C’est l’envie de partager un coup de cœur pour un lieu découvert il y a quelques jours lors d’une soirée improvisée qui a motivé cet entretien. À une trentaine de kilomètres à l’ouest de Rennes existe un authentique café-concert : La Fontaine de Brocéliande.
Un lieu mythique à l’univers musical figé dans le temps. Sur les murs, les pochettes jaunies d’authentiques 33 tours du moment accrochés sans doute juste quelques jours avant l’ouverture (Les Thugs, Noir Désir, Public Enemy, Dead Kennedys, Fugazi, Les Bérus, Les Ramones, la Mano Negra…). Derrière le bar, alignée sur une étagère surchargée, une collection d’historiques cassettes « hand made - autoproduites » bien antérieures aux CD auto promo gravés mais encore plus loin des fameux premiers « sons MP3″ uploadés sur Myspace par tous ces merveilleux jeunes groupes de musique motivés qui traversent les âges. On revient dans le passé, il y a quelques décennies, celui que les moins de 20 ans ne peuvent pas connaître. On est à 35 kilomètres de Rennes à l’écart de la 4 voies qui mène vers Lorient. Avec Patrick, On découvre l’histoire de ce lieu repris en 1992 : La Fontaine de Brocéliande à Saint-Péran en Ille-et-Vilaine. La cinquantaine, amical, original et bienveillant, le « patron punk » a pris quelques minutes avec nous autour d’un café pour nous confier son histoire.
Le 11 mars dernier le groupe Noon Mares ouvrait la soirée rock shoegaze.
- Comment t’est venue l’idée de création de ce café-concert ?
Une longue histoire. J’ai acheté cette affaire en avril 1992, ça fait 26 ans. À la reprise de cette activité économique locale, la précédente gérante s’occupait du bar-tabac-épicerie et du dépôt de pain. J’ai conservé l’ensemble puis y ai ajouté ma touche personnelle ; l’organisation de concerts. J’ai monté une scène, investi dans une sonorisation et un pack d’éclairage.
Je travaillais depuis l’âge de mes 18 ans, en 1982, dans l’agroalimentaire près de Rennes et j’étais vraiment passionné par la musique. J’étais l’un des tous premiers adhérents de l’Ubu en 1986/87 quand la salle a mis en place ses cartes d’adhésion. J’ai vu plein de concerts à l’Ubu, à Rennes, dans des bars et de nombreux lieux, tout en étant salarié dans cette usine. J’ai voulu créer un lieu presque identique à ceux que je fréquentais dans la grande ville voisine mais je le voulais proche de mon secteur d’origine à moi : Saint-Péran.
Après dix ans de vie salariée, à 28 ans, j’ai eu l’idée de créer ce lieu pour mes potes, pour les gens du coin, un lieu où il y avait des concerts de rock pour que tout le monde par ici puisse en profiter. J’ai acheté le fonds de commerce, la reprise de l’activité précédente mais aussi le bâtiment puisque tout était à vendre. J’avais mis de l’argent de côté en tant que salarié depuis dix ans et la banque m’a suivi.
Quelques personnes m’ont soutenu et encouragé à aller au bout de ce projet dont un ancien chef qui m’avait dit : Il n’y a pas beaucoup d’habitants à Saint-Péran mais il n’y en aura jamais moins ! Nous étions 169 en 1992 et cette année, nous en sommes environ à 400.
- Pourquoi avoir quitté le salariat confortable économiquement pour aller prendre ces risques financiers importants en lançant cette affaire ?
D’une part et surtout, j’avais de grandes difficultés à supporter les horaires en 3×8 dans l’agroalimentaire : une semaine du matin, la semaine suivante en après-midi puis la troisième en horaire de nuit. Je ne m’imaginais pas pouvoir faire carrière avec ce rythme de vie professionnelle.
« Je rêvais de me lancer dans cette aventure-là moi aussi »
À cette période, comme je l’indiquais, avec les amis d’ici on allait dans différents bars de Rennes. Alors oui pour boire des coups, mais surtout faire des concerts, voir des groupes de rock jouer en live ! À cette époque, notre Q.G était La Trinquette où j’ai connu de nombreux musiciens de Rennes comme Bruno du Mondo Bizarro par exemple. Je rêvais de me lancer dans cette aventure-là moi aussi : tenir un café-concert, c’est moi, j’en serai le patron. Je pense tous les jours avoir fait le bon choix, je suis encore là et j’ai réalisé ce que j’avais idéalisé ! Organiser des concerts, recevoir des gens et tenir un bistrot-tabac-épicerie avec les gens d’ici la semaine aussi.
- Tu te souviens de tes premiers concerts ?
À l’automne 1992, dès que j’ai ouvert, j’ai contacté les musiciens rennais que je connaissais à La Trinquette rue de Saint-Malo. C’était les tout premiers concerts que j’ai organisés ici avec notamment les Gunners, les Greenfish, les Tagada Jones et de fil en aiguille, le lieu a commencé à être identifié par le milieu musical rennais et les contacts se sont donc faits naturellement.
- Ensemble, on évoque beaucoup le rock rennais des années 90. Qui se chargeait de choisir les groupes, quel était le cadre artistique, quels étaient les styles musicaux « interdits » ici ?
J’aimais beaucoup le punk à cette période et donc je sélectionnais les groupes qui m’évoquaient des choses à moi dans ce style-là : punk, garage, métal, hard -core… Du rock énervé en quelque sorte ! Et a contrario ce que je m’interdisais, c’était plutôt le blues, le jazz, le reggae et le hip-hop. Durant cette période on garde une certaine fierté d’avoir reçu ici les Burning Heads, Mass Hystéria et plein de groupes dans cette veine-là. Malheureusement, et c’est ce que je déplore aujourd’hui, il ne reste plus beaucoup d’actifs ou de dignes représentants de cette scène-là en ce début d’année 2018.
Je précise quand même que dans l’histoire du bar et des concerts surtout, il y a eu une période de pause de douze ans. Depuis 2006 et la reprise en main d’une programmation de concerts réguliers, la sagesse de l’âge aidant sans doute, j’ai souhaité ouvrir la sélection artistique à des univers un peu moins rock et musicalement plus variés. Maintenant ici il y a du reggae, du blues, du hip-hop, de la musique traditionnelle et actuelle bretonne voire même de l’électro et on a augmenté le rythme d’évènements. Ils sont plus réguliers, pratiquement tous les week-ends.
- En fond de scène, on repère distinctement trois ou quatre éléments qui marquent le café-concert dans son environnement géographique. Que représente le drapeau breton Gwen Ha Du pour toi ?
Il y a longtemps qu’il est apposé ici ce drapeau breton. Je dois bien avouer ne pas trop me poser d’interminables questions sur les raisons de sa présence ici. De même manière que les Corses, les Bretons sont assez unis. Je peux juste préciser que Saint-Péran est en Bretagne et qu’on est bien dans un café-concert breton authentique. Personne ne m’en a fait le reproche jusqu’ici, si bien que je le laisse en place. Certains peuvent être réticents à cette idée en déclarant : « on est chez nous, on est en Bretagne ». Je préfère leur répondre : « On est chez nous, on est sur la planète ! » C’est mieux non ? Être breton, oui, mais je suis aussi citoyen du monde ! Je ne m’estime pas être le régionaliste le plus engagé de cette partie Ouest de la France. Et puis comme disent les punks, pas de drapeau, pas de couleurs, pas d’insignes ! Oui j’ai mis un drapeau, c’est sans doute la seule entorse que j’ai faite au mouvement punk. Ou bien alors je revendique être un punk breton ? Mais peut-on être un vrai punk et placardé un drapeau ? Voilà la question !