Par un bel après-midi, un certain mercredi, j’ai gravi la petite colline de Saint-Germain-sur-Ille pour aller dire bonjour à Benjamin Roux. Je voulais qu’il me cause de l’association qu’il vient de créer… la Petite Imprimerie. Je gare la voiture, je m’avance vers la porte d’entrée, la fenêtre est ouverte, on me voit, on vient m’ouvrir. On va s’installer dans le jardin, on débouche une bière et après avoir pris des nouvelles de l’un et de l’autre, j’ai allumé mon dictaphone et j’ai dit :
- Peux-tu nous expliquer ce qu’est exactement la Petite Imprimerie et sa genèse ?
Comment c’est venu ? Au départ c’est un projet perso. C’est en parallèle de ma recherche, sur les questions de traces de nos expériences collectives, comment on produit des savoirs et comment les partager. J’avais toujours en tête le mouvement fanzine notamment lié avec le mouvement punk, les squats et tout ça, le « do it yourself ». C’était ça qui m’intéressait au départ. Puis c’était comment moi, Benjamin, je pouvais être autonome sur l’édition et la diffusion de choses que j’écris et que j’ai envie de partager, voire que je n’ai pas forcément écrites. Sortir un bouquin que tu vends et sortir des brochures qui sont gratuites, ce n’est pas la même chose, au niveau de l’accessibilité du contenu. Et donc cette idée a émergé. C’est la question du coût et la question du plaisir aussi dans l’écrit qui sont à la base de ce projet.
Je voulais que les gens aient envie de lire le texte. Tout le monde n’a pas forcément un rapport facile à la lecture ou à l’écriture. Et donc moi, ce que je voulais c’est que les gens aient plaisir à lire… Et puis je voulais aussi rendre accessible par la gratuité. Et puis la forme. Réfléchir et travailler sur une forme sympa. Donc m’était venue l’idée de brochure et pendant deux ans j’ai cherché sur Internet comment fabriquer une imprimerie-maison… et là… tu ne trouves quasiment rien.
J’ai réussi à trouver des machines, et à évaluer les coûts d’impression. Combien ça coûte à la page, par exemple. Pour que ça commence à être référencé sur Internet, j’ai expliqué un peu tout ce processus sur mon blog. Comme ça, si d’autres personnes veulent créer leur imprimerie, ils trouveront l’info ce coup-ci, j’ai fait en sorte que ça soit bien référencé. Et d’ailleurs, c’est une des pages les plus consultées de mon blog (http://www.cultivateurdeprecedents.org/materiel-pour-imprimerie-maison). Et j’ai avancé, j’avais le matériel mais je ne l’utilisais pas à temps plein, je me demandais à quoi cela sert d’avoir du matériel qui dort un peu quoi… et puis, j’ai eu des potes qui ont voulu imprimer des choses… donc ça a continué à trotter dans ma tête. J’ai commencé à penser d’autres manières de relier, de rendre l’objet un peu plus beau… je me suis dit pourquoi pas monter une asso. C’est facile à faire en démarche, ça permet d’officialiser un peu plus, et de dire « ce matériel on le met dans une asso, il devient collectif, et les gens qui veulent participer et se servir du matériel, faire des impressions en tout genre peuvent adhérer »…
Et donc la Petite Imprimerie on l’a montée en septembre dernier, mais pris par mon boulot et plein d’autres trucs, ça a été mis un peu en stand-by, et il y a un mois (mars), je me suis dit qu’il fallait avancer… notamment en l’annonçant à plein de gens, avec un long mail. Et j’ai eu plein de retours, même de personnes que je ne connaissais pas, le mail a pas mal tourné. Et j’ai eu des demandes d’impression, des demandes basiques pour certaines et d’autres plus travaillées. Il y a tout un travail de mise en forme, de discussion avec les personnes concernées pour la création de leur impression.
- Comment fonctionne l’association, de manière pratique ? Vous avez un local ?
Tu vois pour l’instant, on n’a pas de compte en banque. On marche avec une caisse, un tableur et une entrée, une sortie et c’est tout. Et après on verra, si on a besoin d’aller chercher des subventions, on verra un peu plus large, mais pour le moment on veut quelque chose d’hyper léger, et je fais en sorte que tous les outils que j’utilise, parce que ça reste encore pas mal axé autour de moi, soient disponibles, collectifs, que je puisse expliquer comment ça fonctionne et que les gens puissent être autonomes. Et si ça marche bien, ce qui serait bien, c’est qu’à la fin de l’année on arrive à trouver un local dans le coin où on puisse mettre le matériel, avec des permanences…
« Je veux faire en sorte que les outils que j’utilise soient disponibles, collectifs »
- Pour une adhésion, comment ça marche ?
Les coûts d’adhésion, c’est 5 euros pour un particulier, à l’année, et 10 euros pour une association, un organisme… Et ensuite les personnes peuvent proposer leur projet ou venir imprimer ce dont ils ont besoin.
- Comment avez-vous calculé les coûts d’adhésion ?
Les adhésions ne sont pas calculées dans le coût de revient. C’est du bonus et ça sert notamment à tous les frais de l’asso, acheter une nouvelle machine par exemple… les consommables et l’amortissement des machines sont calculés dans le coût de revient. Avec l’imprimante laser, noir et blanc, je suis rodé, je sais combien ça coûte par impression, et je sais qu’on ne perd pas de sous. 4 centimes la copie. À partir d’internet (chiffres constructeurs, tests, retours…) et des tests que j’ai faits aussi, j’ai estimé que la machine pouvait faire au moins 15000 impressions et combien coûteraient les consommables pour un nombre x de copies. Je suis arrivé ainsi à un coup de revient par copie. Là, avec la couleur, j’expérimente, je fais des premières impressions.
- Mais du coup, vous êtes beaucoup moins cher qu’un imprimeur professionnel !
C’est normal qu’on soit moins cher que des imprimeurs locaux, parce qu’on n’a pas de salariés, pas de charge fixe, mais on est plus cher que des imprimeurs en ligne… La différence avec des gros imprimeurs, c’est qu’on a un coût fixe. C’est 4 centimes. Ça sera pas 3 centimes parce que tu fais 1000 copies. Parce que c’est vraiment un coût de revient. Donc l’idée c’est pas de concurrencer, c’est bien d’être ailleurs et notamment, ce qu’on ne paye pas en salariat, c’est aux gens de venir nous filer un coup de main sur les impressions… tu m’envoies un rapport de stage ou un bouquin à imprimer, je peux le faire, ça prend deux secondes, par contre si tu veux imprimer plusieurs brochures, on fait ça à plusieurs, avec des copains, on se met dans l’atelier et on passe l’après-midi ensemble pour imprimer, plier, relier… donc c’est vraiment l’idée du collectif. Faire ensemble.
Je rappelle bien aux personnes qui nous contactent qu’on reste une petite imprimerie associative et qu’il ne faut pas rechercher une exigence et une qualité d’un grand imprimeur.
Mais bon, comme on n’a pas un but économique de rentabilité, on arrive facilement à dire que ça n’est pas possible pour tel ou tel projet. À dire qu’il vaut mieux aller voir quelqu’un d’autre.
Et ça marche bien, les gens sont compréhensifs.
- Il y a donc la partie imprimerie, qui permet aux gens, en adhérant, d’utiliser le matériel d’impression et d’éditer des brochures, ou autres, à un prix très intéressant, mais il y a aussi d’autres projets je crois ?
Oui, en effet, il y a une partie qui tourne plus autour de la transmission. Partager le plaisir que nous avons à faire ce travail-là, de partir d’un contenu brut de texte à une version plus travaillée (logiciels de mise en forme, cohésion, la fabrication, le pliage, l’impression, la reliure). On aimerait réussir à partager ça. Avec les bénévoles qui viennent pour utiliser les machines. Mais aussi en proposant des ateliers. C’est la partie qu’on est en train de mettre en place. Pour la rentrée. Je vais proposer un atelier autour d’un logiciel libre pour apprendre à mettre en forme, par exemple.
« Le but c’est la transmission, partager le plaisir que nous avons à transformer un contenu brut en une version plus travaillée »
Et après, on commence aussi réfléchir à des ateliers avec des amis artistes qui pourraient proposer de faire découvrir des techniques proches de l’imprimerie. Pour le thème j’ai essayé de rester large pour montrer que ce n’est pas que de l’impression… donc, on parle d’atelier « d’édition et de publication de contenu »… t’as un contenu, tu veux le partager. Là, par exemple, j’ai une amie qui travaille autour du cyanotype, c’est un dérivé du principe photographique. Tu badigeonnes un produit photosensible sur une feuille, puis tu l’exposes aux UV et tu poses dessus la forme qui apparaîtra ensuite en négatif… avec un rendu cyan (d’où le nom de cyanotype). C’est Anna Atkins, une botaniste, qui est considérée comme la première à avoir expérimenté la photographie, qui travaillait avec ce procédé. Pour faire ses herbiers elle utilisait le cyanotype. Elle prenait sa fougère, ou une autre plante, et la mettait sur cette feuille qu’elle avait enduite, elle l’exposait ensuite au soleil et ça rendait, par le principe du négatif, la forme exacte de la plante… L’idée, avec cette artiste qui travaille sur ce procédé, c’était de proposer cette manière de faire, et c’est aussi une prémisse pour comprendre le principe de la photo argentique. Parce qu’on veut aussi mettre en place des ateliers photo, pour apprendre ce qu’est une prise de vue, l’exposition, le fonctionnement de l’appareil, puis un autre atelier sur le développement de la pellicule, et encore un autre pour tirer la photo. Il y a aussi une autre amie qui fait de la linogravure, donc on va proposer un autre atelier à la rentrée là-dessus. Et là, l’autre truc, enfin pour l’instant on n’est que 3, mais on est en train de préparer un chantier collectif pour un atelier de sérigraphie. On a une réunion demain d’ailleurs. On a trouvé un chouette bouquin, on a un tuto en ligne et maintenant on est en train de lister tout ce qu’il nous faut, de chercher le matos, voir combien ça va nous coûter. Ce qu’on veut c’est vraiment proposer aux gens d’aider à la création de l’atelier de sérigraphie et ensuite un autre atelier d’initiation à la sérigraphie avec les personnes qui seront intéressées.
Donc l’idée pour l’instant, on continue le service d’impression, mais après, en plus, ce serait d’avoir un rythme d’un samedi par mois d’atelier.
Et toujours sous le nom de la Petite Imprimerie.
- Et alors qu’est-ce que vous imprimez pour le moment ?
Pour le moment, on imprime déjà pas mal de choses. Ça va paraître un peu bizarre, mais moi, en tant que Benjamin Roux, je suis adhérent de la Petite Imprimerie, donc forcément j’imprime mes brochures et je suis pour l’instant le plus gros demandeur. J’ai un site qui s’appelle Cultivateur de précédents (http://www.cultivateurdeprecedents.org/) qui accueille mes travaux, réflexions et expérimentations autour de la question de mon mémoire « comment faisons-nous trace de nos expériences collectives ? ». J’effectue un mémoire dans le cadre d’un DHEPS (Diplôme de hautes études en pratique sociale) porté par un réseau d’éducation populaire en Auvergne. Et donc, Cultivateurs de précédents est adhérent de la Petite Imprimerie et à ce titre, je publie beaucoup de brochures sur ses travaux et réflexions autour des pratiques collectives.
Mais c’est en train de se rééquilibrer. Y a un copain qui travaille sur les questions de corps et d’émotion, qui est bouddhiste, et lui il s’imprime toutes les semaines 100 pages d’articles pour bosser. C’est de l’impression classique, des pages d’impression recto verso. On lui a fait aussi toute sa charte graphique et on lui a imprimé toutes ses plaquettes et ses flyers. Y a la Compagnie Ocus qui est venue faire des flyers aussi.
Il y a aussi un copain du Morbihan qui a un projet de fanzine et qui voulait imprimer 250 exemplaires d’une revue à 120 pages. On a essayé sur quelques exemplaires pour voir la faisabilité. Il y avait un timing assez court… alors on a fait les 30 premiers exemplaires pour une soirée de lancement mais on s’est rendu compte que ça ne marcherait pas pour plus. Ce n’était pas d’une assez bonne qualité. Du coup, il est allé faire les autres ailleurs mais on s’est dit qu’on allait continuer à grossir, à améliorer et je me suis mis en tête que pour un autre numéro on pourra le faire… D’ailleurs c’est une revue bretonne et montréalaise. Ça s’appelle L’Arrière-Pays. Ce sont des compilations de textes autour de la notion d’arrière-pays, des textes de sociologues mais pas uniquement, il y a différents regards.
- Donc beaucoup de projets à venir ?
Oui, j’ai été contacté, par exemple, par un gars qui organise un festival qui s’appelle La Criée, avec 12 artistes. Et il voudrait faire un petit book, un petit book pour offrir aux artistes, et à d’autres personnes. L’idée ce serait d’avoir deux pages par artiste, en format A5, avec de la couleur. Un format brochure. On est en train de le penser avec eux. Et puis beaucoup d’autres trucs.
http://www.lapetiteimprimerie.org/