Le metteur en scène Simon Gauchet compte incendier le théâtre du Vieux Saint-Étienne les 30 et 31 mai avec sa pièce pluridisciplinaire L’Expérience du feu. Questions autour du spectacle et de sa figure principale, Jeanne d’Arc.
Le feu est aujourd’hui une terreur pour les théâtres. Promettre un bûcher sur scène, c’est oser affronter toutes les règles de sécurité. En lisant le titre de la pièce, on nous a rappelé que le « vrai feu » est interdit sur scène et on nous a demandé d’ignifuger nos décors. Dans notre société le feu incarne une puissance de mort, l’enfer, et pourtant face à lui on ne peut qu’être fasciné, et sans lui on ne pourrait vivre. Fasciné par la puissance créatrice et terrifié par sa puissance destructrice. Notre tentative met le spectateur en équilibre et appelle à être à la fois pyromane, à la fois pompier, c’est-à-dire choisir entre être fasciné et être critique. Il doit faire un choix sur ce qu’il voit, et doit décider de croire ou de ne pas croire aux événements qui ont lieu. Tout comme l’acteur est ici à la fois bourreau et supplicié, le spectateur jouit de ce qui l’effraie, et est effrayé d’en jouir.
Nous rêvons à une forme performative qui ne choisirait pas son camp, qui serait une expérience en soi, forcément multiple. Expérience est le meilleur terme. Expérience pour l’acteur et pour le spectateur. Cette création est théâtrale puisque nous sommes dans un théâtre, elle est musicale parce qu’il y a des musiciens invisibles, parce qu’on entend des voix, parce que paraît-il Jeanne d’Arc entendait des voix. Elle est plastique parce qu’elle convoque un dispositif scénographique mouvant qui construit des images, les déconstruit ou les détourne.
Ces deux projets tissent une réflexion concrète autour de la question de « Performer Dieu » et autour de la ruine comme héritage. Pergamon Altar est une pièce chorégraphique qui rejoue la célèbre frise grecque de l’autel de Pergame qui raconte la gigantomachie, cet épisode mythologique du combat impitoyable des dieux contre les géants. Pour les plus curieux, le 12 juin une étape de travail sera effectivement présentée à Saint-Malo, pour les plus patients elle sera présentée l’année prochaine au Musée des Beaux-Arts de Rennes.
« Pourquoi, nous, de jeunes gens qui n’ont pas encore trente ans, ressassons encore ce personnage de l’Histoire de France ? Parce que Jeanne d’Arc est un corps trimballé et déchiré par l’Histoire. » extrait de la présentation
Travailler sur une figure aussi connue, permet de s’extraire du souci de l’histoire. On apprend tous la fiction officielle dans nos manuels scolaires, aussi à aucun moment nous n’avons besoin de la traiter. Nous savons tous comment finit l’histoire de Jeanne d’Arc, aussi inutile pour nous d’être dans la narration. Inutile même pour l’actrice de jouer Jeanne d’Arc, puisque la puissance de projection de celui qui regarde aura immédiatement projeté sur ce corps de femme tout ce qu’il sait de la figure historique.
Ce n’est pas à nous, artistes, de dire ce qui est bien ou mal ou bien démontrer comment il faudrait penser. Il s’agit de faire apparaître des failles et de tomber dedans. Il s’agit de sonder l’inconscient collectif, et de le matérialiser pour avoir les yeux dans ses yeux. C’est fascinant de voir que 5 siècles plus tard, on agite toujours avec la même ferveur le corps de cette femme, à des fins très diverses. Sa résurgence contemporaine n’appartient d’ailleurs pas qu’aux extrêmes, c’est toute la fiction nationale qui est en jeu. À la fin du 19e siècle, c’est le parti socialiste de l’époque qui re-convoque la figure alors que la France est dans un contexte proche de la guerre de cent ans, les Prussiens aux portes de Paris. Aujourd’hui le gouvernement actuel vient de décider d’ériger un musée sur Jeanne d’Arc à Rouen. Dans le même temps, l’Action Française défile il y a deux semaines à Paris avec comme slogan « Nous voulons Jeanne La Pucelle, pas l’Europe de Bruxelles ». Le premier mai dernier, lors du traditionnel hommage à Jeanne d’Arc du Front National, on pouvait voir un panneau gigantesque place de l’Opéra à Paris, où Jeanne d’Arc apparaissait soufflant les étoiles de l’Europe. Et hier c’était les élections européennes. Jeanne est un symptôme qui révèle des processus de fabrication d’images et d’inconscient. Nous tentons de mettre à jour sur le plateau les processus de fascination et de croyance. La croyance est cette chose qui est mis à l’œuvre et à l’épreuve à la fois au théâtre et dans les religions. Pour cela nous développons une série d’action, que j’appelle des « principes actifs » qui mettent en jeu réellement à la fois l’acteur dans le présent de ce qui lui arrive et à la fois le spectateur qui doit faire un choix dans la multiplicité des sens qui peuvent être donnés à l’image. La religion comme la politique travaillent à dramatiser les faits comme le dit Bataille dans l’expérience intérieure, l’image dramatisée devient ainsi plus puissante que la réalité. L’image devient symbole et le symbole devient opérant.
C’est ce que l’actrice écoute avant de jouer.
L’Exposition Pierre Huyghe cet automne au centre Pompidou fut une expérience de spectateur fantastique. J’y suis allé trois fois et j’ai vu trois expositions différentes.
L’Expérience du Feu - Les 30 & 31 mai à 20h30 au théâtre du Vieux Saint-Étienne
Conception et scénographie SIMON GAUCHET
Interprété par KARINE PIVETEAU (et invités surprises)