Nous aurions bien aimé que Lautrec ait un lien de parenté avec le peintre Toulouse-Lautrec (à qui il pique au passage le titre de son premier album). Ça nous aurait fait une magnifique introduction pour dire que comme le maître du pinceau qui saisissait ses congénères, Lautrec tente de faire de même avec La Cruauté tranquille du quotidien suffit.
« Tout le monde a posté son diner sur ©Instagram, moi y a mon œuf qui crame, y a rien à foutre sur cette connerie de ©Facebook, y a mille nouvelles entrées et toujours pas d’issue »
C’est un premier album dont toutes les productions sont signées Guts (que tout le monde remerciera pour le Nina Simone final), ce qui place la barre un peu haut pour poser sur les compositions d’un très bon beatmaker. Sur l’ensemble du disque ça donne des sons tantôt planants, parfois jazzy, souvent nostalgiques. Côté rythmes rapides ça ne se bouscule pas. Ce qui laisse toute la place au flow de Lautrec qui a la particularité de réussir à appuyer sur des syllabes inattendues. Et de se trouver en harmonie avec les featuring qui occupent l’album : Billie Brelok (que certains ont pu découvrir aux dernières Bars en Trans), Le Bon Nob, Cheeko (membre de Phases cachées dont nous devrions reparler rapidement pour la prochaine Check Da Vibe à Rennes), EDS et la voix d’Anastasia sur « J’attends ». Des collaborations qui fonctionnent comme sur « Écran plat », le petit écran qui est le « chewing-gum de la rétine ».
« Pour moi le monde s’arrête à la Villette, après, c’est juste de la géographie… »
Lautrec est parisien, et il s’en amuse pas mal avec des allers-retours Paris/Province sur « Bikini » où Bordeaux et Montpellier se retrouvent relégués au rang de bleds paumés. Lautrec, d’une voix souvent désabusée, se joue des codes mais ne joue pas des coudes; il vit un peu dans le monde qu’il s’invente dans « Les bonheurs indicibles », se pose des questions à la fois un peu bidon et tout autant philosophiques sur « La réalité en face » pour poser le constat sans appel du statut de emcee « parce que si j’savais vivre, j’écrirais pas ma vie ». Le mec qui « aspire à respirer » finalement, s’interroge pas mal, sur le pognon, l’abstention, observe la jeunesse qui se fout en transe parce que de toute façon c’est chacun pour sa gueule sur « La chorale des dents de sagesse ». Et Lautrec a les mêmes questions que beaucoup de gens dans cette « cruauté tranquille du quotidien »; l’album est parfois à cette image: un peu répétitif dans ses thématiques et la manière de les amener, il faut garder son attention active sur 16 titres (14 en virant les instrumentaux) et ne pas faire son « flemmard du 12e » pour que la torpeur de l’ennui ne soient pas trop contagieux. Car les productions qui avancent à pas feutrés décourageront peut-être certains au milieu du disque, avec une voix qui semble ne jamais retomber. L’oreille attend parfois que la phrase soit clôturée par un claquement plus percutant, que l’on sente la présence du point final. De l’intérêt donc d’avoir de bonnes prods pour se raccrocher aux branches, et profiter également des changements de voix sur les featuring comme le très bon « Le sang, la sueur et les larmes ». Quoique. Billie Brelok rappe un peu comme Lautrec. Leur avantage ? Découper correctement des phrases complexes aux images efficaces. Verdict ? Pour un premier album, Lautrec, sans signer celui de l’année, se place dans les (très) bonnes productions du 1er trimestre 2015 (l’année n’étant pas terminée, notre catalogue d’écoute est encore très incomplet). Le contrat est rempli, la plume originale, avec de multiples allitérations et surtout bien placées sur les compositions de Guts, et suffisamment de titres se démarquent pour asseoir leur originalité.
La Cruauté tranquille du quotidien suffit – Un album de 16 titres de Lautrec, sorti le 30 mars 2015