
Mathieu : et moi de la chanson et du rock. Surtout du rock. Et du coup on mélange tout ça.
Niko : oui après on a tous une culture rock commune des années 70 comme Led Zeppelin.
« Si on me dit « c’est sympa votre truc » ça me gonfle »
Vous vous mettez vous-même une étiquette chanson rock, un bon équilibre entre les deux ; vous vous placeriez comment sur la scène française ?
Mathieu : c’est la question compliquée, on a mis du temps à trouver ça ! On est passés par chanson française, mais ça nous correspondait pas, après on a voulu mettre rock mais ça desservait le travail du texte ; après on a essayé rock slamé, slam rock, et finalement chanson rock c’est ce qui englobe le mieux le projet. Comment se situer sur la scène française.. je pense qu’on est assez originaux et c’est ce qui fait notre force ! Ou pas.
Niko : je considère que si on doit se donner un créneau c’est rock français ; j’avais envie de dire rock en français surtout, car il y a une sorte de tradition d’exigence du mot.
Mathieu : c’est compliqué parce qu’en disant ça j’ai l’impression que du même coup nos valses sont pas adéquates avec ce mouvement de rock français. Et il y a un côté chanson que je revendique.
Niko : rien n’est incompatible ! Si on avait envie et le niveau de faire un titre de jazz, on en ferait un ! Au bout d’un moment quand même, des fois tu te pose la question « est ce qu’on pourrait pas avoir avancé plus vite », mais finalement je préfère avoir connu des difficultés et attendre que la musique qu’on propose marche. Le projet peut vivre comme ça pour le moment, et ça me plait d’avoir un parcours sans concession sans forcément rentrer dans les clous. Si on me dit « c’est sympa votre truc » ça me gonfle, je préfère que le gens aiment ou détestent.
Le titre « Valse de Rennes » date un peu, mais vous y parliez de l’assagissement de la ville ; le débat est toujours actuel. Votre position aujourd’hui par rapport à Rennes, vous ne vous y retrouvez plus du tout ?
Niko : franchement à Rennes c’est là que je rencontre des musiciens, mais c’est pas là que je joue ! Je me demande qui joue encore à Rennes, à part nous ce soir ! (rire collectif) Quand tu vois hier soir quand on a vu toute l’équipe du jam brass band jouer gratuitement dans la rue, les mecs ont tous un niveau de malade ; à Rennes tu les vois dans les bœufs mais sinon ils jouent ailleurs. Il y a plus de lieux, et il y a deux trois personnes qui chapeautent un peu tout qui feraient bien de prendre des vacances.. Il se passe plein de trucs à Rennes, mais tout est underground ; ce sont des festivals privés chez les potes, des supers trucs, du public, mais y a pas de sous, tout ça c’est monté avec les mains et la motivation.
Mathieu : Rennes est une ville reconnue culturellement à l’extérieur, et qui use d’un système parisien : faut être connu pour y jouer sinon tu gagnes rien ! Il y a plein de choses intéressantes à Rennes mais j’espère qu’à un moment on nous mettra autre chose que de la pop en anglais, ça n’est pas toujours bon pour l’activité culturelle.
Niko : oui c’est un problème de diversité musicale. Ces dernières années, les vainqueurs de tremplin c’est toujours la même chose. Après ça reste une ville agréable à vivre, plein de musiciens sont encore là, des acteurs culturels de l’ombre qui font bouger la ville. Le jam dont je parlais hier, avec leur réseau interne ils veulent développer un projet ambitieux de spectacle avec cuivres, gospel et danse lindy hop et funk ; ils vont le faire, mais faut quand même être tordu pour être à poil et se lancer dans quelque chose d’aussi grand. Mais heureusement qu’il y a des mecs comme ça ! On est pas si mal lotis ici, mais c’est dommage quand même que ça se passe comme ça; quand tu vois des villes comme Caen, ils font des paris audacieux, et ils se bougent au niveau de la musique que ce soit du jazz ou du rock.
Votre dernier coup de cœur musical ?
Niko : je suis content d’en parler parce qu’ils sont de Rennes, et c’est Spiel, qui fait une musique fusion instrumentale balkanique et actuelle qui passe de la mélopée chatouillante au son bien lourd avec une facilité déconcertante.