Ci-gît l’humanité – Gaza, le génocide, les médias, de Meriem Laribi

Ci-gît l’humanité – Gaza, le génocide, les médias, de Meriem Laribi : raconter les horreurs de la guerre coloniale, et les mensonges et les lâchetés et les ignominies qui vont avec, pour retrouver le droit chemin, celui de la justice pour tous et de la paix entre les peuples.

« La résistance des habitants de Gaza et celle, symbolique, pacifique et si dévouée du docteur Abou Safiya, surpasse toute définition de l’héroïsme. » (p. 288)

Voici un ouvrage courageux, un ouvrage dont la lecture fait mal au cœur, mal au ventre, tant les peines qui y sont énumérées sont lourdes, tant les crimes à répétition commis par Tsahal (avec la complicité des exécutifs occidentaux, celle de grands médias français et la cécité de certains pays arabes) sont dégueulasses. Gardons néanmoins en tête que l’information qui circule et les faits qui sont documentés seront d’un poids considérable à même de faire vaciller les opinions publiques. Afin que les exactions cruelles cessent et que la paix revienne enfin dans cette partie du globe plongée dans l’enfer d’une guerre totalement déséquilibrée qu’Israël, qui ne pourra pas la gagner, devrait au plus vite interrompre.

« En Algérie, Israël n’est pas reconnu, ni par mon père, ni par l’État, ni par (presque) personne. “L’entité sioniste” n’y a pas plus de légitimité que “l’Algérie française”. Les Palestiniens, c’est nous hier dans l’esprit et le cœur des Algériens d’aujourd’hui. Autant dire que rien ne nous fera bouger d’un millimètre. Tous les subterfuges, toutes les tentatives d’intimidation sont vaines. On les connaît par cœur. C’est du déjà-vu. L’intime conviction de l’illégitimité de l’occupation et de son injustice fondamentale est ancrée dans chacune de nos cellules. Il n’y a rien à négocier avec l’oppression coloniale. Elle doit cesser. » (Avant-propos, p. 16-17)

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Ci-gît l’humanité – Gaza, le génocide, les médias, de Meriem Laribi (dont le père, Algérien, a eu à déplorer l’oppression coloniale française), préfacé par le spécialiste du Proche-Orient Alain Gresh, paru aux éditions Critiques, condense une litanie d’horreurs, insoutenables, infligées au peuple palestinien. Mois après mois, la journaliste indépendante Meriem Laribi qui travaille régulièrement avec Orient XXI, Le Monde diplomatique ou Le Média retrace les crimes de guerre, de génocide ou contre l’humanité perpétrés par Tsahal. Avec le soutien régulier, faramineux, financier et militaire des États-Unis. Avec le soutien moral et logistique de la France. Et avec l’appui des médias dominants qui offrent sans vergogne des tribunes aux complices du génocide et invisibilisent ou minimisent les souffrances du peuple palestinien, voire les justifient.

« “Nous ne sommes pas le Hamas. Ce ne sont pas des roquettes lancées au hasard. Tout est intentionnel. Nous savons exactement combien de dommages collatéraux il y a dans chaque maison.” [dixit un membre du renseignement militaire israélien]

“Tuer involontairement”, disait Caroline Fourest

Israël assassine, dans la nuit du 6 au 7 décembre [2023], Refaat Alareer [1979-2023], un célèbre professeur et poète palestinien. Quelques jours avant, dans une interview, il demandait : “Que devons-nous faire ? Nous noyer ? Nous suicider en masse ? Est-ce ce que veut Israël ?” Refaat a été tué en même temps que sept membres de sa famille, dont sa sœur et ses neveux et nièces, dans une frappe ciblée contre leur appartement. L’armée israélienne lui aurait promis de l’éliminer [ndbp : Selon ses proches, il aurait reçu des appels de menace] après qu’il s’est moqué sur X de la fausse information selon laquelle des combattants du Hamas avaient mis un bébé dans un four avant de l’allumer. N’y donnant aucun crédit, il avait alors demandé sur le réseau social : “Ont-ils mis du sel et du poivre ?” Assassiné pour un tweet ? Et sa famille, qu’a-t-elle fait ? Tuée parce qu’elle hébergeait le tonton qui fait des blagues sur un bébé qui n’existe pas ? » (p. 102)

Évidemment, la lecture de ce texte est éprouvante. Parce qu’y est raconté le calvaire innommable, indicible, quotidien que, de plein fouet, subit Gaza, alors que tant de voix, après les crimes nazis et la Shoah, s’étaient élevées (mais sans doute pas assez nombreuses, pas assez fortes, avec trop peu d’échos) pour clamer “Plus jamais ça !”. Les enfants assassinés par des drones (fonctionnant avec du matériel high-tech exporté par la start-up nation France peu regardante sur les usages qui en sont faits, comme le révélèrent le média Disclose et la journaliste d’investigation Ariane Lavrilleux) ou par des snipers au cœur de pierre ; les corps de Palestiniens (pour certains encore vivants) écrabouillés par les chenilles de chars israéliens sans que cela ne soit fortuit ; les écoles, les hôpitaux, les habitations, les dispensaires ciblés délibérément et ruinés par les bombardements incessants israéliens ; les secouristes, les journalistes, les médecins tués froidement ; les milliers d’enfants amputés ; les dizaines de milliers d’enfants disparus ; les privations d’eau, de nourriture, de soins, d’abris, de médicaments infligées par Israël à l’enclave gazaouie ; les arrestations arbitraires et les humiliations systématiques des civils palestiniens retenus sans procès, torturés, violés dans des prisons où règne la négation de l’humanité des captifs… Le tableau dressé est d’une tristesse infinie. C’est celui du réel. Aujourd’hui. Dans ce territoire qu’occupe illégalement l’État d’Israël depuis 1967. Dans cet espace confiné, emmuré depuis 2014, peuplé de plus de 2 millions d’habitants dont le taux de pauvreté a atteint les 100 % depuis 2024, et que l’esprit délirant de Donald Trump a imaginé pouvoir devenir, une fois vidé de ses occupants, une french riviera pour touristes fortunés.

Le droit et l’histoire, la mémoire collective et la nécessaire dignité humaine – dont on ne peut faire l’économie sous peine de sombrer dans les abysses de la barbarie –, vont avoir besoin de tous ces éléments factuels, rappelés ici de façon poignante et étayée, pour mettre fin aux massacres et pour raviver le droit des peuples à l’autodétermination (ou le cas échéant, à résister face à l’oppresseur, à l’envahisseur) – quand bien même ce droit chagrine les tenants des systèmes coloniaux.

Quel colossal gâchis de vies humaines en attendant ! Et comme le chemin sera long avant que la compréhension mutuelle et la solidarité (normalement attendues entre voisins) renaissent dans cette partie du monde soumise depuis 1948 à la loi des sionistes !

« Du maréchal Bugeaud à Benjamin Netanyahou, le colon n’a pas changé [cf. Edward W. Saïd, in Culture et impérialisme, Paris, Fayard - Le Monde diplomatique, 2000 : “Le cœur de la politique militaire française telle que l'avaient mise au point Bugeaud et ses officiers, c'était la razzia, le raid punitif sur les villages, maisons, récoltes, femmes et enfants des Algériens. "Il faut empêcher les Arabes de semer, de récolter, de pâturer", avait ordonné Bugeaud”]. Comme pour l’œuvre autoproclamée “civilisatrice” de la colonisation française en Algérie, la religion sert de socle idéologique, enrobant pour la justifier la réalité de l’oppression, de la spoliation, de l’apartheid et maintenant du génocide. » (pages 200-201)

Les ennemis de la paix sont nombreux et les soutiens du génocide occupent des postes importants. « Il n’y a pas de Gazaouis innocents », prétend Ariel Goldmann, ex-vice-président du Crif (p. 151). En mars 2024, le porte-parole du ministère de l’Europe et des affaires étrangères Christophe Lemoine assure, magnanime à l’égard des génocidaires : « On n’enquêtera pas sur ce que font les Franco-Israéliens concernant leurs obligations militaires » (p. 185). « Il n’y a pas de projet de sanctions contre Israël », confirme-t-il le mois suivant (p. 193). En mai, Géraldine Woessner, rédactrice en chef du Point, assène : « Il n’y a pas de journaliste à Gaza. Vous collez un concept occidental sur une entité qui n’existe pas » (p. 253)…

Le rappel du nom des morts (Muhammed Bhar, 24 ans, trisomique, blessé chez lui par un chien israélien dressé pour l’attaque puis abandonné agonisant ; Hind Rajab, 6 ans, dont le véhicule où elle se trouvait avec des membres de sa famille a été criblé de 360 balles israéliennes – on est loin d’une balle perdue, accidentelle – ; Atta Ibrahim Al-Muquaid, 73 ans, sourd, tué chez lui de 4 balles par des militaires israéliens qui, hilares, se remémorent ce haut fait d’arme ; Ismaïl Al-Ghoul, 27 ans, journaliste, tué par un missile…), le détail des circonstances de leur mort (souvent assez monstrueuses, comme pour le cas des bébés de l’hôpital Al-Nasr, abandonnés à leur sort dans les couveuses alors que les lieux sont assaillis et l’évacuation manu militari coordonnée par l’armée israélienne ; ou pour le cas des charniers de l’hôpital Shifa découverts après le départ de l’armée israélienne), l’évaluation du nombre de morts (compliquée vu le nombre de ruines et l’état des services publics gazaouis), et le souci du sort réservé aux survivants : une façon de réhumaniser les Palestiniens pour, bientôt, le plus tôt sera le mieux, modifier le cours des choses.

« La société israélienne étant largement radicalisée, la déshumanisation des Palestiniens profondément ancrée dans les mentalités, il faudrait une force d’interposition internationale pour espérer un apaisement. La passivité internationale est de la non-assistance à peuple en danger. N’est-ce pas le rôle et la mission de l’Onu ? Désarmer les Israéliens et les Palestiniens, faire cesser le bain de sang, et et laisser aux juristes et diplomates le soin d’établir  un projet viable et équitable pour tout le monde.
Le 19 juillet 2024, la CIJ a rendu un avis non contraignant, mais de nature à accroître la pression sur Israël : la Cour a estimé que l’occupation par l’État hébreu des territoires palestiniens depuis 1967 est “illégale” et doit cesser “le plus rapidement possible”. Un début de justice à venir ? Ce qui est certain, c’est que sans contrainte, Israël ne bougera pas et ne cessera jamais d’opprimer les Palestiniens, jusqu’au dernier. » (p. 304)

« Comme nous l’avons longuement observé durant l’année écoulée, la société israélienne est profondément malade de son suprématisme. » (p. 305)

Ci-gît l’humanité – Gaza, le génocide, les médias, de Meriem Laribi – Préface d’Alain Gresh –Éditions Critiques – Paris – Février 2025 – 19 € – 312 p.

 

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