Le Grand Frisson, la nouvelle création de la Compagnie des Femmes à Barbe menée par Gwen Aduh, comédien magicien à multiples facettes, ayant frayé avec les 26000 Couverts et habitué du festival et de la région.
Trois ans après le dernier cabaret de Münchausen, proposition en trilogie qui avait beaucoup plu à Mythos les années passées mais s’était peut-être essoufflée à force de cabotinages de comédiens récurrents, Gwen Aduh revient à Mythos avec un genre oublié : le « grand-guignol », renouvelant ainsi les thèmes de la compagnie tout en restant attaché à la forme du théâtre d’improvisation et à l’étrange.
C’est au Vieux St-Étienne que s’est tenu le Grand Frisson le samedi 11 avril. À l’intérieur de l’ancienne église, les spectateurs s’installant dans les gradins réalisent d’ailleurs rapidement que les gros plaids proposés à l’entrée seront salvateurs. Ces conditions extrêmes sont vite assimilées, et l’on s’amuse à observer le décor planté dans la pénombre en contrebas des fauteuils : grand écran de fond de scène teinté d’une lumière rouge, à droite un pan de bibliothèque et ses faux livres en cuir, un vieux secrétaire en bois peint sur lequel trône discrètement un petit globe terrestre lumineux, sur un autre pan de mur est clouée une grande roue peinte d’une rose des vents ; à gauche un piano patiné, et derrière lui, comme formant un banc de touche, 4 chaises.
La salle s’est remplie, les plaids couvrent les genoux, parfois jusqu’aux épaules, la lumière se tamise : le spectacle d’improvisation grand-guignol de la Compagnie des Femmes à Barbe peut commencer.
« Et il faudra du sang, du bain de sang et des borborygmes d’agonie. »
Craquement des baffles, une ombre chinoise figurant une nuit d’orage digne d’une introduction d’épisode de Scooby Doo ou d’un film d’Edward Wood apparaît sur l’écran ; une voix « off » grandiloquente expose l’histoire de ce genre théâtral disparu, né à la fin du 19e pour faire frissonner le bourgeois de Montmartre à grands coups de macabre, de sensations fortes et d’érotisme, et éclipsé petit à petit par le cinéma d’épouvante qui a raison de lui dans les années 50.
Mais rien n’est fini, car pour un peu plus d’une heure, il va renaître sous nos yeux et sous la houlette de Gwen Aduh. Tel un deus ex machina ostentatoire, il va orchestrer derrière son bureau et son masque squelettique une pièce unique : les lieux, les relations entre les personnages, leurs enjeux, l’enchaînement des scènes et les noirs. De temps à autre il va même distiller des germes de revirements de situation ou faire rejouer une scène qu’il juge unilatéralement inutile aux comédiens parfois pris au dépourvu mais jamais à court !
Durant toute l’improvisation, il tient son rôle de script consciencieux, recadrant avec précision extrême et non sans une certaine espièglerie mais aussi fermeté ses comédiens guidés par une série de contraintes émanant qui d’un tirage de tarot de la voyante assistante lumière, qui du public, qui du pianiste inspiré. Quand le Maître de Cérémonie décide de ne pas décider, la roue tourne sur son pan de mur pour aiguiller petit à petit le destin des personnages.
Les scènes se succèdent et font avancer l’intrigue patiemment vers un dénouement inéluctable que le public jubile d’attendre. Le pianiste pose et improvise une ambiance sonore mystérieuse et inquiétante.
Il ne peut en rester qu’un, nous dit-on. C’est le jeu du genre. Et il faudra du sang, du bain de sang et des borborygmes d’agonie. La voyante, telle une assistante d’un jeu télévisé, inscrit sur les bords de la rose des vents les 4 noms des personnages de notre pièce improvisée. Celui qui sera tiré survivra. Une dernière option est ajoutée : « ils meurent tous »…
La roue tourne une dernière fois, et pour cette fois seulement on nous cache le verdict ultime. Seuls les 4 comédiens vont tour à tour prendre connaissance du résultat. Notre Monsieur Loyal attitré découvrira l’issue comme nous, autant que le pianiste qui semble se délecter à l’idée de se faire surprendre par ses comparses.
L’histoire en elle-même ne sera pas dévoilée ici car une improvisation racontée n’a que peu d’intérêt. Elle restera sur la scène du Vieux Théâtre. L’intérêt est d’expérimenter le spectacle, et d’être conquis par la réactivité avec laquelle les comédiens incarnent au fil des répliques la trame qu’ils inventent, et les »peaux de banane » plutôt affectueusement lancées par le MC, sur lesquelles ils surfent avec adrénaline et inventivité pour créer un canevas dramatique improbable et d’une complexité étonnante.
Notre soif de suspense, d’humour noir, de grotesque et de terrifiant est comblée, et le retour de Gwen Aduh et ses nouveaux acolytes sur la place rennaise certainement réussi.
Le site de la Compagnie des Femmes à barbe